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PIERRE LOMHAIil). METHODE DE TRAVAIL


contemporains émis dans les écoles et les avait classés, rangés systématiquement et appréciés. Mais, outre cela, s’il a transcrit les Pères et répété les opinions en présence, il n’a pas hésité non plus à utiliser sans scrupule les passages des livres contemporains qui concordaient avec ses idées. Deux ou trois ouvrages se présentent ainsi dans un lumineux relief, tant l’usage qu’en fait continuellement Pierre Lombard rend indubitable l’identification : usage textuel ou littéral, durant des ligues entières ou des paragraphes entiers, comme si la question tic la propriété littéraire n’existait pas a ses yeux. Ces deux ouvrages sont le De sacramentis de Hugues de Saint-Victor et la Summa Sententiarum ; on doit y joindre les livres d’Abélard, auxquels il est fait aussi de nombreux emprunts. Enfin le Decretum ou la Concordia de Gratien est le grand réservoir de textes patristiques, principalement sur les sacrements (1. IV), tandis que le.Sic et non d’Abélard en fournit beaucoup pour les autres parties ; on doit leur ajouter la glose de Walafrid Strabon, constamment enrichie au cours des siècles, et que le Lombard mentionne sous le nom de Strabus. Mais, régulièrement, et sauf le cas de Strabus, Pierre Lombard prend son bien où il le trouve, sans jamais le dire. C’est ainsi que le De sacramentis de Hugues de Saint-Victor et la Summa Sententiarum sont constamment transcrits, et dans les recueils qui fournissaient les textes patristiques, comme la Concordia canonum de Gratien, les Dicta Gratiani ne sont pas moins pillés que les citations patristiques dont ceux-là sont le cadre.

L’on a pu identifier un bon nombre de passages qui se retrouvent textuellement ailleurs et que Pierre Lombard a copiés ; les deux éditions des PP. franciscains de Quaracchi (Florence) en 1884 et en 1916, avec le travail de Baltzer, qui s’est beaucoup servi de la première, sont très utiles pour mettre sous les yeux le procédé de composition en mosaïque dont s’accommodait Pierre Lombard. Les notes marginales de beaucoup de mss. des Sentences témoignent de l’attention donnée par les lecteurs médiévaux à ces loci paralleli ; souvent, ils parlent nettement d’emprunts, nous dirions actuellement de plagiats ; parfois, ils font même une étude qu’on serait tenté d’appeler critique, comme en contient le ms. 1206 de Troyes, et celui d’Erfurt, Amplon., in-4o, 108 ; mais il ne semble pas que les commentaires des théologiens aient tenu compte de ce caractère composite de l'œuvre ; en tout cas, ils n’y font pas ou guère allusion. Voir Les notes marginales du « Liber Sententiarum », dans la Revue d’hist. eccl., t. xiv, 1913, p. 512-536 et 705-719, et Landgraf, art. cit. plus haut des Recherches de théol. anc. et méd., t. il et iii, 1930-1931.

Emprunts avec changements de mots ou de sens.


(.e procédé d’emprunts continuels, qui emprisonne peut-on dire la pensée dans l’expression d’autrui, ou tout au moins arrête son essor libre et normal, explique sans doute plus d’une faiblesse qu’on peut remarquer dans l’ordre suivi pour chaque développement et dans le traitement homogène d’une même matière. D’autre part, il exige un examen critique minutieux, si l’on veut se rendre compte de la parfaite identité — on serait porté à dire servilité — entre le copiste et son modèle. On verra plus loin que Pierre Lombard a parfois copié, en les comprenant mal, des passages d’Augustin. D’autres fois, le changement intentionnel d’un mot modifie totalement l’idée ; on peut le voir pour la composition des sacrements qui de aut in rébus aut in verbis, etc., chez Hugues de SaintVictor, devient in rébus vel in verbis dans la Summa Sententiarum, et in rébus et in verbis chez Pierre Lombard, ce qui introduit une conception nouvelle, fortement distante de celle de Hugues. Exemple du même genre pour la définition du sacrement dès l'époque de Déranger, voir

Un chapitre dans l’histoire de la définition des sacrements au.v//e siècle, dans les Mélanges Mandonnet, t. ii, Paris, 1931, p. 79-96. Autre cas encore chez Gandulphe de Bologne, par le simple changement d’un mot à propos de la caritas, non plus mater, mais forma virtutum, voir Lottin, La connexion des vertus avant saint Thomas, dans les Recherches de théol. anc. et méd., t. ii, 1930, p. 22-30. Tout cela dénote chez les auteurs médiévaux quelques traits qui ne sont pas ceux du pur plagiaire, et des idées fort éloignées des nôtres sur la propriété littéraire. Sur tout ceci, avec quelques exemples à l’appui, voir Le mouvement théologique, p. 141-145. En somme, l’appréciation de Gerhoch de Heichersberg, proférée sans doute comme boutade, en 1163-1164, se montre d’une exactitude parfaite, dès qu’on veut approfondir un peu la recherche des sources : llle magister Petrus, egregius multarum et diversarum ecclesiasticarum et scholasticarum tam antiguarum guam et novarum sententiarum colleclor, Liber de gloria et honore Filii hominis, c. xix, P. L., t. cxciv, col. 1143 D ; pour la date, voir Sackur, dans Libclli de lite, t. iii, p. 396. Par ses gloses sur les psaumes et sur saint Paul, Pierre Lombard s'était formé la main à ce genre de composition.

Mentions anonymes des avis contemporains.


Quant aux mentions des avis contemporains et des opinions scolaires, les IV libri Sententiarum sont le recueil peut-être le plus complet du genre pour cette époque ; les allusions se suivent sans discontinuer : quæri solet, hic quæritur, hic quæri solet, quidam dicunt. L’usage, c’est vrai, en remontait plus haut ; déjà la Summa Sententiarum et les Sententiæ divinitatis, celles-ci à partir du traité des sacrements surtout, avaient mentionné beaucoup des opinions en cours. Pierre Lombard renchérit encore sur ses prédécesseurs et ne-laisse sans mention, dirait-on, aucune des questions qui se débattaient alors dans les écoles. Mais, au grand désespoir des historiens et des théologiens, jamais il ne lève le voile de l’anonymat sous lequel se couvrent tous ces quidam — le ut Gandulphus du t. IV, dist. XXIV, qui fait seul exception, est une interpolation tardive — et l’identification est souvent bien malaisée ; les gloses anciennes ont commencé à éclairer quelques-unes de ces énigmes et il y a certain espoir que ces résultats s'élargissent encore. Vers le dernier quart du xiie siècle, les glossateurs de Gratien sont moins laconiques ; Etienne Langton, Pierre le Chantre, Robert de Courson et quelques anonymes, nous livrent un bon nombre de renseignements anecdotiques, que mettent au jour les travaux de Landgraf, Lacombe, etc., et vers la fin du xiir 3 siècle comme au xive, quelques auteurs les imitent, ce qui est de précieux Recours pour l’histoire de la théologie. Mais Pierre Lombard, comme la plupart de ses contemporains, est désespérément discret..S’occupait-il seulement des idées, sans se soucier de perpétuer le nom de leurs protagonistes ? On a voulu donner cette caractéristique aux penseurs du xme siècle, ce qui n’est pas toujours exact ; elle cause, en tout cas, de fréquentes déceptions à l’historien, quel que soit le mobile qui commande leur silence.

5° L’expression « quidam dicunt ». - - Faudrait-il ajouter, comme particularité de ce mode de composition, que Pierre Lombard aurait voulu se désigner luimême, ou mieux dérober son identité, sous cette vague formule de quidam dicunt ? Récemment, on a été amené à le croire par la constatation qu’on a faite de ce procédé chez Etienne Langton, peut-être chez l 'ierre de Poitiers déjà ; Etienne Langton dit cyniquement qu’il recourt à ce subterfuge pour n'être pas ensuite accusé d’inexactitude ou d’erreur, voir Landgraf, article cité plus loin des Recherches de théol. anc. et méd.. t. ii, 1930, p. 82 ; t. iii, 1931, p. 144. Rien ne justifie jusqu’ici cette interprétation pour le cas de Pierre