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PLATONISME DES PÈRES

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2° C’est à quoi s’exercent encore, avec d’autres intentions, les critiques rationalistes, les protestants libéraux de tendance ritschlienne, Ritschl, Entstehung der altkatholischen Kirche, 2e éd., 1857, les tenants radicaux de l’histoire comparée des religions. D’ordinaire, au xix— siècle, ce n’est plus seulement l’influence du platonisme qui est eu cause, mais ou bien l’ensemble de l’hellénisme (Ilatch, Harnack, Loofs, Seeberg, W-endland), ou bien même — et surtout — les religions orientales (Alb. Dieterich, Reitzenstein, Wernle…). Cependant, à cette évolution du christianisme — développement ou corruption — le platonisme eut part. Dans quelle mesure ? Pour les débuts, la chose n’est pas claire. « A partir du iv c siècle, par contre, l’influence du néoplatonisme sur les théologiens orientaux a été très importante… Les doctrines de l’incarnation, de la résurrection de la chair et de la créatioii du monde dans le temps marquaient les frontières entre la dogmatique ecclésiastique et le néoplatonisme ; en tout le reste, ils se rapprochent au point de se confondre souvent. » Harnack, Dogmengeschichte, 1. 1, append. m : Der Neuplatonismus, Die geschichtliche Bedeutung und Stellung des Neuplafohismus, 4e éd., p. 824. M. Heinze parle de même de la pénétration du néoplatonisme dans les dogmes et la philosophie chrétienne, art. Aeuplatonismus, dans Protestant. Realencyklopûdie, 3e édit., t. xiii, p. 783 ; J. Dneseke, de son influence sur la doctrine trinitaire, Xeuplatonisches in des Gregorios von Nazianz Trinitàtslehre, dans Byzantinische Zeitschri/t, t. xv, 1906, p. 141. « A partir du me siècle, dit Fr. Picavet, Plotin fut un maître pour les chrétiens…, ce qui ne veut pas dire… que le dogme et la théologie chrétienne puissent se réduire à la théologie puissante et profonde de Plotin ; mais des éléments fort importants en sont allés aux chrétiens. » Essais sur l’histoire générale et comparée des théologies et des philosophies médiévales, c. ix, p. 196. M. Bréhier dit avec plus de nuances : « C’est… une seule et même évolution qui, dans les cinq premiers siècles, emporte la pensée païenne du problème pratique de la conversion intérieure chez un Sénèque ou un Épictète, à la théologie raffinée de Plotin et de Proclus et la pensée chrétienne du christianisme spirituel et intérieur de saint Paul, à la théologie dogmatique d’Origène et des Cappadociens : il serait difficile de ne pas voir jouer les mêmes facteurs dans cette transformation. » Histoire de la philosophie, t. i, p. 491 ; cf. Hellénisme et christianisme aux premiers siècles de notre ère, dans Revue philosophique, t. ciii, 1927, p. 9.

3° Faire le point des rapports entre platonisme et christianisme pendant les premiers siècles est une tâche malaisée. Une raison en est qu’une même dénomination recouvre des doctrines très différentes : il faut donc commencer par ce qu’omettaient d’ordinaire les anciens et distinguer Platon et les platonici. C’est chose nécessaire. Que l’on considère en effet l’enseignement reçu par saint Justin lorsque, déçu par les autres sectes et presque découragé, il se mettait à l’école de « Platon », Dial., 3, 4, 5, P. G., t. vi, col. 477489, ou la doctrine qu’Eusèbe, Præp. evang., 1. XI-XIII, P. G., t. xxi, col. 844 sq., ou saint Augustin, De civ. Dei, VIII, IV sq., P. L., t. xi.i, col. 227, attribuent aux platonici, ou encore l’exposé que saint Thomas fait du platonisme dans un de ses derniers ouvrages, De substantifs separatis, i, on devra convenir que chez aucun d’eux le platonisme » ne reproduit exactement la pensée des Dialogues.

C’est que, s’il y a le platonisme de Platon, il y a aussi celui de Philon le Juif, et de Plutarque, de Gaïus, d’Albinus, d’Apulée, d’Atticus, de Maxime de Tyr, celui de Plotin. de Porphyre et de Proclus. C’est toujours le pi al oui « me. mais un platonisme en marche, qui se diversifie en avançant. Sextus Empiricus con DICT. DE TIIIOL. CA1HOL.

naissait déjà cinq écoles platoniciennes différentes, l’ancienne avec Speusippe et Xénocrate, la nouvelle avec Arcésilas, qui est presque pyrrhonien, celle de Carnéade, qui est probabiliste, celle de Philon de Larisse, qui voisine avec le stoïcisme, celle d’Antiochus, qui, décidément, installe le Portique dans l’Académie. Picavet, Essais…, p. 79-80. L’exposé qui va suivre distinguera donc plusieurs platonismes : celui de Platon, celui du début de l’ère chrétienne, celui de Plotin et celui des successeurs de Plotin.

Ce morcelage dans le développement vivant d’une doctrine n’a évidemment qu’une valeur approximative, car l’évolution s’est faite, le plus souvent, par l’épanouissement de ce qui était implicite, en sorte qu’il y a peu d’éléments entièrement nouveaux qui ne fussent en quelque manière annoncés, préformés au stade primitif.

De là vient la difficulté non seulement de tracer entre les étapes des l’gnes de démarcation nettes, mais aussi de déterminer avec certitude si c’est à Platon qu’il faut faire remonter telle influence ou à quelqu’un de ses disciples. Ainsi s’explique, dans une certaine mesure, que Vacherot ait pu voir dans Paugustinisme une doctrine essentiellement platonicienne où la trace du néoplatonisme se discerne mal, Hist. critique de l’École d’Alexandrie, t. iii, 1851, p. 45, tandis que, pour M. Grandgeorge, l’influence de Platon sur Augustin a été nulle ou insignifiante, celle de Plotin étant au contraire prépondérante. Saint Augustin et le néoplatonisme, Paris, 1896, p. 85.

Les difficultés d’attribution se compliquent encore du fait que, si le platonisme s’est développé comme une semence, il a subi pourtant l’action d’influences étrangères qui ont laissé leur empreinte. Dès son origine, il s’est assimilé des idées de presque toutes les écoles philosophiques ; il doit à Socrate sa méthode et l’intérêt qu’il porte aux questions morales ; pour la philosophie naturelle, il dépend d’Heraclite ; pour les spéculations sur l’être, des Ioniens, pour les mathématiques, la psychologie et les tendances religieuses, des pythagoriciens. De plus en plus, dans la suite, il fait figure de syncrétisme. On a dit que le néoplatonisme pourrait aussi bien s’appeler néoaristotélisme : si l’on ne considère que la connaissance sensible, le paradoxe peut se soutenir. De même, en morale, il se distingue souvent mal du stoïcisme dont il s’est approprié beaucoup d’idées : une influence nettement stoïcienne peut fort bien remonter à Philon ou à Plotin. Dès lors, il est souvent difficile de rendre à chacun son dû. Nous inscrirons au compte du syncrétisme platonicien les influences qui s’exercent par son intermédiaire.

4° Si le platonisme a sa place dans ce dictionnaire, ce n’est pas comme système philosophique, mais à cause de l’influence qu’il a exercée ou de celle qu’on lui prête sur le développement de la théologie. Ce qui importe donc, ce n’est pas de décrire en détail ce qu’il fut (les exposés du platonisme ne manquent pas), mais de dire ce qu’on en a retenu. Aussi, au risque de déformer la perspective générale du système, on insistera sur certaines doctrines, sur certains textes même dont la fortune, par la suite, fut considérable.

Division.

Deux parties dans cet article : La I re

considère la question sous son aspect général : a) ce que les écrivains chrétiens des premiers siècles ont connu ou retenu du platonisme sous ses diverses formes ; b) les voies par lesquelles le platonisme est arrivé jusqu’à eux ; c) l’attitude qu’ont prise à son égard les Pères » platoniciens » ; à quoi l’on reconnaît leur platonisme ; Platon, « père des hérésies ». La II" examine plus en détail quelques doctrines particulières dont on a cru déceler une pénétration plus profonde : a) la trinité platonicienne ; b) le monde intelli T. — XII — 72