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PHILOTHÉE KOKKINOS. VIE


nople depuis 1361, Mourad I er achevait, en cffct, ses préparatifs en vue d’isoler Constantinople par la conquête de la Serbie et de la Bulgarie. Les deux pays menacés avaient donné l’alerte à l’Europe qui armait quoique avec hésitation et dans le plus grand désordre. Or, cette croisade, qui s’organisait en dehors d’elle, parut à Byzance aussi dangereuse que l’ennemi que l’on entendait combattre. Sous le coup de la nécessité, Jean V résolut de s’aboucher avec le pape dans l’espoir de s’assurer le contrôle des opérations militaires en y mettant le prix si souvent exigé : l’union des Églises. Philothée, comme ses trois collègues orientaux d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, admettait, certes, la nécessité d’une entente entre chrétiens pour arrêter les progrès foudroyants de l’islamisme ; plus vivement que, ceux-ci, il sentait même que seule la restauration de l’unité religieuse pouvait être la garantie efficace d’une action commune. Aussi, quand le basileus déclara vouloir se rapprocher de Borne, accepta-t-il d’emblée cette éventualité. Mais il prétendait prescrire la voie à suivre : on convoquerait en Orient un concile œcuménique, où Grecs et Latins discuteraient sur un pied d’égalité toutes les questions pendantes entre eux. Le polémiste, auquel de récentes querelles doctrinales avaient paru assurer quelque succès, n’avait pas de peine à croire que la subtilité byzantine aurait facilement raison de la lourde dialectique des Occidentaux. Et, comme les légats pontificaux, venus aux nouvelles, lui affirmaient — il le crut du moins — que tous les Latins, pape en tête, feraient amende honorable, si leur doctrine n’était pas trouvée conforme aux Écritures, il en vint à souhaiter ardemment une rencontre qui devait assurer le triomphe éclatant de l’orthodoxie. A l’issue d’un synode général (1367), auquel prirent part les envoyés du pape et les patriarches de Jérusalem et d’Alexandrie, il communiqua d’urgence à tous les chefs d’Église absents, avec ses ambitieuses espérances, l’ordre d’avoir à conduire au plus vite à Constantinople leurs suffragants au grand complet, car il importait d’en imposer aux délégués occidentaux par le nombre et l’unanimité dans la réclamation. Malheureusement, la déception vint vite interrompre ces trop confiants apprêts. En effet, l’empereur venait enfin de se décider à la suprême démarche : aller à Borne même abjurer le schisme. Une ambassade mixte, composée de fonctionnaires et de prélats, porta dès lors simultanément à Urbain V la décision de l’empereur et les vœux de l’Église. Or, dans sa réponse, le souverain pontife, glissant sur le sujet du concile à tenir, insista fortement pour que le haut clergé, surtout le patriarche, accompagnât son souverain en Italie et prêtât comme lui serment au Saint-Siège. En outre, l’envoyé pontifical avait mission expresse de faire comprendre de vive voix que la curie n’accepterait jamais de remettre en discussion ce que, forte de son magistère suprême, elle avait défini. Ce mécompte s’aggrava bientôt d’une inquiétude. A la faveur des tractations qui orientaient définitivement l’État et son chef vers Borne, s’était formé à Byzance un parti puissant de catholiques dont les principaux membres comptaient au nombre des ministres ou des conseillers du basileus. Or, il advint que l’exemple tombé de haut gagna rapidement les milieux ecclésiastiques. Aigri et inquiet, Philothée, qui avait d’abord fermé les yeux, décida des représailles immédiates. Impuissant contre la volonté de Jean V parti faire obédience entre les mains du pape, il commença par purger, à coup de dépositions et d’anathèmes, son Église des clercs plus ou moins inféodés au latinisme, puis il eut soin de travailler le peuple pour que celui-ci rejetât toutes les obligations contractées au loin, sans lui, par le souverain. L’enjeu des négociations destinées à sauver l’empire ne pouvait être,

en effet, que la liberté de l’Église nationale. Or, si la raison d’État semblait imposer ce sacrifice, rien ne pouvait coûter davantage aux ambitions du patriarche en un temps où sa diplomatie connaissait, au delà des frontières, d’incontestables triomphes. En mars 1368. déjà, le despote Jean Ougliécha, obéissant à une dure nécessité, supprimait le patriarcat serbe et reconnaissait, lui et son peuple, la juridiction suprême de Constantinople. Plus que cette soumission inconditionnée, les avances que lui faisaient le roi catholique de Pologne, au sujet de la Volhynie lithuanienne, et le plein dévouement du grand-duc de Bussie, recevant de lui et ses évêques et ses ordres, persuadèrent Philothée qu’il pouvait, lui aussi, prétendre au magistère universel et, comme chef spirituel, jouer un rôle international pour la défense de la chrétienté. Personne, sinon Michel Cérulaire, n’a, de fait, affirmé aver tant de force et de netteté la suprématie du siège œcuménique sur tous les autres. Cf. quelques témoignages dans M. Jugie, Theologia dogmalica christianorum orientalium, t. iv, 1931, p. 429. En aucun temps non plus, les circonstances n’avaient paru seconder si efficacement ses desseins politiques. Au projet impérial de sacrifier l’indépendance de son Église à une pro messe de secours aléatoire, l’ambitieux prélat opposa le plan, déjà esquissé par son prédécesseur, Calliste, de sauver l’orthodoxie par une coalition de forces exclusivement orthodoxes ; il comptait unir la Serbie, la Bulgarie et le jeune mais puissant duché de Moscou dans une campagne décisive. Le prince Ougliécha. entrant complètement dans ses vues, faisait offrir à Jean V Paléologue, avec tout l’argent nécessaire — ce dont les Grecs avaient le plus besoin — une proposition d’offensive commune contre l’envahisseur, au moment précis où ce dernier adressait de son côté à Byzance une sorte d’ultimatum en réclamant Gallipoli, la clé des Dardanelles, dont le sultan avait besoin pour faire venir plus sûrement ses renforts d’Asie en Europe. Pris entre l’angoisse de voir écraser ses alliés naturels et la crainte de représailles de la part des Turcs, s’ils venaient à l’emporter malgré l’aide fournie, le faible empereur ne sut que décider. Fait apparemment singulier, Je grand avocat du parti de l’alliance chrétienne fut en cette circonstance critique le chef même du catholicisme byzantin, Démétrius Cydonès, dont les discours prononcés alors sont justement célèbres et ont fait penser à Démosthène. Aux yeux de l’orateur, la collaboration des forces gréco-slaves apparaissait comme un prélude nécessaire de la grande croisade qu’organisait le pape. Quelle attitude eut alors Philothée devant ce qui pouvait lui sembler une exploitation de son idée par un tiers dans un sens directement contraire à ses intérêts ? On l’ignore. Mais il est étrange, qu’en raison même des sentiments profondément antiturcs du prélat, le bullaire du grand chartophylacat soit resté muet à cet égard. Il s’opéra en tout cas à Byzance un revirement auquel on ne sait s’il demeura étranger ; la majorité força le gouvernement à donner satisfaction à Mourad I er qui promettait la paix moyennant une forteresse et un traité de vasselage. Les Serbes abandonnés à eux-mêmes furent écrasés à la bataille de la Maritza (1371). Le rêve panorthodoxe s’évanouit ainsi sous le coup d’une catastrophe qui, par contre, rendait à l’intervention de l’Occident toute sa tragique importance. Philothée se consola de ses déboires en s’opposant plus que jamais, partout, aux influences latines. Un large mouvement de conversion, officiellement toléré et secondé très efficacement par le zèle des dominicains de Péra. préparait insensiblement la foule à l’union effective dont les papes attendaient la réalisation en vertu des accords de 1369. Pendant qu’une ambassade pontificale reprenait contact avec la cour, en octobre 1374.