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PIG1II VLBKKT) — PIGNANO (FRANÇOIS DE]


ces théories, dont il a voulu, dans ses Controverses, faire totalement abstraction. De ces habitua infus, il

conteste ici l’existence, et il lui paraît peu digne de la théologie de faire dépendre de théories philosophiques discutables un mystère aussi important que celui de notre justification, i Les admit —on. qu’on ne saurait dire qu’ils constituent notre justice aux yeux de Dieu, car le propre de la foi est de croire, celui de l’espérance d’espérer, celui de la charité d’aimer. Mais notre justice devant Dieu c’est le rapport exact de l’ensemble de toutes nos actions avec la règle de la divine justice, et connue de cette adaptation exacte tous nous sommes dépourvus, nous avons besoin d’une justice étrangère. celle du Christ, qui nous justifie : Qua nostra curn desliluimur omnes, opus nobis fuit aliéna, nempe Christi, qua jasiificaremur justifia. « Et l’auteur, passant du terme de justice à celui de grâce, développe ensuite les exemples scripturaires où il est question de trouver grâce devant une personne humaine, ou devant Dieu, et il conclut par cette remarque très fine : En tous ces termes, il est surtout question d’un amour qui descend, d’une bienveillance spontanée qui part d’un supérieur vers un inférieur. « Cette grâce ce n’est point une qualité, un acte, un labitus, une habitude, une relation (respectus) qui se trouverait dans celui qui devient ainsi agréable, aimable, cher, c’est au contraire l’affection toute bienveillante, l’amour, la dilection gratuite de celui qui aime. » Transposons ceci en langage théologique : La grâce c’est l’infinie miséricorde de Dieu à notre égard : Dei hœc est et gratta et misericordia qua nos respicit et erga nos bénigne ajfieitur et sua nos benevolentia atque amicitia miserirordiler dignatur. Ht, pour terminer tout ce développement, cette définition qui en donne la clef : Gratia ergo Dei, qua nos sibi eharos reddidit (autrement dit la gratia gratos faciens) est ejus erga nos amor et benevolenlia.

Il est trop évident que Pighi opère ici sur des concepts qui ne sont point superposables à ceux que l’enseignement du concile de Trente a rendus classiques et même partiellement obligatoires. En particulier, il est bien difficile de voir quelle est la rc’alité qui, d’après lui, répond dans les âmes justifiées à ce que nous appelons la grâce sanctifiante. Mais que ces concepts s’apparentent à la théorie luthérienne de la justification par la foi, c’est ce qu’il faut également nier. Rien chez Pighi de l’appréhension, par la foi seule, des mérites du Christ qui viennent couvrir, comme d’un manteau, la misère demeurée toujours inhérente à l’âme justifiée. Le juste, d’après Pighi, s’est élevé par son effort (prévenu et soutenu par l’aide divine)à l’acte d’amour de Dieu, lequel exclut l’affection au péché. Il y a chez lui un commencement d’adaptation à cette règle que devrait être pour chacun de nous la loi divine. Mais cette adaptation est si imparfaite, même chez les meilleurs, qu’il faut, de la part de Dieu, une infinie condescendance pour qu’il nous trouve justes, et il nous trouve justes, parce qu’il nous voit incorporés à Jésus, notre chef, en d’autres termes parce qu’il voit les mérites et l’intercession du Christ qui le supplient de nous être favorable.

Si même l’on voulait à toute force assimiler ce dernier concept à celui de l’imputation des mérites du Christ proposé par Luther, il faudrait simplement conclure non point à la dépendance de Pighi par rapport au novateur, mais au fait que l’un et l’autre reconnaissent une inspiration commune. Et c’est dans la théologie nominaliste du XVe siècle qu’il faudrait chercher cette source. C’est au nominalisme qu’il faut faire remonter la.défiance de Pighi à l’endroit des théories scolastiques, à l’endroit, spécialement, de l’idée à’habitus et du concept de relation. C’est cette défiance qui l’empêche de trouver une solution du problème du péché originel, aussi bien que de celui de la

grâce sanctifiante. Son schème de la justification est le seul que permettait la théologie nominaliste, toujours en garde contre les « entités » des âges précédents. Or, il est incontestable que cette théologie nominaliste a inspiré plusieurs des vues de Luther. Mais il est contraire à toute vraisemblance de représenter Pighi comme en dépendance de Luther et de parler, à propos de la doctrine soutenue par lui, de semi-luthéranisme.

Au concile de Trente, il fut question à plusieurs reprises de Pighi ; pour nombre de points de ses Controverses, il fut cité avec éloge. Si l’on fit des réserves, nous l’avons dit, sur sa doctrine du péché originel, ce fut avec un grand respect pour sa personne. Quand l’on discuta sur le décret De justi/iratione et que l’on voulut définir l’existence en l’homme justifié d’une « justice inhérente », l’un des consulteurs, le P. de Nobilibus, justifia son vote de la manière suivante : De gratia et caritate inhærente non ponerem hune articulum sub anathemate propter multos doctores bene meritos de Ecclesia, ul Magister Sententiarum et Pighus Campensis. Concil. Trident., t. v, p. 455 ; cf. p. 487, lig. 32 ; p. 563, etc.

C’est dire la considération dont jouissait alors ce grand controversiste. Sa gloire a pâli depuis devant celle des défenseurs attitrés de l’œuvre de Trente. Mais son œuvre mériterait à coup sûr un traitement moins dédaigneux que celui qui lui a été infligé jusqu’à nos jours.

I. Notices bio-bibliographiques.— Valère André, Biblintheca belgica, 2° éd., Louvain, 1643, p. 38-40 ; Foppens, Bibl. belg., ., Bruxelles, 1739, p. 42-43 ; Nicéron, Mémoires, t. xx.xix, p. 372-380 ; Paquot, Mémoires pour servir à l’histoire littéraire… des Paus-Bas, t. ii, Louvain, 1763, p. 175-177 ; A. J. van der Aa, Biographiseh Woordenboek der Xederlanden, t. xv, Haarlem, 1872, p. 309.

II. Études doctrinales.

Il n’y a pas de monographie bien faite, mais beaucoup de théologiens et d’historiens du dogme traitent de Pighi et de ses idées à propos du péché originel et de la justification et aussi à propos du concile de Trente. Linsenmann, Albcrlus Pighius und sein theologisehcr Slandpunkt, dans Theologiscber Quarlalschrifi, t. xi.viii, 1866, p. 571-644 (exposé trop systématique, qui prétend rattacher au nominalisme toutes les particularités de Pighi) ; F. Ditt’rich, Gasparo Contarini, Braunsberg, 1885, surtout p. 651-668 (bon exposé de la position doctrinalede Pighi) ; Hanns Biickert, Die Rechllertigimgslebre uni dem Tridentinisehen A’on-[7, Bonn, 1925, surtout p. 217-256 ; du môme, Die theologisrbe Entwicklung G. Coniarinis, Bonn, 1926. Voir aussi Paslor, Geschichte der Pàpste, t. IV />, 4e éd., 1907, et t. v, 1909, passim, se reporter à l’index alphabétique.

É. Amann.
    1. PIGNANO (François de)##


PIGNANO (François de), frère mineur de la première moitié du xive siècle, que Sbaralea croyait criginaire de Pignano (diocèse d’Ascoli-Piceno, dans la Marche d’Ancône). Supplementum, t. i, p. 257. Il s’est vu attribuer les noms les plus divers : François de la Marche, de Apiniano, d’Aseoli (de Esculo, Asculanus), Rossi (Rubeus). En fait, il était d’Appignano.Il étudia à l’université de Paris, où il prit le grade de maître en théologie. Il y commenta très probablement les Sentences vers 132(1. comme cela résulte de l’explicit du ms. Vil. C. 27 de la bibliothèque nationale de Naples, où nous lisons : Expllcit fratris Francisei de Marchia super primum Sententiarum secundum reportât ionem factam sub eo tempore, quo legit Sentent ias Parisius anno Domini 1320. Plus tard, il fut lecteur au Studium générale des frères mineurs à Avignon. A la fin de l’appel fait par Michel de Césène à Jean XXII. en 1328, on lit : acta et facta fuerunt prsedicta coram retigiosis et honeslis viris fratribus Francisco de Escutu in sacra theologia doclore et lecture in conventu fratrum de Avenione.’Cf. Baluze-Mansi, Miscellanea, t. ii,

LucqueS, 1761, p. 1 10. Au XVe siècle, il lui désigne du litre honorifique de Doctor succinctus. Le nom de