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quelques discours chrestiens avec un portrait au naturel et l’éloge de sa vie, in-8°, Paris, qui, plus encore que l’édition de 1604, différait de l’édition de 1601.

En 1635, fut donnée une édition complète des œuvres de Charron : Toutes les œuvres de Pierre Charron, in-4°, Paris.

Dans la Revue d’histoire littéraire de la France, du 15 juillet 1894, L. Auvray a publié des Lettres de Charron et de… La Rochemaillel.

II. Le livre « De la sagesse ». — Parler de la pensée de Charron, c’est parler surtout de son livre De la sagesse, encore que dans les Trois vérités l’on trouve déjà de ses idées caractéristiques. Il ne faut point dire personnelles. La pensée de Charron ici n’est pas une pensée originale" ; elle est celle des intellectuels de son temps et l’on peut indiquer ses maîtres d’une façon précise. Il est le disciple des Padouans : Pomponace et Cardon. Cf. P. Roger Charbonnel, La pensée italienne au XIIe siècle et le courant libertin, Paris, 1919, passim, et H. Busson, loc. cit., p. 456-459. Il s’inspire de Bodin mais plus encore des Traités philosophiques de Du Vair, des Essais de Montaigne et, à travers eux, ou directement, des écrivains grecs ou latins. A Montaigne et à Du Vair, il emprunte non seulement certaines idées, mais la façon de les rendre. C. Sapey, Essai sur la vie et les ouvrages de Guillaume du Vair, Paris, 1847, 2e édit., 1858, a relevé les imitations ou plutôt les copies qu’a faites Charron de certains passages de Du Vair. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. xi, Pierre Charron, p. 208-209, cite plusieurs passages de La sagesse, pris textuellement dans Montaigne. Cf. également A. Delboulle, Charron, plagiaire de Montaigne, dans Revue d’histoire littéraire, 1900. Charron n’est pas cependant le plagiaire commun. « Il ne vise, dit Sainte-Beuve, loc. cit., p. 210, qu’à mettre les pensées qu’il admire et qu’il accueille dans un plus beau jour et dans un ordre plus exact, pour les répandre et les faire réussir auprès d’un plus grand nombre d’esprits. C’est là son but et, à quelques égards, ce fut son succès. Il a gardé cela des érudits que, pour lui, citation vaut invention. » Brunetière dit de son côté : « Il essaie de faire la synthèse des idées de son temps. » Manuel de l’histoire de la littérature française, Paris, 1899, p. 94. Son originalité est « dans la composition ». Id., ibid. « Il a dégagé, écrit encore Sainte-Beuve, loc. cit., la doctrine de Montaigne de toute la partie badine, qui déroute mais aussi qui amuse ; …il a pressé et rapproché les conclusions mais aussi les propositions. »

Édition citée : De la sagesse… Nouvelle édition, avec les variantes, des notes et la traduction des citations, in-8°, Paris, Lefèvre, 1836, dans la Bibliothèque d’auteurs classiques.

Le mot « sagesse », dit la préface de la 2e édition, signifie « excellence ». La sagesse est le propre d’une élite. Soit en bien, soit en mal, le sage est « un oracle ». P. xi. Or, il y a « trois ordres et degrés de sagesse ». Au degré inférieur, est la sagesse mauvaise que condamnent à la fois la philosophie et la révélation. P. xii. Au degré le plus élevé, est la sagesse théologique que constitue la philosophie appliquée à la révélation et dont la connaissance est l’effet de la grâce et de la réflexion. P. xiii. La troisième, celle dont Charron veut s’occuper, est la sagesse humaine. Cette sagesse n’est pas une simple attitude, ni une manière de juger et de vivre, qui ferait du sage un être bizarre, « hétéroclite ». P. xiv. Ce n’est point la sagesse qui fait les saints, mais celle qui a fait les sages et philosophes de l’antiquité païenne, ni la sagesse qui forme au cloître, mais celle qui forme l’homme à la vie au milieu de ses semblables. P. xv. Elle « est l’excellence et perfection de l’homme comme homme, c’est-à-dire, selon que porte et requiert la loy première fondamentale et naturelle de l’homme ». En d’autres termes, c’est la sagesse

que détermine la seule raison, « première et universelle loi et lumière inspirée de Dieu ». P. xvi.

Le traité De la sagesse comprend trois livres. Le livre I er « est la connaissance de soi et de l’humaine condition ». Se connaître est la condition première que voit Charron à la sagesse ainsi définie. Il étudie donc « toutes les pièces dont l’homme est composé et leurs appartenances », c. i, c’est-à-dire le corps, c. in-vn, l’âme, c. viii-xxiv, insistant sur les passions. C. xixxxxiv. Dans cette étude, il s’inspire d’un livre, fameux alors, du médecin espagnol Jean Huarte, qui, traduit dans plusieurs langues, l’avait été en français par Gabriel Chappuis, 1580, et le sera encore en 1672 par Savinien d’Alquié, sous ce titre : L’examen des aptitudes pour les sciences… Cf. Bayle, Dictionnaire, art. Huarte. Charron étudie ensuite l’homme comparé aux animaux, c. xxxv, et la vie humaine dans ses aspects généraux. Puis, il passe à la peinture morale de l’homme ; il le voit comme Montaigne, tout vanité, faiblesse, inconstance et surtout misère et présomption. C. xxxvii-xlii. Il expose ensuite les différences naturelles ou sociales qui existent entre les hommes.

Livre II. — L’homme qui aspire à la sagesse doit, avant tout, s’y préparer. D’abord s’émanciper des opinions et des vices populaires — le sage est un aristocrate — de ses propres passions que la connaissance de soi-même a dû lui révéler. C. i. Puis se mettre dans une « universelle et pleine liberté de l’esprit, tant en jugement qu’en volonté », en d’autres termes, être capable d’examiner toute chose avec l’esprit critique, être toujours prêt à reviser ses jugements, avoir enfin l’universalité d’esprit qui écarte tout préjugé de race, de pays ou de religion ; d’autre part, il doit être affranchi de toute affection qui puisse influencer son jugement. C. il

Le terrain déblayé, quelle culture de soi doit tenter celui qui aspire à la sagesse ?

En premier lieu, il doit rechercher « la vraie et essentielle preudhomie », qui est « fondement et pivot de sagesse ». P. 325. Elle consiste en « une droite et ferme disposition de la volonté, à vivre et à agir selon la natures, autrement dit, selon la raison universelle « qui esclaire et luit en chacun de nous » et « qui est Dieu mesme et sa volonté », comme le dit Sénèque, De beneficiis, t. IV, c. vu. Le preudhomme suit donc la nature, mais uniquement pour ce motif qu’elle est la nature, ou l’ordre universel. C. m.

Il doit ensuite « avoir un but et train de vie certain », c’est-à-dire se rendre compte de ce qu’il peut et ne jamais aspirer à plus. C. iv.

Ce sont là, pour Charron, les fondements de la sagesse. Il recherche ensuite à quelles règles le sage doit se soumettre. Il en distingue huit : 1° s’appliquer à la vraie piété, telle que, en raisonnant d’après la nature de Dieu et la nature de l’homme, nous la pouvons fixer, c. v ; 2° « régler ses désirs et ses plaisirs ». Il est mauvais « de mépriser toutes sortes de plaisir et toute culture du corps » ; cela, ce n’est point vivre. Mais le sage désire peu et seulement ce que la nature demande et de telle manière que, de son désir satisfait, il ne puisse résulter dommage ni pour autrui, ni pour soi-même, c. vi ; 3° se comporter modérément et également en prospérité et adversité. Il faut se souvenir, dans la prospérité, que les biens de ce monde ne sont pas de vrais biens et, dans l’adversité, que la voix publique appelle malheurs des choses qui ne sont telles que par convention et que les véritables malheurs sont dans la loi des choses, c. vu ; 4° « se soumettre aux lois et coutumes de son pays », même s’il en est de singulières, car il est toujours funeste de toucher aux lois et coutumes établies ; mais il ne s’y soumettra que « librement et uniquement pour la révérence publique », non par crainte, c. vin ; 5° « se bien comporter avec