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PIETISME. L’ÉCOLE DE HALLE


écrits contre lui avait été celui du pasteur Rolh de Halle, en 1691, intitulé Imago pietismi. Les amis de Spener ne lui donnaient du reste, de son propre aveu, pas moins de travail que ses ennemis. De 1690 à 1692, plusieurs villes de l’Allemagne du Nord furent agitées par les extases, les révélations, les visions extraordinaires de plusieurs de ses disciples, surtout Rosemonde d’Assebourg à Magdebourg. Elisabeth Schuchart à Erfurt, Madeleine Erlich et Eve Jacob à QuedJinbourg, Catherine Roth et Marianne Jahn à Halberstadt.

Tout cela suscitait des discussions et des controverses sans fin dans toute l’Allemagne luthérienne. Spener entretenait une immense correspondance 800 à 1 000 lettres par an, dont quelques-unes sont de véritables traités — il répondait courtoisement et fermement à ses contradicteurs. Il a laissé du reste 123 volumes sur divers sujets de théologie ou de morale. De sa pieuse femme, Suzanne Ehrardt, bellesœur de Joachim Stoll, le chapelain de Ribeaupierre, il avait eu onze enfants, six garçons et cinq filles, qui ne lui causèrent pas tous la même satisfaction.

L’un de ses principaux actes, étant curé à Rerlin, avait été la création, sur l’ordre du prince-électeur, Frédéric III, de la faculté de théologie, à l’université de Halle (1694). Spener eut soin en effet d’installer dans les chaires de la faculté ses plus chauds disciples et amis : Joachim-Justus Breithaupt, Auguste-Hermann Francke, Jean Baier, à qui succéda bientôt Paul Anton, l’ami de Francke, Jean-Henri Michælis, Joachim Lange, Jean-Daniel Hernschmied.

C’est alors que se développa l’école piétiste de Halle, parallèlement à celle de Wurtemberg.

III. Les écoles de Wurtemberg et de Halle. — L’introduction du piétisme en Wurtemberg a eu la plus grande importance pour la suite de son histoire. II a pris en effet, dans cette région, un caractère plus humain qu’à Halle et chez les Herrnhules de Zinzendorf, ce qui lui a permis de prolonger son existence jusqu’à nos jours. On a vu que Spener avait fait à Tubingue (en passant par Stuttgart) un séjour de quelques mois, au cours de 1662. En dehors des raisons religieuses, des motifs d’ordre économique et social expliquent la diffusion du piétisme dans cette région. C’est ce qu’un écrivain du temps expliquait en ces termes : « Quand on frappe son chien tout le jour, il s’en va pour chercher un autre maître qui le traitera mieux. Tout le monde ici tape sur le pauvre peuple, le duc, les soldats, les chasseurs. Voilà pourquoi les gens cherchent un autre maître et trouvent le Christ, et celui qui cherche le Christ est un piétiste. » Ritschl, Geschichte des Pietismns, t. iii, p. 8.

Au surplus, les princes du pays, tout en se gardant eux-mêmes de l’esprit piétiste, trouvèrent politique pour eux de favoriser l’expansion des idées de Spener dans leurs états. A partir de 1698, il y eut toute une série de prédicateurs piétistes à la cour ducale : Hedinger, Hochstetter, Urlsperger, etc. L’autorité religieuse du duché avait pris, dès 1681, des mesures nettement empreintes de l’esprit répandu par Spener : ordonnance pour l’instruction religieuse des enfants (1681), ordonnance pour la confirmation, pour la prédication et la confession, pour la discipline ecclésiastique, édit de 1694 sur l’enseignement de la théologie, complété par un rescrit de 1695, sur les études bibliques.

Depuis les environs de l’année 1680, les réunions privées, qui étaient l’une des institutions essentielles du piétisme, avaient commencé à se pratiquer, sous le nom de Stunden ( « Heures » ) en Wurtemberg. De bonne heure pourtant, en ce pays des fortes individualités, l’autorité consistoriale eut à combattre les tendances séparatistes. La création de Collegia pietatis par certains répétiteurs de Tubingue, vers 1703,

amena des négociations avec les autorités. Les réunions furent permises officiellement, mais à condition de rester sur le terrain strictement ecclésiastique. On désirait même que les assemblées se tinssent à l’église. Un édit de 1 703 engagea la lutte contre le séparatisme. Un second édit, en 1706, vint interdire les conventicules sectaires. Un troisième édit, en date du 2 mars 1707, menaçait d’expulsion les séparatistes qui, dans un délai de trois mois, refuseraient de fréquenter l’église et les sacrements. Le mouvement individualiste lassa pourtant la patience des autorités qui durent peu à peu se relâcher de leur sévérité et un édit de 1743 accorda la liberté de réunion religieuse, sous quelques réserves.

La faculté de théologie de Tubingue compta de nombreux amis de Spener parmi ses professeurs les plus influents et cette circonstance fut un facteur particulièrement utile au piétisme dans la région. Les plus connus de ces maîtres furent : Jean-Wolfgang Jàger (1692-1720), Jean-Christophe PfalT (1699-1710), André-Adam Hochstetter (1700-1717), Christophe Reuchlin (1700-1707), etc. Cette influence de l’enseignement universitaire explique pourquoi le piétisme se répandit surtout dans le clergé, dans la bourgeoisie des villes et dans le peuple des campagnes. La noblesse et la cour restèrent en dehors du mouvement. Il y gagna en popularité. Il s’incrusta dans les mœurs. Il conserva le sens ecclésiastique. Il resta en contact étroit avec la science théologique représentée à l’université de Tubingue. Les Stunden ou réunions de piété se maintinrent ainsi comme une tradition locale. Sans perdre le contact avec les autres formes du piétisme — tel qu’il se développa à Halle ou chez les amis de Zinzendorf — le piétisme wurtembergeois garda une certaine largeur, une modération, un esprit scientifique qui lui valurent beaucoup de sympathies et assurèrent sa persistance.

En face de ce piétisme intelligent et raisonnable de Wurtemberg, celui de Halle présente un caractère marqué d’étroitesse. Là, ce fut Auguste-Hermann Francke qui donna le ton. Ce personnage possédait une puissante individualité. Il était né à Lubeck, en 1663. Il excellait dans la connaissance du grec et de l’hébreu, « les deux yeux des études théologiques ». Sa conversion, en 1689, avait été un événement. Un jour, en préparant un sermon sur le texte johannique, Joa., xx, 31 : « Ceci a été écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils deJJieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom », il reconnut soudain l’état désolant de son âme : « Je vis, dit-il, toute ma vie passée se dérouler devant moi, comme on voit une ville du haut d’un clocher. Mes péchés se présentèrent à moi si distinctement que j’aurais pu les compter, et bientôt j’en découvris la source principale, à savoir mon incrédulité, ou plutôt la prétendue foi qui ne me servait qu’à me tromper moi-même… Tous mes doutes disparurent alors par enchantement, j’eus dans mon cœur l’assurance de la grâce de Dieu en Christ et je pus appeler Dieu mon Père. Toute tristesse et toute inquiétude me furent enlevées, un torrent’de joie inonda mon âme. » C’était à la suite de cette « conversion » qu’il était entré en rapport avec Spener qui, dès lors, devint en quelque sorte son directeur d’âme et prit beaucoup de peine pour modérer les ardeurs un peu intempérantes de son caractère. Devenu pasteur de Graucha, en janvier 1692, à la suite de son départ forcé de Leipzig, il prit part presque tout de suite à l’enseignement universitaire à Halle. Mais son influence lui vint d’ailleurs. Il s’intéressait vivement aux enfants pauvres et abandonnés. Il en réunissait chez lui un certain nombre et les faisait instruire. En 1695, son presbytère devint une véritable école. Un legs lui permit d’ouvrir un orphelinat. L’établissement