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pour Augustin, n’en font qu’un ; ce que les premiers' lecteurs de son livre ont souligné davantage encore en intitulant ce paragraphe : quartus modus vel ratio qua potuit Creator cognosci ; cf. P. L., t. cxcii, col. 529.

Forcément, surtout dans le traité de la Trinité, t. I, dist. II-XXXIV, par exemple dist. XIX, XX11I, etc., p. 125 sq., et dans celui de l’incarnation, I. III, dist. V-VII, p. 566 sq., il rencontre des locutions et des Concepts qui relèvent de la philosophie et que lui suggèrent les autorités dont il s’entoure, entre autres Bpèce, Augustin et Jean Damascène. Mais il se tient sur la réserve ; de Boèce, il ne prend qu’un texte par traité, ce qui est déjà significatif, et de Chalcidius, qui est avec Boèce un des principaux agents de liaison entre le Moyen Age et la pensée philosophique antique, il n’a guère plus. Ses diverses descriptions de la substantia, par exemple, qu’il reprend à son Commentaire sur les psaumes, lxviïi, 1-3, voir ci-dessus, n’accusent pas une haute spéculation philosophique ; et la terminologie, mal harmonisée, de ses sources occidentales et du Damascène le montre un peu dépaysé, malgré le vocabulaire de la dialectique aristotélicienne qu’il y retrouvait. Dans le traité de l’eucharistie, même attitude ; la grosse question de la conversion et celle de la permanence des accidents nous montrent l’auteur peu sûr de sa pensée, fidèlement servile au libellé d’autrui et décidé à ne pas approfondir davantage, t. IV, dist. XI, c. 1 et 2 ; dist. XII, c. 1, p. 802-804 et 808. Voir Espenberger, Die Philosophie des Petrus Lombardus iind ihre Slellung im xii. Jahrhundert, dans les Beitragc de Bâumker, t. iii, fasc. 5, 1901, p. 37, 45, 51, 65, 103, 119, etc. ; Geyer, dans Ueberweg-Geyer, Grundriss der Geschichte der Philosophie, t. ii, Berlin, 1928, p. 275.

Progressisme.

Malgré cela, ce modéré, ce traditionnel, ce timide, cet indécis, ce « plagiaire », si

l’on veut, est au fond un progressiste. Pour le juger équitablement, il suffit de le situer dans son époque. Il se rend compte des besoins intellectuels nouveaux qu’a créés l’immense essor, excessif du reste, de la dialectique ; d’autre part, il y a tout un groupe qui voudrait, par une lutte sans merci, anéantir cette tendance sous le poids de condamnations répétées. Mais le mouvement irrésistible des esprits, qui a provoqué du trouble chez beaucoup, ne peut plus être arrêté ; il n’y a plus qu'à l’endiguer, le rectifier, le modérer, de manière à l’empêcher de nuire et à lui faire porter ses fruits. Voir Dialectique et dogme aux xe -xiie siècles, quelques notes, dans la Festgabe… Clemens Bâumker, dans les Beitràge, Supplementband, 1913, p. 79-99. Esprit clair, qui voit les choses avec justesse, prudent et judicieux, Pierre Lombard sait démêler les tendances et leurs aboutissements, comme les moyens de les utiliser ou de les modérer.

Richesse d’information sur les mouvements scolaires.

Il n’est pas moins averti de tout ce qui se

pense et se dit dans les milieux scolaires. Le doit-il à son sens pédagogique ou à une longue accoutumance avec le mouvement des idées scolaires ? En tout cas, son livre dénote de réelles qualités pédagogiques, comme on peut le voir dans sa réflexion sur la répétition, t. I, dist. XIX, c. 10, p. 135, et dans son habileté à soutenir l’intérêt par des formules variées d’introduction aux nouveaux problèmes et questions. Son livre est comme une mosaïque où trouvent place, rangées dans l’ordre voulu et habituellement évaluées à leur vraie valeur, toutes les doctrines, toutes les questions et toutes les explications présentées par les maîtres contemporains. C’est une des originalités de son œuvre d’avoir pu nous donner un tableau si complet des divers avis en présence : quæri solet, quidam dicunt, hic quxritur, etc. C’en est une autre, d’avoir habituellement émis une appréciation judicieuse et .trouvé son chemin dans ce dédale. Les quelques excep tions, dont il sera question plus loin, à propos des opinions rejetées quæ communiter non lenentur, montrent seulement la difficulté de pareil choix et rehaussent le mérite du théologien qui, régulièrement, n’a pas laissé gauchir son jugement. Saint Bonaventure avait parfaitement reconnu ce mérite, Commentarius in Il am librum Sententiarum, dist. XLIV, Opéra, t. ii, p. 1016. Dire que durant des siècles la théologie catholique a vécu de ce manuel, c’est dire que son auteur, malgré quelques opinions attaquables, avait habituellement fait, entre les divers avis, une sélection qui honore son sens théologique.

II. MODE DE COMPOSITION ET MATÉRIA VX.

Avant

de placer dans le cadre des opinions contemporaines quelques-uns des détails doctrinaux de cette œuvre, il faut faire connaître son mode même de composition et les matériaux qui y entrent ; cela éclaire aussi l’enseignement théologique de cette époque. On pourra trouver quelques compléments à ce qui est dit ici et une application spéciale deces remarques aux divers chapitres sur la grâce, dans l'étude de J. Schupp, parue depuis la composition de cet article, mais qui s’appuie sur l'œuvre exégétique aussi bien que sur les Sentences, Die Gnadenlehre des Petrus Lombardus, p. 289-298.

Compilation.

Pierre Lombard est avant tout

un compilateur ; son originalité, si originalité il y a, réside exclusivement, peut-on dire, dans le choix très étendu des textes patristiques qu’il utilise et dans la sélection qu’il pratique entre les diverses opinions qu’il trouve en présence. Dans un certain nombre de cas même, où il avait à se décider, comme à propos du porrétanisme et de la simplicité divine (voir plus loin), on doit admirer chez lui les principes d’une saine théologie. Une étude approfondie de sa doctrine ne peut que lui être avantageuse de ce point de vue ; de même, la judicieuse utilisation qu’il fait des formules d’autrui, de saint Augustin spécialement, pour énoncer sa pensée.

Mais, comme mode de composition, nous ne trouvons plus rien de ce qu’on appelle personnel, et cela s’explique par le jeu même des circonstances. Venant à un moment où la défiance vis-à-vis de la dialectique et l’hostilité à toute ingérence philosophique dans les sciences sacrées se justifiaient par les écarts des écoles d’Abélard et de Gilbert de La Porrée, Pierre Lombard eut l’idée de ne pas aller au delà de l’exposé des idées de la tradition représentées par les Pères, en se tenant habituellement dans une grande réserve vis-à-vis de toute initiative de pensée personnelle. C’est ainsi que nombre de pages sont un tissu de citations des écrivains ecclésiastiques, au point que, par moments, c’est par leurs mots que s'énoncent les quelques idées qui lui sont propres. Les textes pris à dix auteurs ou ouvrages différents s’enfilent l’un à l’autre avec une habileté, apparemment même avec une aisance, qui suppose une vaste lecture et une réflexion peu commune. Souvent les quelques mots, ou les incises, parfois les phrases, qui servent de ligatures entre ces panni consuti, représentent la dixième partie tout au plus du contenu d’une page ; tout le reste est citations accumulées. On en trouverait des exemples frappants dans les dist. XX, XXI, XXIV, XXVI, XXVII, XXXII, XXXIV. XXXVII. XXXVIII, XLI, du t. II, qui sont bourrées de phrases de saint Augustin. Mais, là comme ailleurs, cette utilisation des phrases d’autrui ne va pas sans une certaine autonomie de la pensée, un sens très fin de la nuance à apporter, parfois une indépendance dans l’appréciation, qui rendent très complexe l’analyse psychologique de l’auteur et font tourner habituellement celle-ci à son honneur.

Utilisation littérale des écrits contemporains.


Il y a plus ; on vient de dire plus haut que Pierre Lombard avait collectionné en quelque sorte tous les avis