Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/333

Cette page n’a pas encore été corrigée

2101

    1. IMOIN (ALBERT)##


IMOIN (ALBERT). POSITION DOCTRINALE

L02

trines augustiniennes sur le gouvernement de la volonté humaine par Dieu, sur le péché originel et ses conséquences : perle dulibre arbitre, asservissement de la volonté à la concupiscence, culpabilité de tous les mouvements de celle-ci. Or, sur ces points, nous l’avons dit aussi, Pighi prend position et l’autorité même d’Augustin ne lui en impose pas. C’est si vrai que l’on a pu, sans paradoxe, l’accuser de pélagianisme. Qu’on lise ce qu’il dit du libre arbitre et de la conciliation de celui-ci avec le gouvernement divin et l’on verra qu’il a poussé jusqu’à l’exagération, disons jusqu’à l’erreur, ce qui sera bientôt la tendance moliniste. Contre Augustin, il l’ait appel à l’autorité d’autres Pères et spécialement des Grecs qui ont cru davantage à la valeur de l’activité hum une dans l’affaire du salut.

Aussi bien, dans son explication, le péché originel a-t-il tendance à s’amenuiser au point de disparaître presque, et, dans les délibérations du concile de Trente sur la matière, l’opinion de Pighi est rapprochée de celle des pélagiens. Dans la liste d’erreurs distribuée aux théologiens le juin 1516, on mentionne, après le pélagianisme, une erreur (que.n Pighius sequi videtur) peccatum originale nihil esse in unoquoqiie nostrum, sed esse dumtaxat ipsam Adse prævaricationem qux rêvera nabis non insil sed soli Adæ. Voir Conc. Tridentinum, édit. Ehses, t. v, p. 212, et remarquer la note où il est dit que les mots entre parenthèses ont été signalés comme delenda, par respect, sans aucun doute, pour la mémoire de Pighi.

Au vrai, cette description semi-ofTïcielle de la pensée de Pighi est un peu schématique. Pour bien saisir l’opinion de ce théologien, rien ne vaut la lecture du court mémoire adressé par lui à Contarini. Dans Regesten, p. 381. Pighi y fait allusion à un échange de vues qu’il vient d’avoir avec le légat, à propos des idées qu’il avait développées dans ses Controverses, alors en cours d’impression, sur le péché originel. Contarini lui avait fait remarquer combien peu ces idées cadraient avec celles de saint Augustin. Dans son mémoire, Pighi explique les raisons pour lesquelles, sans condamner la pensée du grand docteur, il cr >il devoir s’en séparer. Dans Augustin, il a vu surtout l’identification entre le péché d’origine et la concupiscence et c’est là-contre qu’il s’élève. « La concupiscence, écrit-il, que l’on veut appeler ici vice, ou habitus vicieux est une condition même de la nature, qui a Dieu pour auteur et qui donc ne peut lui déplaire ; elle provient de la constitution même du corps (ex crasi naturali et ratione corporis orilur), elle était en Adam avant même qu’il péchât, tout comme la mortalité. Sans doute, avant le péché, elle était, tout comme la mortalité, contenue par le secours divin. Le péché survenant, de même qu’est entrée dans l’humanité, non la mortalité, certes, mais la mort, de même est entrée la lutte et la rébellion de la chair contre l’esprit, mais non cette vis concupiscibiiis, la seule chose qui existe en fait dans les enfants et qui a dans l’organisation même du corps sa cause naturelle et nécessaire. Or, la nature en elle-même ne peut être odieuse au Créateur. On dira peut-être que c’est l’absence en Adam et en nous du frein qu’imposait à la vis concupiscibiiis l’état d’innocence qui est cligne de la haine divine. C’est vrai pour Adam : ce n’est pas vrai pour nous : Nuditas illa natures, etsi, ipsi Adam, merilo cnlpabilis fuerit, ut qui sua culpa donum illud supernaturale sibi et nobis perdiderit, nos lamen eu culpabiles facere non potest, ut qui, non nostra, sed aliéna et paterna culpa, nudi nascimur, nec in potestate nostra est ut nascamur aliter. Cette nuditas, d’ailleurs, en Adam lui-même, ne pouvait être appelée une corruplio naturæ, ce n’était une corruption ni de son âme, ni de son corps. Mais, en fin de compte, quelque corrupti >n

de la nature que nous imaginions en Adam, par suite de son péché volontaire, dans un enfant qui vient de naître, nous ne pouvons imaginer aucune corruption de la nature, aucune cause qui corrompe celle-ci. Pas de cause dans l’âme, créée par Dieu, pas de cause dans le corps : corpus » i seminis, wiluræ a’- Dei artiflcio jorm r itur in miterno utero, nec ullam, corruptionem sai.tkm De » odiosam in se liabet.

Ainsi écarté ce que les théologiens appelaient le matériel et le formel du péché d’origine (c’est-à-dire la concupiscence d’une part, et la carenlia justitix debitie d’autre part), posée ensuite la définition du péché qui fait essentiellement de celui-ci une transgression volontaire du précepte divin, il devenait fort difficile à Pighi d’expliquer ce que pouvait être, dans l’enfant qui vient au monde, le péché originel. Ce ne peut plus être que quelque chose de tout à fait extérieur, une imputation de la faute des premiers parents, laquelle avait seule raison de péché. Que si l’on avait objecté à Pighi le caractère injuste en apparence de cette imputation, il n’eût pas été en peine de répondre. Les principes généraux qu’il professait sur la valeur de l’activité humaine étaient assez optimistes pour que les conséquences du péché originel, dans l’humanité en général et dans chaque homme, en particulier, fussent largement atténuées à ses yeux. Rien donc en tout ceci qui rappelle, même de très loin, le pessimisme luthérien, partiellement renouvelé de saint Augustin.

Faut-il voir, néanmoins, une concession au protestantisme dans les idées de Pighi relatives à la justification ? (El’es sont bien exposées à l’art. Justification, t. viii, col. 2159 sq.) On sait à quoi elles se ramènent, et Pighi pose très clairement le problème dans le 2e mémoire au cardinal Contarini. Regesten, p. 387. Opérant non avec les termes abstraits, mais avec des expressions concrètes, notre théologien se pose la question : « Comment un homme, peut-il être estimé juste par Dieu ? » Et il répond : « J’appelle juste ce qui correspond exactement à la règle ; j’appelle justice une exacte correspondance à la règle et, dès lors, j’appelle justice de l’homme devant Dieu une exacte adaptation de tous ses actes, de toute sa vie à la règle de rectitude que nous a fixée la loi divine. Ce n’est point l’accomplissement d’un seul précepte, c’est l’accomplissement de toute la loi qui fait appeler quelqu’un juste. Que l’on pense maintenant à ce premier co nmandement qui nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit. et que l’on considère cette règle en soi d’abord, et puis sous une forme mitigée et adaptée à nos forces. Je dis que, même compte tenu de cette deuxième considération, on ne peut trouver, parmi les fils d’Adam, personne qui soit juste par sa propre justice, et, dès lors, nostram justiliam consislere primum in ignoscenle gratis nostram iniquitatem aut injustiliam divina misericordia, deinde in justifia Christi communicala nobis, quiv una nostra est justitia coram Deo et nulla propria. Pour que, d’ailleurs, nous soit pardonnée notre injustice, pour que nous soyons revêtus de la justice du Christ, plusieurs choses sont requises en nous, adultes — en d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir la foi luthérienne que la justice du Christ nous est imputée, — il faut en particulier la charité, l’amour de Dieu, en acte ; c’est là une disposition prochaine, dans les adultes, à la rémission des péchés. Mais, que cet acte d’amour ne soit pas formellement notre justification devant Dieu, cela est pour moi l’évidence même. Un acte d’amour ne peut constituer cette exacte correspondance de toute notre vie, de toutes nos actions aux prescriptions de la loi divine. » Cette justice serait-elle un de ces habitus (Pighi pense aux vertus théologales) dont parle la scolastique ? Pighi ne cache pas le peu de confiance que lui inspirent