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PIE M KI- : LOMHAKI). METHODE DE TRAVAIL

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Lombard. Au contraire, on pourra voir dans les listes des opinions in quibus Magister non tenetur, qu’il s’est plus d’une lois aventuré à énoncer des thèses contestables, et d’autres fois il avouait sans détour son impuissance à trouver une solution acceptable, voir col. 1983 ; dans ces conditions, on ne voit pas trop pourquoi en d’autres cas il aurait voulu se dérober sous l’anonymat, comme quarante ou cinquante ans plus tard l’a fait Langton.

Sources patristiques.

Composés à l’aide de matériaux multiples, les IV libri Sententiarum soulèvent

tout de suite une question : à quelles sources patristiques s’est alimentée la pensée théologique de Pierre Lombard ? Comme premier résultat, simple affaire de statistique, on-peut dire que les écrivains anténicéens n’ont guère été utilisés par le Magister Sententiarum, pas même Tertullien ou Irénée, qu’on connaissait encore à l'époque carolingienne ; même Cyprien, dont l’Occident possède une cinquantaine de mss. antérieurs au xme siècle, et qui avait été mis si abondamment à contribution dans les controverses des investitures, n’intervient que quatre fois ; Hermas, dont les traductions latines figurent une vingtaine de fois au moins dans les bibliothèques médiévales, n’est représenté que par un seul texte, sur le divorce ; encore est-il dû à une mauvaise transcription des collections canoniques d’Yves de Chartres, de Gratien et d’autres, qui sont, avec le Sic et non d’Abélard et la Glossa ordinaria de Walafrid Strabon (Slrabus), les grands pourvoyeurs de textes patristiques pour les Sentences. C’est ainsi qu’Origène arrive à figurer une dizaine de fois, et Jean Chrysostome, à peu près deux fois autant, l’un et l’autre grâce à la Glossa ; tandis qu’Isidore de Séville n’est représenté par aucun passage qui ne soit déjà dans le Sic et non d’Abélard. Les Carolingiens comme Bède, Alcuin, Paschase Radbert et Haymon d’Halberstadt, quels que soient les titres d’authenticité de son œuvre, ont chance d’avoir été utilisés directement ; on peut le croire aussi pour saint Ambroise, peut-être pour saint Jérôme, et pour Grégoire le Grand, mais il ne faudrait pas trop pousser l’affirmation. De l’Orient grec, nous trouvons le pseudo-Denis deux fois, saint Athanase, Hésychius, Didyme et saint Cyrille d’Alexandrie, chacun une fois, tous grâce aux recueils exégétiques. Par contre, Jean Damascène fait son entrée dans la théologie occidentale grâce à l’initiative toute personnelle de Pierre. Lombard, avec à peu près une trentaine de textes trinitaires ou christologiques ; mais ce qui est dit ailleurs suffit pour montrer que la pensée même de Pierre Lombard n’a pas pu s’inspirer beaucoup de l'œuvre du saint Thomas de l’Orient.

Par contre, la lecture de saint Hilaire doit avoir beaucoup aidé à la composition des IV libri Sententiarum, mais dans les chapitres sur la Trinité presque exclusivement ; et, d’autre part, l’abondante documentation augustinienne qui caractérise les Sentences dans chacune des parties dénote, à coup sûr, une connaissance personnelle de l'œuvre d’Augustin, représentée par une bonne soixantaine d’ouvrages, plus une dizaine d’apocryphes. Le nombre des citations authentiques atteint plus d’un millier, c’est-à-dire plus de treize fois la part d’Hilaire lequel, avec un peu plus de quatre-vingts textes, est le Père latin le plus avantagé après saint Augustin. D’une manière générale, la pensée et l’inspiration sont augustiniennes pour tout l’ensemble de l’ouvrage et on a pu dire que c’est une œuvre augustinienne. Mais, si l’on compare la façon d’Hugues de SaintVictor, intérieure et profonde, à la manière beaucoup plus gauche et un peu artificielle des Sentences, on n’hésitera pas un instant à reconnaître à la conception victorine une supériorité de fond beaucoup plus constamment proche que l’autre de la vraie

pensée augustinienne. Pour tout ceci, voir Le mouvement théologique, p. 1 13-1 18 ; / ; '/* marge des catalogues des bibliothèques médiévales, dans les Miscellanea Francesco Ehrle, t. v, 1924, p. 342-348 ;). Annat.Pierre Lombard et ses sources patristiques, dans Bulletin de litt. ecclés., 1906, p. 84-95 ; F. Cavallera, Saint Augustin et le Livre des Sentences de Pierre Lombard, dans Archives de philosophie, t. vii. 2e part., 1930, p. 186 [438J-199 [451].

Argument patristique.

L’utilisation des Pères,

on devrait dire plutôt des textes patristiques, appellerait une autre question. Quelle est la nature de l’argument patristique chez Pierre Lombard ? Qu’est-ce que Vauctoritas pour lui : 't dans l’argument de tradition ? Il n’y a pas lieu de restreindre la question à Pierre Lombard et, par suite, c’est ailleurs qu’il faut la traiter. Disons seulement que Pierre Lombard recourt fréquemment à la tradition d’une manière générale, mais, habituellement, le recours à Vauctoritas n’est pas ce qu’on peut strictement appeler l’argument de tradition ; c’est l’argument d’autorité entendu dans le sens spécial de la méthodique médiévale. L’auctorilas n’est pas limitée aux seuls auteurs inspirés, ni aux seuls Pères de l'Église : même des profanes comme Platon, Aristote, Cicéron, Boèce, peuvent entrer dans le canon des autorités et alors ils passent au rang des auteurs authentici, dont les énoncés robur auctoritatis habent, tandis que dans un degré inférieur, celui des magislri, leurs énoncés ne sont que des verba magistralia ; cf. saint Thomas. Sum. theol., Ila-II*, q. v, a. 1, ad lum. On a même cru que, pour Gandulphe de Bologne, Pierre Lombard était une auctoritas ; mais cette interprétation, admise aussi par l'éditeur von "Walter, ne peut être acceptée. Voir J. de Blic, .Sur la récente édition de Gandulphe de Bologne : Pierre Lombard est-il pour Gandulphe une « auctoritas » ? dans Recherches de science religieuse, t. xvi, 1926, p. 407-415.

Cette méthodique des auctoritates se caractérise aussi par une note conciliatrice entre les autorités, qu’il y a lieu de signaler brièvement : car Pierre Lombard, ici encore une fois disciple d’Abélard, se montre en conformité d’idées avec les tendances de son époque et la règle des eadem verba in diversis significationibus, préconisée par Abélard (Sic et non, prologue, P. L., t. clxxviii, col. 1344 D), exerce une influence durable sur toute la présentation médiévale de l’argument patristique. Pour écarter les divergences, au moins apparentes, qui mettent en opposition les textes apportés comme auctoritates, Abélard avait codifié quelques règles, au début de son Sic et non, qui complétaient les essais tentés jusque-là dans ce sens par des canonistes ou des théologiens. La dialectique y avait sa part, mais surtout un certain nombre de remarques herméneutiques, dont quelques-unes préludent de loin à ce qu’on appelle aujourd’hui la sémantique. Pierre Lombard, comme Gratien de Bologne, suit la même voie ; on peut le constater dès le début de son œuvre ; il « détermine » le sens conciliateur entre les textes divergents, quæ sibi contradicere videntur sic determinamus, t. I, dist. I, c. 3, p. 16, repugnantiam auctoritalum de medio eximere cupientes dicimus, ibid., p. 19, etc. Mais l’on ne peut manquer d’ajouter que les règles d’Abélard, qui ne sont au fond que des principes de bon sens, furent souvent mal appliquées et que Pierre Lombard en donna des exemples fâcheux ; ce en quoi il ne fut ni le premier, ni le dernier. Lui, comme presque tous les autres, il se contenta de trouver divers sens possibles, dont un au moins satisfit aux exigences de la conciliation : mais, une fois trouvé ce sens, le contrôle de l’hypothèse explicative par la recherche de la vraie pensée de l’auteur analysé n’entrait habituellement plus dans les préoccupations ; c’est la faiblesse trop réquente de l’interprétation médiévale des