Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/317

Cette page n’a pas encore été corrigée

2069

    1. PJKRHK LE VENERABLE##


PJKRHK LE VENERABLE. ŒUVRES

2070

chose nouvelle — son exégèse cherche le sens littéral, celui (lu texte original et du contexte : jamais volontairement il ne recourt au sens figure.

II. Œuvres. — Sans pouvoir discuter ici les dates, nous mettons en tête trois lettres d’allure théologique qui semblent du début de son abbatial : c’est, en effet, dans l’un de ces traités que Pierre de Poitiers, sou secrétaire, voyait l’œuvre " d’un homme encore jeune » hominem pâme adhuc primsevum ; or, il ne fut à son service qu’aux alentours de l’année 1134, et à ce moment Pierre de Cluny avait déjà 12 ans. Ainsi, de 1130 à 1136, l’abbé de Cluny composa à l’usage de ses moines deux de ces trois lettres théologiques que nous allons analyser ; deux ou trois ans plus tard, il envoyait aux évêques de Provence son traité de controverse contre les partisans de Pierre de Bruys (1138-113 !)) : vers 1140, il composait son grand traité contre les juifs et, en 1143, il entreprenait, pour les besoins de l’Église universelle, une réfutation du Coran, se réservant de revenir en ses dernières années à ses sujets préférés, les sermons et le De miraculis.

Les lettres.

Elles furent constituées en recueil

par Pierre de Poitiers, son secrétaire, col. 47, qui comptait sur la bonne volonté de certains correspondants pour lui renvoyer l’original ou la copie de quelques-unes. Col. 365 et 409. Ce recueil « en un volume » est signalé dans le catalogue des livres de Cluny de 1160, Delisle, Cabinet des manuscrits, t. ii, p. 673, et la chronique de Cluny a spécifié que ce recueil contenait 215 lettres disposées en six livres. Dans quelle mesure Pierre de Montmartre, qui les édita en 1529, avec des interpolations, a-t-il suivi l’ordre des mss., et comment André Duchesne, voulant expurger cette édition, a-t-il été amené à changer l’ordre chronologique primitif ? c’est une précision qui n’a pas ici sa place, d’autant qu’elle importe assez peu à l’étude de la théologie de Pierre le Vénérable. Il n’a laissé, en effet, que trois lettres proprement théologiques, dont deux écrites de 1130 à 1135.

1. La moins importante, et la première en date, a été placée par Pierre de Poitiers en tête du 1. II des lettres de son abbé (col. 175), avant une autre lettre qui ne peut être postérieure à 1132 : ce serait donc là le premier essai théologique dont il félicite son maître. Elle donne, en effet, une idée assez avantageuse de sa christologie, et combat l’apollinarisme. Elle est adressée à un moine, qu’il ne veut pas nommer, mais qui propage ses erreurs « depuis longtemps déjà » dans un des monastères soumis à son obédience. Pour lui, autant qu’il les connaît, l’auteur est un apollinariste qui s’ignore, puisqu’il dénie à Jésus-Christ toute âme humaine, tout en lui reconnaissant une humanité réelle : dicens Saluatorem nostrum humanam non liabuisse animam, cum in eo carnis humanæ non neges naturam. « N’ayant pas sous la main les écrits des Pères » qui ont combattu cette hérésie, l’abbé de Cluny dresse contre elle un réquisitoire en quatre preuves de plus en plus directes. La première fait appel à la croyance chrétienne au salut de l’homme, de son âme et de son corps, par le Christ qui a pris, pour cela même, une âme et un corps, quoniam quidquid saluatum, totum necessario oportet fuisse susceptum. Quod si totum susceptum est, anima, dignior pars Iwminis, exclusa non est. On reconnaît, mis en syllogismes, le décret de Damase et l’argumentation des Pères grecs. Second argument plus philosophique : la descente du Verbe dans l’humanité n’a pu se faire que dans une âme raisonnable, cum constet quod nulla creatura Creatoris susceptibilis esse possit, nisi eum et intellectu agnoscere, et amore diligere, et spontanco imleat obsequio venerari. Ce sont, on le voit, les conditions de l’union de grâce qui sont transposées à fortiori à l’union hypostatique. Autre argument de bon

sens, mis en forme dialectique : » Le Sauveur est-il un homme ? Oui. Eh bien, quand avez vous vu un homme sans âme ? Ce serait un demi-homme ! Dernière preuve très réaliste : tout apollinariste doit dire et c’est bien là ce que montre l’histoire de cette hérésie

— ou bien que l’humanité du Christ était menée par une âme animale, ou bien que la divinité y faisait les fonctions de la vie et de la sensibilité. Mais aucune de ces opinions ne rend compte de la psychologie humaine du Christ telle qu’elle ressort des évangiles : comment expliquer la croissance de Jésus en sagesse ? comment entendre l’afflux en lui de l’Esprit du Seigneur au moment du baptême ? On voit que le théologien de Cluny prenait au pied de la lettre les textes évangéliques. Il faut donc dire que le Christ a progressé, et a souffert dans une âme, sœur de la nôtre, dont l’existence d’ailleurs est affirmée en vingt passages des évangiles et supposée par la « voix apostolique », c’est-à-dire le symbole des apôtres.

2. La seconde lettre théologique de Pierre, t. III, 7. col. 283-294, est une réponse assez prolixe, à une consultation d’un de ses moines, Grégoire, sur trois sujets de théologie mariale. On ne peut préciser la date de cette réponse, qui a pris place au 1. III de la correspondance, après une lettre de 1130 à Innocent II et une autre à Ponce, non encore abbé de Vézelay (1138) ; autant qu’on peut se fier à l’ordre chronologique de ce recueil des lettres, on peut placer celle-ci aux environs de 1135, celles du 1. IV datant de 11361137. Les trois questions de Grégoire sont posées en termes scolastiques ; a) L’trum beatæ Virgini matri… in adventu Spiritus sancti die Pentecostes facto super apostolos, aliquid gratiarum auctum sit. b) Qua ralione post conceptum Dei Filium…, gloriosa illa Maria aliquid in creaturis ignorewerit. c) [Hieronymiisj dicit « tempus non præjudicasse sacramento uniti hominis et Dei, ita ut jam effet in illo per unitatem personee ab initia sœculi, qui needum erat natus de Maria virgine ». Scolastiques par leur objet, ces questions supposent à Cluny, sinon une école théologique, du moins un groupe restreint de moines habitués à ces sortes de problèmes et formés à les résoudre dans un certain sens, qui est bien celui de leur abbé. En effet, pour ce qui concerne l’accroissement de grâce en Marie, Pierre de Cluny adopte les arguments de Grégoire, et soutient l’opinion, déjà moins commune au xii° siècle, et aujourd’hui insoutenable, que la Vierge n’a pas crû en grâce après l’incarnation du Verbe, et que, d’ailleurs, elle surpassait en grâce, dès cet instant, tous les hommes et tous les anges réunis. Il va même plus loin, et, distinguant parmi les dons de la grâce les majora, sine quibus salus non est, et les minora, sine quibus salus intégra esse potest, il pensa que, parmi ce que nous nommons les gratiæ gratis data’, la sainte Vierge reçut, même avant la Pentecôte, le don des miracles, mais qu’en ce jour elle ne partagea peut-être pas avec les apôtres le don des langues « puisque son rôle n’était pas de prêcher Évangile » ; mais, sur ce dernier point, il se défend de rien affirmer.

Sur la seconde question, l’omniscience de Marie, il se montre tout à fait partisan de la négative, et les objections de son correspondant, qui reflétaient sûrement la pensée des milieux dévots de son temps, il les traite comme les arguments Videtur quod non de la Somme de saint Thomas : le mot de saint Paul : in quo erant thesauri sapientiæ s’appliquant au Christ et à sa mère quanquam aliter ; celui de saint Grégoire : videnti Crealorem angusla est omnis creatura, n’étant qu’une pensée d’un auteur non infaillible, et qui d’ailleurs ne signifie pas ce qu’on veut lui faire dire ; ’l’affirmation contraire d’un « auteur » anonyme lui paraissant venir de rudi et incircumspecto corde, et confondre pour Marie les conditions de la terre et celles de la vie future.