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18’PIERRE AURIOL. DOCTRINE, TENDANCES GENERALES

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considérable d’importants ouvrages, qui lui assurent une place éminente parmi les théologiens et les philosophes <lu xiv° siècle.

1° Tendances générales. - Entre ceux-ci, comme le déclare mec raison X. Valois, op. cit., p. 521, il se distingue par sou originalité, par son avidité à se signaler par des opinions nouvelles, par son indépendance à se former des opinions personnelles, par sa tendance a critiquer les doctrines généralement admises par les scolastiques du xine siècle, ainsi que par Jean Duns Scot. Il rompt avec les doctrines franciscaines traditionnelles les plus fondamentales ; il se délecte à attaquer, à réfuter tant les théories scotistes que les doctrines thomistes. Il se glorifie de son indépendance radicale vis-à-vis de tous les scolastiques, et même de ses auteurs préférés, tels Aristole, Averroès et saint Augustin, et se complaît à conserver une individualité prononcée dans toutes les questions et à insister avec une certaine arrogance sur son indépendance formelle de tout autre philosophe et théologien. Il prend très souvent plaisir à combler ses adversaires d’amères ironies et de railleries sarcastiques : « plulonicum et erronicum . monstruosum et vaniloquium », etc. De la lecture de ses écrits, il résulte que l’influence exercée sur Pierre Auriol par saint Augustin, mais surtout par Aristote et Averroès, était très considérable. Il défend leurs théories, surtout celles des deux derniers philosophes, contre les attaques de l’école augustino-franciscaine et contre les interprétations inexactes et fausses que, d’après lui, l’école thomiste et d’autres scolastiques fournissent de leurs doctrines. Parmi les adversaires déclarés de Pierre Auriol, marchent en tout premier lieu Jean Duns Scot et saint Thomas d’Aquin, qu’il poursuit presque continuellement de ses attaques les plus acerbes ; viennent ensuite Henri de Gand, Noël Hervé, Thomas Wilton et Durand de Saint-Pourçain ; arrivent en dernier lieu Alexandre de Halès, saint Bonaventure, Albert le Grand, Gilles de Rome, Richard de Médiavilla, Godefroid de Fontaines, Guillaume de YVarc, etc. Ces attaques assidues et répétées contre tous les scolastiques attiraient de la part des adversaires de Pierre Auriol des répliques non moins nombreuses, des critiques non moins amères. Tout cela, saint Antonin le résume dans une expression succincte mais frappante : Quia manus ejus contra omnes, t’ertens in dubium firmala per a fins et in quæstionem vertens, manus omnium contra eum. Chronica, part. III, tit. xxiv. c. viii, § 2, Lyon, 1522, p. 244. Comme Auriol s’en prend à tout le monde et ne poursuit qu’un seul but, celui de chercher la vérité n’importe chez qui il la trouve, on peut dire en toute vérité qu’il n’appartient de fait à aucune école : il n’est ni platonicien, ni augustinien. ni aristotélicien, ni averroïste, ni scotiste, ni thomiste.

De plus, les discussions et argumentations du docteur franciscain sont caractérisées par une tendance foncièrement intellectualiste, qui consiste à rejeter toute Intervention de l’imagination, tout emploi de la métaphore et à exclure tout argument qui ne proviendrait pas de l’intelligence, à laquelle seule revient la suprématie dans la discussion et l’argumentation. La relation entre l’intelligence et l’imagination repose sur deux lois, dont la première affirme que le pouvoir d’abstraction et de la connaissance de la vérité est en raison inverse de l’intensité de l’imagination ; la seconde loi, au contraire, énonce que le degré de la perfection de l’imagination dépend directement du degré de la perfection de l’intelligence : Qui maxime sunt abslractiui et maxime cognoscenies veritatem, minus habent imaginationem inlensam. Quodlib., p. 93 b, et : Quanto grossior est intellectus, tanlo magis materiali pbantasmate indiget, quanto veto intellectus est allior in hominibus, tanto phantasmala spiritualiora et meliora

sufficiunt. Quodlib.. p. 83 b ; In IV Seul., p. 2 1 1 h. De plus, l’imagination détourne l’intelligence de la vérité : Imaginaliones autem… nullo modo possunt evadere… et ideirco omnes opinantes inde sumunt causant discedendi a vero. In I Sent., p. 224 a. Auriol s’oppose avec la même rigueur à l’emploi de métaphores et d’images dans la science et la philosophie, In I Sent., p. 745 b. p. 329 a, parce qu’elles. constituent une cause d’erreur : ’Juin quia mudus loquendi improprius est nec iisitalus in philosophia, quia est causa deceptionis. Quodlib., p. 83 b. Quant au sens mystique, spirituel, imaginaire, allégorique, tropologique de l’Écriture sainte, il ne les méconnaît pas, mais donne sa préférence au sens littéral et historique. Compendium, p. 15. D’où Auriol conclut : Credendum est magis ralioni quam exemplo, nain iste est error eorum, in qui bus imaginatio dominatur. qui non possunt aliquid intelligerc, nisi comitetur eos imaginatio aut exemplum, sicut dicit Commentator 2 Metaph., cap. 14. In I Sent., p. 82 b. C’est pourquoi il s’oppose de toutes ses forces aux arguments métaphoriques employés par les scolastiques, fussent-ils un Thomas d’Aquin ou un Duns Scot. Il caractérise tel argument du Docteur angélique comme une rhetorica persuasio, In I Sent., p. 147 b, ou observe : Mirum est quod in imaginationem ascendit alicujus philosophice sapientis, In 1 Sent., p. 531 a ; ailleurs il désigne la solution d’une difficulté comme solulio transphanlaslica. In III Sent., p. 475 b. Cette tendance intellectualiste explique également pourquoi Auriol rejette les doctrines platoniciennes et adhère de préférence aux théories d’Aristote.

A côté de cette tendance intellectualiste, il faut noter chez Auriol encore une tendance empiriste, qui consiste essentiellement à considérer le particulier, par opposition à l’universel, comme l’objet propre de la science et, conséquemment, à regarder l’expérience, par opposition à la dialectique, comme source de la science. La science, argumente Auriol, sera d’autant plus parfaite que son objet est plus parfait. Or, le particulier, l’individuel est plus parfait que l’universel. Scientia trahit nobilikdem ex objecto, unde nobilior est uûa alia, quia de meliori. et meliori subjecto est, ut dicitur tertio de anima in principio libri. Sed muni festum est quod individuum detnonstratum est qitid nobilius quam quidditas universaliler accepta… Ergo nobilior et perfectior est notitia, qua scitur quidditas aliqua ut signala et demonslrata, quam qua cognoscitur universalis et abstracta. In I Sent., p. 81(i b et 817 a. Le mode d’être du particulier, en effet, poursuit-il, l’emporte sur celui qui revient à l’universel ; tandis que l’universel n’existe que dans la raison, le particulier a une existence réelle et principale :.Von quidem quod res sit nobilior re, cum sit eadem res, sed est nobilior quoad modum essendi. Quidditas enim ut sic non habet esse nisi diminutum et rationis ; res vero démons trata habet esse reale et principale. In I Sent., p. 81(i a. Il conclut : Ex qui bus patet quod singularia demonslrata digniora sunt et principaliora, priora ac nobiliora quam quiddilates, supposilo quod non sint subsistentes, sed habent esse per singularia. In I Seul., p. 817 a. De plus, la connaissance du parti ulier l’emporte sur celle de l’universel par une plus grande détermination, une plus grande clarté et une plus grande certitude. Il s’ensuit que la connaissance du particulier, non celle de l’universel, est magnadignitatis eteonditio nobilissima et appetibilis ab omnibus. In I Sent., p. 817 a.

De ce principe, Auriol déduit que la source princi pale et proprement dite de la connaissance est l’expérience, à savoir la perception des objets extérieurs par les sens, ainsi que la perception des sensations et activités internes. Aussi rejet te-t il comme vaines et inutiles les raisons et les distinctions logiques, qui ne contribuent en rien à la science : Dtstinctioues logicm