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    1. PIERRE AUHIOL##


PIERRE AUHIOL. LES PROBLÈMES PHILOSOPHIQUES

1854

Il serait toutefois exagéré de faire de Pierre Auriol un franc adhérent du nominalisme. Aucune de ses théories au sujet des universaux exposées plus haut ne trahit, en effet, um tendance nominaliste prononcée. Oc plus, dans le I. I des Sent. (p. 531 a), il se prononce formellement contre une tendance qui démontre beaucoup d’affinités avec le nominalisme. Il s’agit du problème de l’essence fie l’être intentionnel. Il y reproche a ses adversaires d’imaginer que la chose conçue ne possède aucune réalité, en dehors du nom par lequel l’intelligence le dénomme, et n’a pas plus de réalité ou d’êlre intentionnel que César qui est peint sur une toile : quia imaginantur, quod res concepta denominctur tantummodo ab actu intellectus et non capiat aliquod esse intentionale plus quarn Ca>sar, qui pingitur, a pictuira. Hoc enim est impossibile. Auriol apporte ensuite plusieurs preuves qui démontrent l’impossibilité et l’absurdité de la conception nominaliste de l’être intentionnel. Pour dénommer un objet, il ne faut point que l’objet soit présenta l’intelligence, ou qu’il lui apparaisse ou qu’il soit perçu, comme cela ressort du rapport qui existe entre le César réel et son image. Or, l’expérience nous apprend que la connaissance consiste en ce que l’objet conçu et appréhendé est présent à l’intelligence ou qu’il lui est présenté. Il s’ensuit que, par la connaissance et l’appréhension, l’objet n’acquiert pas seulement un nom, mais aussi un être intentionnel. Ensuite, la dénomination présuppose un nom, un vocable ; le concept, au contraire, ne dépend d’aucun langage et en fait même abstraction. L’objet appréhendé ne peut donc correspondre dans la connaissance à un pur nom, mais doit acquérir un autre être, l’être intentionnel. Enfin, la dénomination d’un objet présuppose la connaissance, car l’esprit dénomme un objet d’après un autre, et cela, parce qu’un objet conduit à la connaissance d’un autre. Il en résulte que la dénomination d’un objet en présuppose déjà l’appréhension, la connaissance, qui doit donc consister en quelque chose de plus que la pure dénomination. Homo et animal, en effet, ne sont pas seulement des noms différents, mais des concepts différents d’une seule et même chose et ainsi la connaissance ne dénote pas une pure dénomination, mais un mode spécial intentionnel d’être. On ne peut cependant confondre cet être dérivé et intentionnel, avec l’être principal et réel. In I Sent., p. 531 a.

Il s’ensuit qu’on ne peut point ranger Auriol parmi les nominalistes purs et francs. Il soutient le conceptualisme, mais, à cause du vague de ses affirmations, de l’ambiguïté de ses expressions, plusieurs historiens l’ont considéré comme un adhérent du nominalisme que, de fait, il combattit, mais dont il prépara en même temps le succès. Auriol est sans conteste un précurseur immédiat du nominalisme d’Occam.

3. La connaissance.

D’après Auriol, l’objet réel de la connaissance est la chose particulière. Le maître franciscain ne distingue point la connaissance intuitive de labstractive, comme le faisait Duns Scot ; la connaissance intuitive, affîrme-t-il, peut exister même quand l’objet n’est pas présent. In I Sent., p. 25 a. Ces sortes de connaissances ne se distinguent que par le mode de connaître, modo cognoscendi ; toute la différence consiste en ce que l’objet est considéré comme présent ou absent. In I Sent., p. 27 ; cf. Werner, Die nachscotistische Scholastik, Vienne, 1883, p. 97. L’intelligence ne peut saisir que ce qui lui est présenté dans le phanlasma. Elle peut avoir également une connaissance abstractive de l’existence : ainsi, l’astronome sait parfaitement, par le calcul qu’il a fait, qu’il se produit une éclipse de soleil, même quand il n’en voit rien. In I Sent., p. 24 a. Quant au mode dont s’effectue la connaissance, nous l’avons exposé plus haut, principalement le rôle qui y revient à la volonté. Auriol nie

aussi les espèces, ces images indispensables à la connaissance suivant la théorie thomiste. Il estime qu’il faut éviter toute multiplication inutile des êtres et que l’invention de ces formée speculares ne contribue en aucune façon à faire mieux saisir le phénomène de la connaissance. In. Il Sent., dist. X II, q. i. a. 2. p. 154 h : In I Sent., p. 310 a. 320 a.

Auriol admet une distinction très prononcée, entre la connaissance sensible et intellectuelle, en s’appuvant sur l’axiome que le modus essendi doit correspondre au modus operandi, et inversement. L’objet de la connaissance sensible est le singulier, le particulier ; celui de la connaissance intellectuelle est l’universel, parce que, l’intelligence étant immatérielle, son objet doit être immatériel.

Pierre Auriol veut que toute connaissance se termine à un être intentionnel de la chose, distinct de son être réel et né de l’acte de l’intellection. Il formule ainsi sa conception générale de Vinlentio : in omni intentione émanât et procedit non aliquid aliud, sed ipsamet res cognita secundum quod habet terminare intuilum intellectus. Dans l’intellection, comme dans le sens d’ailleurs, l’acte de connaître pose la chose connue dans un être intentionnel, distinct de l’être réel : in actu intellectus de necessitate res intellecta ponitur in quodam esse inlentionali conspicuo et apparenti…, actus sensus exterioris ponit res in esse inlentionali ut palet in multis experientiis. Ici encore, il existe une opposition essentielle entre la théorie de connaissance de Pierre Auriol et celle d’Occam. Ce dernier, en etïet, ne veut pas de l’être intentionnel de la chose, de cet intermédiaire entre la chose et l’acte de connaître : esse quod sit médium aliquod inter rem et aclum cognoscendi. Il l’admettrait tout au plus dans le cas du concept : noti » abstractiva qua habetur universale in intelleclu. Voir art. Occam, t. xi, col. 886.

La connaissance intellectuelle des objets particuliers sensibles doit être nécessairement exclue. Le singulier ne peut être connu par l’intelligence comme singulier : Impossibile est singulare in sua singularitute cognosci, nisi designando et demonstrando ipsum sub certo’et determinalo situ in online ad potentiam apprehendenlem, seu in ordine ad ipsum, qui cognoscit singulare ; sed talem cognitionem designantem et demonstrantem rem aliquam sub certo situ, impossibile est esse in intellectu ; ergo notilia singularis signati, in quantum signatum est, impossibile est esse in intellectu. In I Sent., p. 804, 80fi a, 807 a ; cf. Ben. Lindner, O. E. S. A., Die Erkenntnisslehre des Thomas von Strassburg. dans les Beitrage de Bàumker, t. xxvir, fasc. 4-5. Munster, 1930, p. 70-73. D’après Auriol, il faut donc exclure toute connaissance intellectuelle du singulier : il n’existe que la connaissance intellectuelle de l’universel, que nous avons déjà exposée plus haut.

Quant à la relation entre l’intelligence et le phanlasma, Auriol affirme que ce dernier constitue le point de départ de la connaissance intellectuelle : Nihil enim intelligimus, quod actu non phantasiemur. In II Sent., p. 139 b. 222 a. La raison de cette dépendance doit être cherchée dans l’imperfection de l’intelligence : Dico quod causa (illius colligalionis) nulla est alia, quam imperfectio intellectus noslri. Intellectu* enim noster est in horizônte intelligenliarum, lenens médium inter snbstanlias materiales et abstractas. Ideo gradum aliquem habet intelleetualitatis, imperfectum tamen, et ideo non intelligit universale nisi in aliquu phantasiato particulari nec intellectus est in actu sui* respecta universalis, nisi phantasma sit in actu suo respecta particularis. In IV Sent., p. 2I’4. La relation entre l’imagination et l’intelligence est régie par une double loi. D’abord, la puissance abstractive de l’intelligence est en raison inverse de l’intensité de l’imagination ; plus forte est la puissance hmrginative, moins