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    1. PIERRE LOMBARD##


PIERRE LOMBARD. CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

IIISII

et cela deviendra résultat acquis grâce aux IV libri Sententiarum de Pierre Lombard.

Le principe posé par Abélard en tête de son Introduclio ad theologiam, 1. I. c. ii, P. L., t. clxxviii, col. 981 C. repris par toute son école, et admis en fait par Hugues de SaintVictor, De sacramentis christianse fidei, I. I. part. IX. c. viii, P. L., t. ci.xxyi, col. 328 A. donnait au traité des sacrements surtout une place tout autrement ferme, puisqu’il devenait une des trois pièces maîtresses de toute la charpente de sa synthèse. Tria sunt in qui bus humanæ salutis summa consista, /ides, charitas, sacramentum, avait dit Abélard en divisant son ouvrage d’après ce principe, et Hugues énonce incidemment la même idée, tria sunt quee… ad salutem obtinendam necessaria fucrunt, id est fides, sacramentel fidei, et opéra bona, en expliquant le degré de nécessité de chacun de ces objets. Les Sententiæ divinitatis, édit. Geyer, p. 155*. marquaient un progrès sur la Summa Sententiarum, tract. I. 4, P. L., t. clxxvi, col. 47 C, qui faisait consister la foi principalement dans ce double objet, Trinité et incarnation ; elles plaçaient le traité des sacrements en relation étroite avec l’incarnation : in duobus fides consistit, in cognitione Trinitatis et in lus quee circu eani considerantur, et mysterio incarnationis et sacramentorum in ea nobis collatorum. De tout cela, Pierre Lombard sut tirer parti et acheva de donner corps à cette tendance ; les signa, opposés aux res, furent la formule sous laquelle il introduisit tout le traité. L’antériorité des Sententiæ divinitatis sur Pierre Lombard, généralement admise jusqu’ici, a été contestée par le P. Pelster, Zeitschrijt fur kathol. Théologie, t. lui, 1929, p. 575, n. 4 ; mais l'étude qu’il annonçait n’a pas encore paru ; voir R. Martin. O. P., Œuvres de Robert de Melun, t. i, Spicilegium sacr. Lovan., Louvain, 1932, fasc. 13, p. xlviii.

L’idée de synthèse, ou plutôt de groupement, car il a trop peu de principes d’unité pour qu’on puisse strictement parler de synthèse, lui fit étendre ce progrès à d’autres matières ; mais il faut reconnaître chez lui moins de fermeté dans la pensée que chez plusieurs de ses prédécesseurs. Car, s’il a habilement tiré parti de la classification d’Augustin par les res et les signa : omnis doctrina de rébus vel de signis est, t. I, dist. I, 1, p. 14, il ne demeure pas fidèle à ce principe, on le verra plus loin, dans la série de ses développements, et l’agencement des diverses matières entre elles n’en est que superficiellement alïectée. En somme, il suit un ordre logique qui juxtapose les grands mystères de la foi, à peu près comme l’avait fait la Summa Sententiarum, puis donne une large place aux sept sacrements, un quart à peu près de son volume, pour le finir par les fins dernières ; mais, avant cela, il avait rattaché, comme il l’avait pu, à la christologie le traité des vertus et, en l’abrégeant fortement, celui des commandements. Le traité De vera religione, malgré la controverse antijuive du xiie siècle, n’a pas trouvé place dans son programme d’enseignement, pas plus que le traité de l'Église, malgré l’exemple des canonistes qui consacraient à la question de l'Église, de son gouvernement, de ses membres, etc., plus d’une page intéressante. Gratien aurait pu l’orienter dans cette voie ; voir Landgraf, Sùnde und Trennung von der Kirche in der Frùhsclwlastik, t. v, 1930, p. 233-247.

Hugues de Saint-Victor, imité par Kobert de.Melun. avait suivi un autre ordre : c'était à la suite historique des Opéra conditionis et des Opéra restauralionis, qu’il s'était attaché, comme a une idée qui lui était chère et familière ; et. si l’exécution du plan prête, dans le détail, à quelque critique, l’idée même avait quelque chose de grandiose et assignait sa place à chacune des matières ; voir Mouvement théologique, p. 115-110. Le plan de Robert fie Melun. reconstitué parle R. P. Mar tin d’après les mss. de Bruges et de Londres, n’avait pas la clarté de son modèle, voir art. cil. de la Revue d’hist. eccl., t. xv, 1914-1920, p. 47$1-$279.

Comparés aux Sententiee divinitatis de l'école nilbertine, qui ont la création du monde et de l’homme, le péché originel, le sacramentum incarnationis, les sacrements et la Trinité, et aux Sententise de Robert le Poule dont le contenu est beaucoup moins bien ordonné P. L., t. clxxxvi, col. 639-1010 (cf. Mouvement théologique, p. 101-102 et 184, n. 4), les IV libri Sententiarum de Pierre Lombard accusent un progrès réel pour l’ordre, l’enchaînement et le contenu des divers traités. En outre, le Maître a donné au traité des fins dernières la place qu’il n’avait pas trouvée dans les autres écoles. On le voit, la suite logique des matières et un programme des questions aussi complet que possible donnent à l'œuvre de Pierre Lombard une réelle supériorité !

2° Conception d’ensemble et principe de division. — A lire les premiers paragraphes du 1. 1, on serait porté aussi à louer la conception d’ensemble, qui veut unifier toutes ces matières dans une imposante synthèse : conception originale qui pouvait grouper ces matières d’une manière féconde et profonde. En réalité, ce n’est qu’un essai imparfait ; le Lombard n’a pas su étreindre sa pensée et n’est pas arrivé au terme de son effort pour tout réduire à l’unité. On est loin encore du moment où le travail théologique prend conscience de son procédé, dégage sa méthode et devient une science, qui différencie nettement les choses de foi, les systématisations techniques, les interprétations et les opinions ; voir Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, dans les Archives d’hist. doctr. et littér. du M. A., t. ii, 1927, p. 31, 33, etc. Examinons brièvement la conception encore confuse de Pierre Lombard.

La -division générale de la matière, en effet, est commandée par une formule d’Augustin, De doctrina christ., t. I, c. il et iv, P. L., t. xxxiv, col. 19-20 : les choses dont il faut jouir, res quibus fruendum est, celles dont il faut faire usage, res quibus ulendum est, parmi lesquelles se placent celles au moyen desquelles nous arrivons à pouvoir jouir, res per quas fruimur, comme sont les vertus et les puissances de l'âme ; celles qui jouissent et qui font usage, res quæ fruuntur et utuntur, à savoir nous-mêmes, les hommes. Après ces res, viennent les signa ; parmi ceux-ci, l’usage des uns est in significando, des autres in significando et justificando, c’est-à-dire les sacrements de l’ancienne Loi et ceux de la nouvelle, t. I, dist. I, c. 1, 2 et 3, p. 14, 15, 18, 19, 20.

Cette division revient de temps à autre dans la trame de l’ouvrage ; c’est ainsi que la doctrinf de la Trinité est introduite dès le début du 1. 1, dist. I, c. 2, avec un texte d’Augustin à l’appui, De doctrina christiana, t. I, c. iv, et à la fin de cette même distinction, c. 3 ; voir p. 15 et 20. On a dit plus haut que les mêmes idées, souvent les mêmes termes, inspirés d’Augustin (ibid.), se retrouvent dans le sermon xxvi sur la Trinité. Au début du t. IV, la même division est rappelée : his tractatis quæ ad doclrinam rerum pertinent quibus fruendum est, et quibus ulendum est et quæ fruuntur et utuntur, ad doctrinam signorum accedamus, avant que l’on ne passe à l'étude des sacrements. P. 745.

Mais, dans l’intervalle, on serait porté à croire que l’auteur n’a plus eu sous les yeux le même principe de division, car les introductions des 1. II et III, p. 306 et 550, ne font plus la moindre allusion soit aux res quibus fruimur, soit aux res quæ fruuntur et utuntur, comme le sont les créatures humaines et les anges, l’univers et ce qu’il contient, selon sa formule du t. I, dist. I, c. 2, p. 15, prise en partie à saint Augustin. Or, après le livre sur la Trinité, on s’attendrait à voir appliquer la même idée des res quibus fruimur au Verbe