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PIERRE CHARRON — PIERRE CHRYSOLOGUE


adviendrait que quelque vérité se rencontrast entre ses mains (de l’homme) ce serait par hazard ; il ne la saurait tenir, ny posséder, ny distinguer du mensonge. Les erreurs se reçoivent en nostre asme par mesme voye et conduicte que la vérité ; l’esprit n’a pas de quoy les distinguer et choisir… Raison et expérience, tous deux sont très faibles, incertains, divers, ondoyants. > Comparer aussi des passages du livre II des Trois vérités où, à l’exemple de Raymond Sebon, il affirme que l’homme ne peut se fier à la raison et doit suivre la foi. De quoi l’on a conclu que Charron est un sceptique et un fidéiste. un tenant de la sceptique chrétienne, comme l’on dira de La Mothe Le Vayer.

Sans doute. Charron « a insisté avec un certain plaisir et une assez grande force de logique sur les preuves de la faiblesse et de l’incapacité humaine », Sainte-Beuve, toc. cit., p. 202 : sans doute, il expose avec complaisance les objections que la raison peut opposer à l’existence de Dieu et son impuissance à démontrer l’immortalité de l’âme ; sans doute, encore, il condamne ces pédants qui ont confiance en leur savoir et jugent sans hésiter. Sagesse, p. 184 ; sans doute, enfin, la Sorbonne condamne, en 1603, les conclusions fidéistes de Sagesse touchant l’immortalité de l’âme, et le protestant Chanet. en 1643, dans ses Considérations sur la Sagesse de Charron, attaque le pyrrhonisme de cet auteur. Mais, en réalité, Charron croit en la raison humaine. Parlant de lui, à propos de la Sagesse, Brunetière, toc. cit., note « sa confiance en la raison humaine ». Et, en effet, dans Sagesse, il entend reprendre l’œuvre de morale rationnelle qu’ont édifiée « les philosophes et sages » de l’antiquité, p. xv ; dans la seconde édition de cet ouvrage, il se justifie d’avoir trop reconnu à la nature de l’homme, p. 329 ; le c. n du même ouvrage, U niverselle et pleine liberté de l’esprit tant en jugement qu’en volonté. Seconde disposition à la Sagesse, est un acte de foi en la raison ; les pédants ou dogmatiques qu’il condamne ce sont les scolastiques car. comme tous les humanistes, il les déteste. Au fond, Sagesse est tout simplement d’un rationaliste, « qui n’a pas saisi la portée de quelques-unes de ses assertions » et qui est amené à se contredire. Brunetière, ibid., p. 95. « Il a voulu, à l’aide du stoïcisme, dit P. —Roger Charbonnel, loc. cit., p. 3, purifier et assainir les âmes. Malheureusement, il a recommencé f expérience de Raymond Sebon, il’a complété le stoïcisme par le pyrrhonisme. Mais… la fusion est demeurée insuffisante et Charron n’a pu éviter des contradictions singulières. »

L’auteur des Trois vérités, le théologal de Condom, parce qu’il s’est appliqué à séparer la morale de la religion et la religion des religions, peut être plus justement compté parmi les propagateurs du déisme et les fondateurs d’une morale indépendante du christianisme dans le monde chrétien. Que l’on n’invoque pas, contre cela, le passage de la Sagesse où il parle de la nécessité de la grâce, p. 329-330 : on a vu ce qu’il faut en penser ; ni cet autre, t. II, c. v, p. 343, où, après avoir fait une critique des religions positives, christianisme compris, il ajoute : « Nous ne devons être en doubte ny en peine de sçavoir quelle est la vraye, ayant en le christianisme tanct d’advantages et de privilèges si hauts et si authentiques, par-dessus les autres et privativement d’icelles. C’est le subject de ma Seconde vérité. En semblable occurrence. Voltaire usera de procédés semblables. D’ailleurs, quelques lignes plus bas, dans l’édition de 1601, Charron assimilait encore le christianisme aux autres religions : les nouvelles, (lisait-il, se substituent aux anciennes, en les accusant d’imperfection, « comme la judaïque a fait à la gentile ptienne, la chrestienne à la judaïque, et la mahometane à la judaïque et à la chrestienne ensemble ». I’. 723. variante xxin.

Faut-il conclure de là, comme Garasse, que Charron « ecclésiastique de profession », fut « libertin de religion » ? Cela ne concorderait guère avec la confiance que tant d’évêques témoignèrent jusqu’au bout à Charron, et ce serait ne pas connaître le dualisme déconcertant des hommes du xvie siècle, des hommes d’Église en grande partie comme des autres intellectuels. Ils philosophaient en païens ; ils vivaient en chrétiens, sinon austères, du moins convaincus.

IV. Influence.

Beaucoup moins lu que Montaigne depuis le xviiie siècle, Charron le fut beaucoup au xvii e, surtout dans la première partie, où il fut un prophète des libertins. Il prépara ainsi le xviiie siècle rationaliste qu’ouvre Bayle, dont le Dictionnaire lui consacre un article élogieux.

D’autre part, Pascal, quand il voulut combattre les libertins, dut le pratiquer beaucoup. Tel est l’avis de Brunetière, loc. cit., p. 95, qui ajoute : « C’est vraiment Charron qui fut le pont entre Pascal et Montaigne. Entre les fragments de la I re partie de V Apologie et la Sagesse, on peut assez fréquemment établir des rapprochements. Enfin, on le sait, au fragment lxii, édit. cit., Pascal reproche à Charron ses divisions « qui attristent et ennuient ».

En dehors des ouvrages ou des articles signalés de Sabrié, Charbonnel, Busson, Garasse, Mersenne, Ogier, Saint-Cyran, Sainte-Beuve, Bayle, sur Charron, et de l’ouvrage de Sapey sur Du Vair, voir : Éloge véritable et sommaire discours de la vie de Pierre Charron, Parisien, vivant docteur es droits, par G. —.M. D. B. (Gabriel-Michel de La Rochemaillet), au début du Traicté de la Sagesse, 1606 ; Strowski, Pascal et son temps, t. i, in-12, Paris, 1907 ; P. Bonnefon, Montaigne et ses amis, 2 in-16, t. ii, Paris, 1898 ; Ph. Boy, Les sources de Charron (Du Vair, Bodin, Montaigne). Étude sur le c. XIV dut. III de la Sagesse, in-8°, Paris, 1906 ; Karl Wend, Pierre Charron als Pddagoge unter besondere Beriïcksiehtigung seines Verhàltnisses zu Michæl de Montaigne, in-8°, Neubrandeburg, 1903 ; Albert Desjardins, Les moralistes français au XVIe siècle, in-8°, Paris, 1870 ; A. Vinet, Les moralistes français au XVIe et au XVIIe siècle, in-8°, paris, 1859 ; P. Stapfer, La famille et les amis de Montaigne, in-12, Paris, 1896 ; Pinson, Histoire du règne de Henri IV, ’3 in-8°, Paris, 1854 ; L. Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVIe siècle, in-8°, Paris, 1914 ; (D. Gaudin), La distinction et la nature du bien et du mal, traité où l’on combat l’erreur des manichéens, les sentiments de Montaigne et Charron et ceux de M. Bayle, in-12, Paris, 1704. Et, en général, les études sur le xvie siècle et les moralistes français.

C. Constantin.

27. PIERRE CHRYSOLOGUE (Saint),

archevêque de Ravenne au ve siècle. — La vie de saint Pierre Chrysologue nous est mal connue. L’historien de Ravenne, Agnellus, qui la raconta, aux environs de 830, ne mérite qu’une confiance assez limitée, Liber pontifîcalis Ecclesiæ Ravennatis, § 21, P. L., t. evi, col. 554 sq. ; Mon. Gerrn. hist.. Script, rcr. Lôngob. et Ital., Hanovre, 1878, col. 310 ; et les témoignages anciens relatifs à ce personnage sont rares et imprécis.

Suivant la tradition reçue, Pierre naquit aux environs de 405, à Forum Cornelii, l’Imola d’aujourd’hui, dans l’Emilie. L’évêque d’Imola fut, comme il le dit lui-même, Serm., clxv, P. L., t. lii, col. 633, son père ; il ne se contenta pas de le baptiser, il l’éduqua et l’instruisit ; puis il l’éleva à la cléricature et l’ordonna diacre. Sous le pontificat de Sixte III (432-440), Pierre fut nommé évêque (ou archevêque) de Ravenne. Agnellus croit savoir que ce choix fut en quelque sorte miraculeux et que le pape, au lieu de consacrer l’élu que lui avaient présenté les Ravennales, lui substitua, en la personne de Pierre, celui que l’apôtre saint Pierre lui-même lui avait montré en. songe. En tout cas, Pierre ne tarda pas à se faire connaître par sis éminentes vertus, son éloquence et sa science. Eutychès, lors de ses premiers démêlés avec les autorités reli-