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et d’autant plus profonde qu’elle est sous-jacente et première, à la manière d’une finalité continuée qui donne son ton à tout le reste, choisissant ses passivités comme ses moyens, les agréant.comme ses épisodes transitoires. Le P. Pirry est formel sur ce point important, p. 41 : « On fait beaucoup quand on approuve paisiblement l’impuissance où Dieu nous met parfois à ne pouvoir faire, comme de prier. > Ainsi, dès ce premier ouvrage, Piny transpose les doctrines floues et douteuses de Molinos, leur ôtant un caractère possible d’hétérodoxie. II se maintient dans une conception générale des choses qui, avec maintes variantes de détail, reste commune aux thomistes, aux jansénistes et aux plus modérés d’entre les quiétistes. A ce moment précis de l’histoire doctrinale, le pape Innocent XJ est fort peu ami des jésuites. Il penche en faveur des jansénistes, comme d’ailleurs les thomistes baiïésiens feront désormais. Piny va élaborer de nouvelles synthèses, au moins provisoires, de son mysticisme personnel.

Pour s’illustrer par un vivant exemple, la doctrine du « pur amour » n’a pas besoin de Mme Guyon. Tandis que celle-ci semble rédiger par sa conduite audacieuse la vie par excellence de la quiétiste intégrale, le P. Piny compose, en 1679, une Vie de la vénérable Mère Marie-Magdeleine de la Très-Sainte-Trinité, fondatrice de l’ordre de Notre-Dame de la Miséricorde. Ce lui est prétexte à exposer longuement la doctrine du « pur amour ». Il la donne en exemple, ne serait-ce que par la préface adressée à la Palatine. Cette princesse, comme beaucoup de dames de qualité, semble avoir bénéficié des conseils spirituels du P. Piny. Par la biographie de la Mère Marie-Madeleine, nous pouvons présumer que de tels conseils étaient nets et hardis. A la croire, nous ne pouvons refuser de nous laisser damner si tel est le bon vouloir du monarque divin. Cette situation casuistique (qui relève d’une psychologie théologiquement invraisemblable) ne fait pas plus peur au P. Piny qu’aux cjuiétistes stricts qui l’envisagent également, p. 441 : « L’amour est encore bien plus pur quand Dieu réduisant l’âme à voir son salut comme désespéré… ou du moins à ne rien voir sur quoi elle ose appuyer son espérance, on y demeure pourtant en paix. » Mais, à la différence des quiétistes hétérodoxes, Piny prend bien soin de préciser de nouveau, p. 461-462, qu’il ne s’agit pas, dans cet abandon de l’âme, d’une oisiveté mais d’une activité supérieure. Cet état reste un acte. Le P. Piny précise que s’il s’explique sur ce point, c’est contre « ceux qui improuvent cette manière d’oraison où l’âme, après s’être établie par un acte de foi en la présence de son Dieu… et s’être abandonnée par un acte ou sentiment du pur amour à sa toute sainte et adorable volonté pour être fait d’elle… selon son bon plaisir… ne pense plus qu’à demeurer, ainsi qu’une victime d’amour, dans cet état, en paix et en silence… » C’est que, en même temps qu’elle obtenait une grande vogue, l’oraison quiétiste rencontrait déjà d’ardents détracteurs.

Cependant l’élaboration d’un « quiétisme actif », si l’on peut ainsi dire, se poursuit dans l’esprit du P. Piny, et, au plus beau moment du quiétisme absolu, il publie l’opuscule qui est peut-être son chef-d’œuvre : La de/ du pur amour ou la manière et le secret pour aimer Dieu en souffrant et pour toujours aimer en toujours souffrant (1680). Mais s’agit-il seulement d’aimer Dieu rien qu’en souffrant, ne continue-t-on pas à l’aimer même en péchant ? Les plus monstrueuses extrémités du quiétisme iraient jusque-là. Piny ne va pas si loin. Cependant, certaines équivoques de vocabulaire, dans sa Clef du pur amour, pouvaient étonner des esprits chagrins. Le mot « imperfection », p. 39 sq., tantôt peut vouloir dire péché véniel, tantôt peut se rapporter à une faiblesse non imputable moralement,

à ce qui serait en effel une épreuve envoyée par Dieu. D’où ce passage qui rend un son singulier : « Avec combien de charité Dieu supporte (l’âme) elle-même après ses cheutes si fréquentes dans l’imperfection ; et comme elle ne doit pas se laisser aller à des impatiences et a perdre la paix et l’espérance quand les autres ne profiteraient pas sitôt de ses corrections ; puisqu’ellemême quoy que maîtresse de ses volontés bien autrement que de celles des autres a pourtant tant de peine à se surmonter, à faire le bien qu’elle veut faire et s’empêcher de faire le mal qu’elle ne veut pas. Mais ce ne sont pas là les meilleurs fruits que nous pouvons tirer de nos imperfections, si tant est qu’elles nous crucifient et qu’elles nous soient devenues autant de sujets de croix ; il y en a un autre qui est bien plus précieux, plus riche et plus salutaire et qui est celui du pur amour. » Il n’y a là rien de mal ; mais était-il opportun de prêcher une doctrine que des âmes trop faciles pourraient ensuite rapprocher d’un laxisme à la manière de Molinos ?

Il n’empêche qu’en 1683, pour deux nouvelles synthèses provisoires : L’oraison du cœur ou la manière de faire oraison parmi les distractions les plus crucifiantes de l’esprit ; Le plus parfait ou des voies intérieures la plus glorifiante pour Dieu et la plus sanctifiante pour l’âme, Piny obtint encore les approbations chaleureuses de deux stricts théologiens dominicains : Goudin et Noël Alexandre. Il se rencontre pourtant dans Y Oraison du cœur… des formules hardies, p. 96 : » Laisser faire et consentir seulement à tout ce que Dieu fait en nous. » Il est vrai, p. 238-257, que toujours le laisserfaire est donné comme comportant une éminente activité spirituelle, profondément personnelle, un « exercice continuel », selon une expression qui n’était pas pour déplaire à l’école de saint Ignace. Le détachement de tout intérêt personnel à son propre salut, thèse caractéristique du pur amour quiétiste, est pourtant proposé nettement dans cette Oraison du cœur…, p. 159 : « La fidélité est bien plus grande lorsque, dans l’incertitude si nous sommes à Dieu avec assez de détachement de nous-même pour lui être un objet de joie, nous continuons pourtant à vouloir encore être sa joie’sans oser penser qu’il doive être la nôtre. » Sans doute, cette attitude semble bien être pour le P. Piny humilité extrême plutôt qu’hérésie du pur amour. Le désespoir « pinien » suppose une espérance qu’on ne savoure pas, tout comme la passivité « pinienne » dont il est la conséquence suppose une activité foncière quoique latente. C’est ce que, en cette même année 1683, vient préciser l’opuscule Le plus parfait… p. 343 : « Jamais notre éternité et l’affaire de notre salut éternel n’est plus sûre pour le moment où Dieu prononcera son arrêt que quand nous l’avons ainsi accepté amoureusement par avance », cet arrêt divin paraissant même à notre imagination comme une condamnation éternelle. Dans VOraison du cœur…, on voit assez que Piny sait ne pas oublier la métaphysique thomiste des vertus théologales. L’oraison sousjacente permanente d’amour de Dieu (que l’on pourra reprocher dans leurs équivoques aux quiétistes, ses contemporains) devient, chez le mystique dominicain, l’acte premier persistant. Vhabitus de la vertu de charité, p. 1-9. Nous rencontrons ici le terrain solide du Traité de l’amour de Dieu de saint François de Sales.

En 1684, le P. Piny publie une Retraite sur le pin amour ou pur abandon à la divine volonté, livre d’une vulgarisation qui trouve des audaces dans des tournures elliptiques, p. 359 : « La pieuse (âme) abandonne et sacrifie de si bon cœur à la divine volonté jusqu’à son éternité… »

En 1685 paraissent encore : Les trois différentes manières pour se rendre intérieurement Dieu présent, et La vie cachée ou pratiques intérieures cachées à l’homme