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PIERRE D’ALCANTARA


gnit l’esprit d’oraison ; l’amour de la retraite, de la solitude et de la contemplation domine en lui. Il pénétra les plus profonds secrets de la vie intérieure. Enfin, le dernier trait caractéristique du saint fut celui de réformateur. Nul ne fut plus ardent pour exciter ses frères en religion à la pratique rigoureuse de la pauvreté, de la mortification et de toutes les observances séraphiques et à faire revivre l’esprit apostolique de saint François. Les franciscains qui avaient embrassé sa réforme reçurent et gardèrent de lui un précieux héritage : son esprit de pénitence et d’oraison. Connus sous le nom de déchaussés ou alcantarins, ils formèrent une branche de la grande famille de l’Observance. Ils se multiplièrent non seulement en Espagne et en’Portugal, mais jusque dans les Philippines, le Japon, la Chine et certaines contrées de l’Amérique. Ils ont donné— à l’ordre et à l’Église un grand nombre de saints et de bienheureux. On peut dire que leur ferveur réchauffa celle des autres frères mineurs du même pays, en sorte que l’Espagne est restée l’un des pays du monde où l’ordre de Saint-François a été le plus florissant et a pénétré le plus efficacement de son esprit les mœurs privées et publiques.

Enfin, saint Pierre d’Alcantara prit une part active dans la réforme du Carmel opérée par sainte Thérèse d’Avila, qu’il assista et éclaira de ses conseils avec un zèle infatigable, de telle sorte que, d’après le témoignage de l’illustre vierge, il doit être considéré comme le principal promoteur de cette réforme. Il entreprit à cet effet beaucoup de voyages, supporta beaucoup de fatigues et apparut plus d’une fois à la sainte pour l’assister de ses conseils.

II. Œuvres. — En dehors des Constitutions ou Ordonnances de la province réformée de Saint— Joseph, approuvées au chapitre de 1561, et d’un certain nombre de lettres, écrites à saint François Borgia, S. J., et surtout à sainte Thérèse, Pierre d’Alcantara composa encore un traité de l’oraison et de la méditation (Tratado de la oraciôn y medilaciôn) qui, en ces derniers temps, a été l’objet de nombreuses polémiques, surtout depuis le fameux ouvrage du P. Juste Cuervo, O. P., publié à Madrid en 1896 : Biografia de Fr. Luis de Granada, con unos articulos lilerarios donde se demueslra que et venera ble Padre y no san Pedro de A leântara, es et verdadero y unico autor del « Libro de la oraciôn ». L’auteur s’efforce de prouver que non seulement le Traité de saint Pierre d’Alcantara ne constitue qu’un abrégé du Livre de l’oraison et de la méditation de Louis de Grenade et lui est donc postérieur, mais aussi que le Traité ne constitue point une œuvre de Pierre et doit être également attribué à Louis de Grenade. A la seule lecture de leurs tables des matières, ces deux livres, dont les titres sont déjà apparentés, frappent par une ressemblance qui arrive presque à une exacte identité. Si, ensuite, on compare les textes des sujets traités par les deux célèbres auteurs, on remarque qu’aux endroits parallèles, il n’est pas rare de rencontrer non plus seulement des phrases de l’un intégralement rapportées par l’autre, mais des paragraphes et des alinéas, voire des pages entières qui ne présentent aucune ou presque aucune différence. La plupart du temps le décalque est brutal et palpable ; on n’a pas même pris la précaution de le dissimuler par quelque mot transposé, supprimé ou ajouté. L’identité est complète. Le Traité de Pierre d’Alcantara présente bien peu de textes qui ne se lisent aussi dans le Livre de Louis de Grenade ; ce dernier, par contre, intercale entre les passages communs, des phrases ou des alinéas, quelquefois même des pages assez nombreuses qu’on chercherait en vain dans le Traité. De plus, les pages de l’opuscule alcantarin qui ne se lisent pas dans le Livre de l’oraison (à peu près un neuvième du Traité), se retrouvent dans un autre ouvrage de

Louis de Grenade, dans la IIe partie de la Guide de »

pécheurs.

Jusqu’à l’ouvrage du P. Cuervo, l’universalité, à peu d’exceptions près, de ceux qui étaient en état de se faire une opinion sur ce sujet, admettait, par conviction acquise ou de confiance, que, si Louis de Grenade était l’auteur du Livre de l’oraison, saint Pierre d’Alcantara avait écrit, sur le même sujet, le Traité qui a été très souvent réimprimé sous son nom. Le P. Michel-Ange, O. M. Cap. cite jusqu’à 173 éditions connues. D’ordinaire même on n’hésitait pas à penser, à dire et à écrire que le franciscain avait le premier composé et publié son opuscule et que, dès lors, c’était Louis de Grenade qui était tributaire de saint Pierre d’Alcantara et qui avait amplifié le Traité composé par le saint. Le P. Cuervo, s’inscrit en faux contre ces données et dans l’ouvrage cité, il s’efforce de démontrer que le Traité, attribué au franciscain, n’est pas seulement postérieur à l’ouvrage de Louis de Grenade, mais même qu’il ne fut pas composé par saint Pierre d’Alcantara et doit être attribué à Louis de Grenade. Le même auteur a défendu encore récemment la même thèse, et dans un autre ouvrage, Fr. Luis de Grenada verdadero y ùnico autor dcl Libro de la oraciôn. Esludio critico definilivo. Réplica documentada a un escritor francés, publié à Madrid en 1919. L’écrivain français visé par le P. Cuervo est le P. Michel-Ange, O. M. Cap., qui s’est efforcé de démontrer, par tous les moyens, la thèse traditionnelle au sujet des deux ouvrages en question, c’est-à-dire que Pierre d’Alcantara doit non seulement être considéré comme l’auteur du Traité de l’oraison, mais que celui-ci est même antérieur au Livre de Louis de Grenade. Deux questions distinctes donc se posent : 1. A qui faut-il attribuer le Traité de l’oraison ? 2. Auquel des deux ouvrages, au Traité attribué à Pierre d’Alcantara ou au Livre de Louis de Grenade faut-il accorder la priorité ?


Avec le P. Michel-Ange nous croyons que le Livre et le Traité de l’oraison sont en réalité deux ouvrages distincts, qui, en dépit de leurs nombreuses similitudes-, n’ont rien de commun. La doctrine, qui est enseignée dans les ouvrages, n’est point la même : tandis que Louis de Grenade professe l’oraison conformément à la doctrine dominicaine, saint Pierre d’Alcantara pratique l’oraison suivant les enseignements franciscains. Ni en théorie, ni en pratique, ces deux serviteurs de Dieu ne peuvent avoir appartenu à une même école. Le Livre et le Traité ont chacun leur mentalité particulière et leur doctrine propre, même dans les parties communes où quelques petites additions, suppressions ou substitutions de mots ont suffi à tout ramener à la doctrine et à la mentalité de l’auteur. Ces deux ouvrages ne sont pas seulement distincts par rapport à la doctrine, ils sont aussi absolument divers sous le rapport du style : la simplicité du style du saint franciscain n’a rien de commun avec la grandiloquence de Louis de Grenade. L’attrait exercé n’est pas le même : saint Pierre d’Alcantara veut être médité plutôt que lu ; il attire à la réflexion. il se prend, si l’on peut dire, bouchée par bouchée. Louis de Grenade s’accommode d’une lecture non interrompue qui enchante, captive, fait aimer les sujets si éloquemment proposés. Aussi bien, les deux ouvrages s’adressent-ils à des lecteurs différents : Louis de Grenade veut agir sur toutes les personnes, principalement sur celles qui « jamais ne se mettent en peine de considérer avec attention l’objet de leur foi et, par suite, de se conduire en conformité avec’cette foi : saint Pierre d’Alcantara déclare expressément avoir écrit son traité « pour tous ceux qui cherchent le Seigneur et pour ceux-là seulement ». et son action consiste à leur faciliter cette recherche, à les y aider,