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culières qui encombraient les polémiques de Gilbert Crispin ou d’Odon do Cambrai sur des points particuliers du dogme chrétien. Il réduit la sienne à quatre points essentiels, qu’il résume ainsi : « J’ai donc prouvé, ô juifs, en quatre chapitres : loque le Christ prédit et prêché par les prophètes doit être regardé comme le Fils de Dieu, et non pas à la façon de quelques nommes, qui, à cause d’une grâce reçue de Dieu, ont été appelés fils de Dieu, mais à cause d’une filiation naturelle de l’essence du l’ère. J’ai prouvé : 2° que ce Fils de Dieu était aussi Dieu lui-même, et non pas du nombre de ces dieux dont il est écrit : « Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé » (ps. xlix), mais que vraiment, comme il est lumière de lumière, il est Dieu vrai de Dieu vrai. J’ai prouvé : 3° que ce même Christ ne doit pas être envisagé comme un roi terrestre et charnel, ni son règne comme un règne temporel, car on a montré que le principat terrestre ne convient pas à Dieu, ni des avantages périssables à l’Éternel. J’ai prouvé : 4° que le Christ est déjà venu, et que Celui qui est déjà venu ne doit pas être désormais attendu par les juifs, ni par d’autres. » Col. 569.

De ces quatre chapitres, les deux premiers, où il reprend les arguments scripturaires de la lettre au moine Pierre, sont encore bien théologiques, et l’auteur lui-même semble s’en être aperçu ; mais ils étaient restés depuis saint Justin dans la littérature du sujet, et Pierre de Cluny eut le grand mérite de ne pas chercher la révélation de la sainte Trinité dans les livres des juifs. Mais le troisième chapitre sur la royauté spirituelle du Messie, s’il est quelque peu outré, nous semble très digne de remarque pour cette époque, et les mobiles que l’abbé de Cluny assigne aux errements politiques des juifs dénotent en lui une connaissance profonde de leur âme ; et il en vient, dans des termes parfois hargneux, à accuser les dispositions morales de ses adversaires. Col. 539. Quant à la date de la venue du Messie, le quatrième point de son réquisitoire, il ne pouvait guère se dispenser de suivre Tertullien dans l’interprétation traditionnelle de la prophétie de Jacob et des soixante-dix semaines de Daniel. Voir plus haut, Daniel, t. iv, col. 93.

La véritable originalité de l’apologiste clunisien se montre dans les longs appendices de son œuvre (col. 570-C01) ; là, sous forme de réponses aux objections des juifs, il expose, d’une façon un peu touffue, des questions strictement apologétiques, et d’abord l’abolition de l’ancienne alliance. Col. 573. Il tente de se libérer, par une exégèse hardie, des mots testamentum seternum, à grand renfort de textes des prophètes, voire de Virgile et d’Horace : cum conslet et auctoribus sacris et humani usus exemplis, œternitatis nomine non semper res infinitas, sed quandeque finitas signari. Col..579. Mais il sent le nœud de la difficulté, pour lui comme pour son adversaire : Solve. si potes, objectum nodum sensu judaico ; aut, si non potes (quod vere non potes), acquiesce sano ac veraci intellectui christiano. Col. 575. Ce sens chrétien, c’est celui de saint Augustin, qui distingue la portée morale de l’ancienne Loi, toujours en vigueur, et sa portée rituelle toute précaire, parce que figurative des réalités chrétiennes ou éternelles : finitum dico [tegem], ut quidam magnus ex noslris ait, non quantum ad modum agenda’vitæ, sed quantum ad modum significandæ vitir. Col. 580. Finiuntur illa [sacrificia et similia ], sed vita, ad quam ducunt, non finitur seterna. Col. 581. Nous sommes loin encore de la réponse si précise de saint Thomas, I’-IP, q. en, a. 2, et des considérations de Pascal sur ies deux ordres de grandeurs, mais nous sommes sur la voie.

La preuve par les miracles est donnée dans un certain désordre, mais avec une grande rigueur de raisonnement. En voici l’énoncé : « Jésus s’est dit le

Messie, le Mis de Dieu, Dieu lui-même et roi éternel. Si ces prétentions étaient fausses, non seulement aucun miracle ne les aurait suivies ou accompagnées, mais plutôt il aurait été condamné comme menteur, blasphémateur et impie. Et comme toutes ces affirmations sur lui-même, il les a enseignées, et que, ceux qui les ont crues, il en a fait comme de tout-puissants thaumaturges à leur tour, il est clair que tout ce qu’il a dit de croire sur sa personne, il faut le croire sans la moindre hésitation. » Col. 588. Là-dessus, l’auteur prouve l’historicité de ces miracles par l’existence même des livres du Nouveau Testament, puis par la conversion du « monde presque entier » au christianisme : Jacet jam substrata Christo mundi superbia, et lotus mundamv gloriiv faslùs, damnati ab hominibus et crucifixi ignominiiv servit. Il y a loin de cette conversion du monde au Christ, à une époque de pleine civilisation, à la diffusion de l’idolâtrie aux temps barbares, et même au succès du mahométisme, dans un pays particulier : point n’est besoin pour « cette hérésie » de miracles, ni de raisons, là où la force publique et l’instinct du plaisir travaillaient de concert.

Au contraire, pour que le monde entier se trouve converti au christianisme, aucune raison suffisante en dehors des miracles du Christ. Car, ici ne joue ni la tradition d’un pays, ni la raison philosophique, mais, au contraire, c’est l’opposition des païens charnels, et la persécution des empereurs. Col. 589-593. Jamais encore, malgré ce que l’information historique peut avoir d’unilatéral, cette preuve par la conversion du monde n’avait été résumée avec une telle vigueur.

Les miracles chrétiens, que l’on suppose nécessaires, sont d’ailleurs plus grands que ceux de Moïse et d’Élie, col. 570 ; comme ceux-là, ils sont historiquement prouvés et non obtenus par la magie. Col. 594-596. Mais ceux des anciens prophètes étaient dus à leur prière, tandis que ceux du Christ sont faits par sa propre puissance, col. 597 ; « ils sont donc divins, vrais et solides, et — signe particulier — ils sont utiles : sola enim vere utilitas miraculorum Christi, etsi cuncta supradicta deessent, ad idem [ = veracitalem ] probandum sufficeret… Discernit et dividit prorsus a diapolis figmentis divina miracula utilitas humana… Novi enim mages… multa quandoque lucrari… ; non de his ego cammodis ago…, sed de illis miraculis quæ aut œlernas animarum saluti jamulantur, aut quorum saltem remediis corpora humana curantur. Col 598. Tout cela s’inspire d’une belle confiance dans la droite raison, d’un humanisme tranquille et d’une saine appréciation des valeurs spirituelles. Sa prédilection pour les miracles amène Pierre à se prévaloir des prodiges contemporains : moderno tempore facta, tantaque ut, si et antiqua deessent, ad integrum christianie fidei robur sufficere possent. Col. 600. Pourquoi faut-il qu’il en arrive à se porter garant du feu mystérieux du samedi saint au Saint-Sépulcre. Col. 601. Pourquoi aussi a-t-il cru nécessaire d’allonger son apologie d’un quart en réfutant les fables ridicules du Talmud ? Col. 602-630. Les juifs sans doute l’y avaient obligé par leurs injures et il espérait en convertir quelques-uns. Col. 603.

3. Adversus nefandam sectam Saracenorum, P. L., t. cit., col. 663-719. — Ce traité, dont nous n’avons plus que les deux premiers livres, fut composé par Pierre à son retour d’Espagne, vers 1143 ; il devait avoir la même étendue que V Adversus judœorum inveleratam duriliem et répondait aux mêmes intentions apologétiques assez spéciales : tenter de ramener à la vraie foi quelques égarés, et montrer que l’Église a réponse à toutes les hérésies : Noscitur in republica magni Régis quædam fieri ad tutelam, quædam ad decorem, quædam ad utrumque, col. 651, écrit-il à saint Bernard dans la lettre où il lui envoie sa notice sur le mahométisme et la traduction qu’il a fait faire