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PIERRE DE T HABIB US


triple but : hausser le niveau des âmes en leur offrant une nourriture et une direction ; donner une plus claire intelligence de la foi en même temps que des armes pour sa défense ; allumer le feu divin dans le monde ». Ce programme, il a tâché de le réaliser dans son commentaire sur les Sentences, qui est le fruit de longues années d’enseignement, pendant lesquelles il s’appliqua sans relâche à la lecture des Pères dans leur texte original et cultiva les grands maîtres scolastiques. Malgré ses attaches avec l’augustinisme et surtout avec Olivi, Pierre de Trabibus, cependant, marchait son propre chemin et n’était pas de tempérament à jurer sur la parole d’un autre en matière controversée : Recordetur kclor libri hujas corum quæ dixi in principio primi mei, sçilicet me in hoc opère loqui npinando. et inquirendo et nihil simpliciter asserendo, nisi quod haberi potest ex fide et scriplura vel ex ratiune certa et manifesta. Attendat etidm me loqui aliquando secundum quod consuetum est dici nihil aliud inquirendo ex principali proposito et intenlione. On peut déduire de ce passage le sens critique avec lequel il traita les questions philosophiques et théologiques. Le passage suivant n’est pas moins caractéristique à ce sujet : Prolixitatem autem imputé ! difficullati quæstionum et multiplicitati opinionum et conditionum. H assure qu’il ne redoute pas l’envie ni la faveur du public, car il sait ce que valent les opinions à la mode. Il proteste que la foi et la raison unies intimement lui dicteront toujours ses solutions : « En fait d’opinions, cependant, il gardera toujours la sage liberté, dont ont usé ses devanciers. » F. Delorme, art. cité, p. 262-263. Pierre de Trabibus veut donc rester lui-même en matière controversée, ne jurer sur la parole d’aucun autre maître et ne dépendre servilement d’aucune école ou courant doctrinal. Pour plusieurs théories, il s’éloigne de l’école augustinienne, pour laquelle, cependant, il ne cache pas ses préférences, comme nous aurons l’occasion de le montrer dans la suite. En de nombreux points, il se sépare même de son maître Pierre Olivi, auquel par ailleurs il se rattache si étroitement.

Pierre de Trabibus combattit de préférence Aristote et les scolastiques qui, en philosophie et en théologie, voulaient introduire les théories péripatéticiennes, comme en témoigne suffisamment le passage suivant : Quidam intendenles philosophiam staluere et theologiam sub ea captivare quæstiones theologicas omnino philosophice tractantes, quasi philosophi prophetæ fuerint vel evangelistæ.

Quant à l’exposé des questions traitées, Pierre de Trabibus les divise en distinctions, articles et questions. Il se plaît à examiner les questions au point de vue théologique, bien souvent négligé par Olivi. Il enveloppe l’exposé de sa manière de voir et de ses opinions de nombreuses vues d’ensemble historiques. Il révèle et déclare avec franchise ses propres opinions, alors qu’Olivi tâche de les voiler et de les cacher, de sorte qu’on connaît avec certitude les théories de Pierre de Trabibus, alors que celles d’Olivi restent bien souvent douteuses.

Doctrine trinilaire.

— Pieire appartiendrait au courant néo-platonicien, inauguré par Richard de Saint-Victor et continué. par Guillaume d’Auxerre, Guillaume d’Auvergne et par la quasi-unanimité des docteurs franciscains du xme siècle. Cf. M. Schmaus, Der « Liber propugnatorius » des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zwisehen Thomas von Aquin und Duns Scotus, t. il. Die trinitarischen Lehrdi/Jcrenzen, dans les Reitràge de Bâumker, t. xxix, Munster, 1930, p. 654-655.

L’existence de la sainte Trinité ne peut être connue que par la foi ; la raison, toutefois, peut fournir quelques indications qui amènent à connaître l’existence de la sainte Trinité. Ainsi, la raison peut

déduire l’existence de la sainte Trinité de la summa per/eclio, de la summa bonitas, de la summa intellectualitas, de la summa simplicitas de Dieu, ainsi que du principe que toutes les émanations doivent être ramenées à une première émanation :

Respondeo dicendum, quod pluralitatem personarum esse in Dao fides déterminât, Scriptura clamât, ratio incitât… Ratio enim hoc probat, licet fortassis non simplicité ! et ex toto necessaria de facili non occurrat. Patet autem hoc supponendo quod, si in Deo est ponerc interiorem productionem seu emanationem, ibi est ponere personarum pluralitatem, quo supposito patet propositum accipiendo quatuor, quae omnis intellectus rationalis in Deo ponit et esse concedit, scil. perfectionem entitatis, perfectionem bonitatis, perfectionern intellectualitatis et perfectionem simplicitatis.

Il démontre ensuite comment la raison, en partant de ces quatre qualités, qui se trouvent éminemment en Dieu, doit arriver nécessairement à accepter plusieurs personnes en Dieu et conclut :

Ergo necesse est Deum seternaliter aliquid producere tam secundum rationem natune quam secundum rationem voluntatis ; tamen productio ejus passlva non est secundum perfectionem voluntatis, eo quod non perfecte eam exprimit nec adîequatur, immo distat in infinitum. Ergo necesse est ponere in Deo Deum producentem et sic pluralitatem personarum. Ms. 154 d’Assise, fol. 13 v° a.

Après avoir déterminé qu’il existe en Dieu des productions, et après avoir analysé les notes caractéristiques d’une génération humaine, à savoir, le principe générateur, le changement, la production, la similitude et la dissimilitude, Pierre de Trabibus attribue les mêmes qualités à la génération divine, à l’exception du changement. Il nie cependant que l’acte générateur puisse être attribué à l’essence divine, quand on la considère d’une façon absolue et comme étant commune aux trois personnes divines. On ne peut le lui attribuer que dans le cas où l’on considère l’essence divine selon un mode d’être déterminé. Il s’efforce ensuite de prouver la vérité et l’orthodoxie de la formule richardienne : substantia générât substantiam (ms. cité, fol. 35 r°a).

Par la formule Filius est de essentia Palris, on ne veut désigner qu’une habitudo originis et essentialis identitatis entre le Père et le Fils. Par la génération divine, la personne, le supposilum du Fils est produit, mais non l’essence divine, qui n’est que communiquée au Fils (cod. ci té, fol. 35 vb). Il en résulte que, nonobstant la condamnation de la théorie de Joachim de Flore, on continua à tenir l’opinion, selon laquelle l’essence divine était engendrée aussi d’une certaine façon non en tant qu’elle est considérée d’une façon absolue et commune aux trois personnes divines, mais en tant qu’elle subsiste d’une façon déterminée. La puissance générative, d’après Pierre de Trabibus, est l’essence divine considérée selon un mode déterminé de subsister ; elle comporte l’innascibilité et la puissance de produire, fondées sur l’innascibilité (ms. cité, fol. 38 v°a).

Le Père produit le Fils natura autrement dit la génération du Fils par le Père est une production naturelle. Ce qui, dit Pierre, est vrai d’une double façon, d’abord dans le sens que la nature, considérée selon un mode déterminé d’exister, à savoir celui de l’innascibilité, est le principe de la génération ; ensuite dans le sens que la génération se produit secundum naturalem modum et secundum modum convenientem natura’produetionis. Il déduit la vérité de ces dires du caractère parfait de la génération et de la nature de la relation : Quod etiam ostendit perjectio generationis et natura relationis. La génération, en effet, est d’autant plus parfaite qu’il existe une similitude plus grande entre le générateur et l’e : igendré in natura et secundum modum convenientem naturæ generantis. Or. il est établi qu’en Dieu existe le mode le plus parfait d’engendrer. Ergo generatio divina est a natura