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PIERRE DE TRABIBUS
(H)

réprouva. Le décret Fidei catholicat fundamento du

6 mai 1312 déclare erronée et contraire à la doctrine catholique l’assertion, d’après laquelle la substance rationnelle et intellective de l’âme n’informe pas vraiment et par elle-même le corps humain. La question de la pluralité des formes substantielles dans l’homme y est laissée intacte.

Comme conséquence de cette théorie sur le mode d’union consubstantiel mais non formel de la forme intellective avec le corps humain, Pierre de Trabibus nie que la forme intellectuelle de l’âme soit spécifiquement distincte du pur esprit ou de l’ange. Une autre conséquence de sa thèse sur le mode d’information du corps par l’âme est sa théorie sur la relation qui existe entre les puissances ou les facultés de l’âme et l’âme elle-même. Cette question était vivement discutée au xme siècle entre les augustiniens et les aristotéliciens. Pierre de Trabibus se rallie étroitement à l’école augustinienne et franciscaine et combat âprement la thèse aristotélicienne et thomiste. Il considère les facultés de l’âme comme des parties constitutives formelles de la substance spirituelle ou de l’âme, qui, toutes prises ensemble avec la matière spirituelle, constituent l’âme. Il rejette donc toute distinction réelle entre l’âme et ses facultés. B. Jansen, art. cité, p. 251.

Pierre de Trabibus, comme d’ailleurs Olivi, rejette les raisons séminales et, chose curieuse, il les identifie avec la potentialité aristotélicienne ; ce que l’on n’attendrait guère chez un représentant aussi acharné de l’école augustinienne. Les textes, cependant, sont formels et explicites :

Videtur dicendum secundum Augustinum, a quo ad nos pervenit vocabulum rationis seminalis, quod ratio seminalis, si proprie accipiatur, est vis déterminât » proportionis materia ? secundum exigentiam generabilis speciei alicujus virtuti agentium proportionalis vel proportionat ». Elementa enim sunt diversimode proportionalia… hanc vero proportionem elementa non se habent active, Ad sed passive. Ideonon estactu in materia… Propter quod non ponit in materia nisi possibilem transmutationem ab agente. Ipsa enim materia de se.antequam ab agente determinatomoveatur ettransmutetur ad détermina tam speciem generabilis alicujus, indifferens est ad generationem cujuslibet speciei, sed determinatur ab agente ipsam transmutante et assimilando ad speciem similem virtuti appropriai » agentis universalis, si agens particulare specificum desit. B. Jansen, art. cité, p. 251-252.

Notons encore que Pierre de Trabibus rejette que la lumière soit un corps et qu’au sujet des aristotéliciens qui défendent cette théorie, il exprime avec ironie son étonnement qu’ils se disent les disciples d’Aristote, alors que ce dernier enseigne avec lui que la lumière n’est pas un corps : Sed cum isti Aristotelis sequaces essenl, miror, quomodo in hac quæstione tam ab eo diverlere possunt, qui probat II De anima lumen corpus non esse. B. Jansen, art. cite’, p. 252.

La connaissance.

La théorie de la connaissance

de Pierre de Trabibus dépend intimement de celle de Pierre Olivi. Elle n’est d’ailleurs qu’une conséquence logique de sa théorie de la cohérence au sujet des facultés de l’âme et de l’information du corps par l’âme. Pierre de Trabibus se sépare de la doctrine de saint Thomas et aussi, en grande partie, de celle de saint Bonaventure, pour se rallier à la thèse de Pierre Olivi. Ainsi, il n’admet pas la théorie de l’illumination, défendue par saint Bonaventure et ses disciples. Sa pensée est très explicite sur ce point dans le 1. I de son commentaire qu’on peut lire dans le ms. 154, fol. 21 v°-23 r°, de la bibliothèque communale d’Assise. D’après lui, on ne peut connaître que de trois façons quelque chose en Dieu ou dans la lumière divine : d’abord sicut in primo efjectivo, en tant que Dieu a fait et conserve l’intelligence, lui a donné l’être et la faculté de connaître et

celui-ci est le mode naturel de connaître ; ensuite, sicut in radio monstrativo, en tant que Dieu élève et illumine l’intelligence par un charisme spécial supra yradum naturalis jacultatis et de cette façon ont connu les prophètes, illuminés par Dieu ; enfin sicut in speculo reprwsenlativo, en tant que l’intelligence voit toutes les raisons des choses en Dieu, se révélant lui-même dans la vision béatifique et ce dernier mode ne peut se réaliser que dans la vision de Dieu lui-même dans son essence, puisque les raisons des choses en Dieu se confondent avec l’essence divine, de sorte que ce mode ne convient qu’aux bienheureux. Pour les textes, voir B. Jansen, art. cité, p. 248, et E. Longpré, art. cité, p. 273, n. 3. D’après Pierre de Trabibus, les deux derniers modes de connaître n’appartiennent pas à l’ordre naturel, ni à la voie commune de connaître. Par conséquent, si l’on dit que l’intelligence voit en Dieu les raisons des choses, il faut l’entendre du premier mode, à savoir sicut in primo efjectivo ou causaliter, en tant que notamment Dieu donne à l’intelligence la force naturelle pour s’élever d’elle-même à la connaissance de la vérité. Quant à la théorie de saint Augustin et de saint Bonaventure sur l’illumination divine de l’intelligence, le maître franciscain confesse qu’il ne comprend pas comment on peut la défendre. Il affirme toutefois qu’auparavant il a partagé et soutenu la même théorie : Sed licet credam Augustinum in prsefata sententia piam et reclam intentionem habuisse, fateor lamen me non intelligere, quomodo isla opinio habeat verilatem, licet quondam ipsam tenuerim. Il résulte de cet exposé que Pierre de Trabibus n’est point un représentant fidèle de l’augustinisme traditionnel de saint Bonaventure et de son école.

Quant à l’origine de la connaissance, le maître franciscain admet que toute connaissance débute avec les sens. Cf. B. Jansen, Die Erkenntnisslehre Olivis, Berlin, 1921, p. 84-85. Il rejette toutefois tout influx causal de l’objet sur l’intelligence : sa causalité n’est qu’une causalitas terminalina. La présence de l’objet, ou en lui-même ou dans sa species memorialis, est cependant requise comme conditio sine qua non pour la perception ou la connaissance intellectuelle : Inlelligere non est speciem suscipere sed eam agere ob objecti prœsentiam in se vel in sua specie in memoria retenta. E. Longpré, art. cité, p. 275. Pierre de Trabibus rejette aussi la species expressa et la species impressa, aussi bien sensibles que spirituelles, admises par tous les scolastiques antérieurs. D’où il résulte qu’il n’admet pas non plus l’intellect possible ni l’intellect agent. D’après lui, l’intelligence n’est pas toujours en acte, mais elle est plutôt constamment en puissance à l’égard de nouvelles connaissances : Semper est in potentia ad aliqua intelligenda. II Sent., dist. XXIV, q. iv, ad 5um, cf. E. Longpré, art. cité, p. 275 et 282. En outre, l’intelligence a en commun avec l’âme la matière qui entre dans la composition de tous les êtres et qui implique une certaine passivité ou potentialité. C’est seulement dans ces deux sens que l’intelligence constitue une puissance passive réceptive. L’intelligence n’est point passive en ce sens qu’étant susceptible de recevoir toutes les espèces et devant être informée par elles pour être en acte d’intellection elle a besoin que l’intellect agent, illuminant les phantasmes et les dépouillant de leurs conditions matérielles, les rende intelligibles en acte et propres à féconder la faculté passive immatérielle. D’après Pierre de Trabibus, les textes de saint Augustin abondent, qui s’opposent absolument à pareille doctrine. Cf. E. Longpré, art. cité, p. 278-279. De plus, il affirme qu’il faut refuser l’existence de l’intellect possible à cause de l’autorité des saints qu’il juge devoir suivre de préférence aux philosophes infidèles et il soutient que ses adversaires n’ont pour eux aucune