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PIKRRE CHARRON

1912

autrui », c ix : 6° « se conduire prudemment aux affaires », c. x ; 7° « se tenir toujours prest à la mort, fruict de sagesse », car « celuy ne peut vivre à son ayse et content qui craint de mourir », c. XI ; 8° enfin, « se maintenir en vraye tranquillité d’esprit ». Cette tranquillité est d’ailleurs « ie fruict et la couronne de sagesse », la conséquence logique de la discipline morale à laquelle se soumet le sage. C. xii.

Le livre III. quarante-trois chapitres, n’est que le développement du précédent. Après « les advis généraux qui conduisent à la sagesse », dit une courte préface spéciale, il donne « les particuliers ». Il les range dans le cadre « des quatre vertus maistresses et morales : prudence, justice, force et tempérance, car en ces quatre, presque tous les debvoirs de la vie sont comprins ». P. 438.

III. Critique de la pensée de Charron.

La Rochemaillet n’avait obtenu que difficilement, on l’a vu. la permission de débiter la seconde édition de la Sagesse. Or, Charron devint promptement un auteur aimé des libertins ou gens apparentés ; pour Gui Patin, la Sagesse est « un livre divin » ; dans sa Bibliotheca politica, 1633, Xaudel met Charron au-dessus de Montaigne ; Gassendi apprend de lui l’esprit critique. Cf. Sabrié, loc. cit., c. xvi, Trois admirateurs de Charron. Ceux que préoccupe le mouvement libertin le dénoncent d’autre part comme dangereux ou même criminel. Mersenne, dans Y Impiété des déistes, signale, p. 184, dans la Première vérité, des affirmations risquées, et, p. 197, dans la Sagesse, des idées « dangereuses pour les esprits faibles tels que les libertins et les déistes ». Garasse renchérit. Dans la Doctrine curieuse, 1623, et plus encore dans la Somme théologique, 1625, il accuse Charron d’avoir enseigné que « la vraye sagesse consiste au mespris de la religion ». Somme, p. 67. « Il estait, dit-il, ibid., p. 311, ecclésiastique de profession, cynique d’humeur, libertin de religion et prostitué de langage. » Cf. Sabrié, loc. cit., c. xvii, Les adversaires de Charron au XVIIe siècle. Mais Charron trouva deux défenseurs : l’un, le prieur François Ogier répondit à la Doctrine curieuse par un livre intitulé : Jugement et censure du livre de la Doctrine curieuse, in-8°, Paris, 1623, (anonyme) ; l’autre, assez inattendu en pareille cause, Saint-Cyran, réfuta la Somme théologique où Garasse avait répondu à Ogier, par un ouvrage qui devait comprendre quatre volumes, mais dont le iiie semble bien n’avoir paru qu’en résumé avec le ive : La somme des fautes et fausselez contenues en la Somme théologique de François Garasse, Paris, 1626. Cf. Sabrié, loc. cit., c. xix, Les défenseurs de Charron au.v17/e siècle ; H. Busson, La pensée religieuse française, d ? Charron à Pascal, Paris, 1933.

Mersenne et même Garasse avaient raison. « A son insu peut-être, dit J. -Roger Charbonnel, loc. cit., p. 5, Charron avait préparé la « laïcisation » de la morale. Il avait aidé à définir le type du « libre-penseur déiste. qui, rejetant tout l’appareil des rites, toute i’écorce des dogmes, ne conservait de la religion que la vive spirituelle et la notion d’un lïtre suprême, d’un démiurge perdu dans le lointain des abstractions métaphysiques . Au reste, la Sagesse fut mise à l’Index, le 16 décembre 1605.

Le patronage qu’invoque Charron dans la préface de la Sagesse, 2e édit.. donne cette impression qu’il entend déterminer la loi morale avec la seule raison et en dehors de toute influence chrétienne, et l’examen de sa pensée fait de cette impression une certitude.

Charron sépare la morale de la religion. Il donne pour la morale vraie, éternelle, universelle, i que les temps ny les lieux ne peuvent altérer », p. 318, une morale purement naturelle, rationnelle, laïque, dirions-nous. Pas d’idéal moral supérieur à l’homme, surnaturel, mais un idéal découlant de la nature même, l’ex cellence et perfection de l’homme comme homme », p. xvi, celle que détermine la nature ou l’ordre universel et dont la raison humaine est l’expression, et les sages, comme Socrate, les prophètes. P. 322. Pas d’ascétisme : la nature est bonne ; c’est sagesse de la suivre sans autres contraintes que celles qu’imposent la tempérance et la justice. « Bien vivre, c’est vivre selon nature ; le souverain bien en ce monde, c’est consentir à nature ; en suivant nature comme guide et maistressc on ne fauldra jamais. Nature en chacun de nous est suffisante et douce maistresse ; un chacun de nous, s’il voulait, vivrait à son ayse du sien ; les hommes sont naturellement bons. » P. 320-321.

Le principe de l’obligation, c’est encore la nature et non une autorité en dehors et au-dessus d’elle : « Tout homme doibt estre et vouloir estre homme de bien parce qu’il est homme, sachant qu’il ne peut estre autre sans se renoncer et destruire », p. 316 ; ce n’est ni « quelque considération externe ou venant du dehors quelle qu’elle soit » ; ibid. ; ni la crainte, ni le désir de la récompense. « Je veux que tu sois homme de bien, quand bien tu ne debvrais jamais aller en paradis, mais pour ce que la nature, la raison le veust, parce que la loi et la police générale du monde, d’où tu es une pièce, le requiert ainsi, et tu ne peux consentir d’estre autre que tu n’ailles contre tov-mesme, ton estre, ta fin. » P. 359.

C’est bien la morale de Montaigne : un stoïcisme qui se mitigé dans la pratique d’un épicurisme modéré. En tout cas, ce n’est pas une morale chrétienne. Il ne subsiste plus rien des dogmes chrétiens du péché originel : la nature est bonne ; de la nécessité de la révélation et de la grâce. Contredisant quelque peu ce qu’il a dit au livre I er de la misère et de la présomption morales de l’homme, Charron affirme que sa raison et sa volonté à elles seules lui suffisent pour connaître la loi et pour l’observer. « Nature en chascun de nous est suffisante et douce maistresse et règle toutes choses, si nous la voulons bien escouter… il n’est besoin d’aller quester ailleurs… les moyens, les remèdes et les règles qui nous font besoin : un chascun de nous, s’il voulait, vivrait à son ayse du sien. » P. 321.

Il est vrai que, t. II, c. iii, p. 329-330, Charron parle de la nécessité de la grâce. Mais ce passage ne se lit pas dans l’édition de 1601 et Charron avoue l’avoir ajouté « pour faire cesser les plaintes de ceux qui trouvent mauvais qu’; 7 ait fait tant valoir la nature ». D’autre part, la grâce ne lui apparaît nécessaire que pour « couronner » la nature, autrement dit pour donner à nos actes une valeur surnaturelle. Ce passage ne modifie donc en rien le sens général du livre.

Charron sépare de même la vraie religion des religions. A le lire sur ce sujet, on croirait lire Voltaire qui a écrit, par exemple, l’article Religion dans le Dictionnaire philosophique, mais un Voltaire pesant..

Il y a, dit Charron, une quantité « effrayante » de religions (positives), dont beaucoup sont absurdes. Comment l’esprit humain a-t-il pu accepter tant d’impostures ? on se le demande. Toutes se disent révélées : inspirées par Dieu et, au nom de Dieu, nous imposenl des mystères à croire. Chacune se dit la seule vraie et les plus récentes se greffant sur les anciennes se disent les plus parfaites ; Dans la réalité, on voit que ces religions naissent et s’établissent pour des causes purement naturelles : la nation, le pays, le temps. D’ailleurs, si Dieu était avec une ou l’autre, lien ne pourrait ébranler cette religion. Cꝟ. t. II, c. iii, passim.

Elles ne sont ni utiles à l’homme, ni glorieuses à Dieu. Elles enseignent toutes « que Dieu s’apaise, se fleschit et gaigne par prières, présens, vœux ri pin messes, festes et encens » ; que, pour plaire à Dieu, obtenir son pardon ou ses faveurs, il fanl se mortifier, comme si Dieu prenait plaisir aux souffrances de ses