Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1467
1468
PHILOSOPHIE. METHODE

étudier la valeur de ces concepts, formules, théories, etc. : il lui faut une logique, et cette logique lui est heureusement fournie par l’héritage de l’antiquité. Les données de la foi se rapportent à un objet : Dieu et la révélation, la révélation concernant le monde physique et spirituel et l’action de Dieu sur ce monde. Il est trop évident que la révélation suppose Dieu et le monde déjà connus en partie, comme l’arithmétique suppose le nombre déjà connu. Des deux côtés, la clarté apparente d’une réalité complexe va se résoudre par l’analyse en éléments premiers et en principes premiers. La théologie veut une métaphysique. Toutes les données de la foi sont orientées vers une fin, la vie éternelle. Rien n’est si souvent mentionné dans l’Écriture, c’est tout le ressort de la vie chrétienne. Un enseignement organisé sur la destinée a très rapidement pris la forme scientifique ; déjà, au iiie siècle, les Testimonia de l’Écriture sont classés d’après des concepts, et les petits traités moraux de saint Cyprien coulent les exhortations chrétiennes dans les cadres de l’éthique philosophique. A plus forte raison, aux xiie-xiiie siècles, la morale théologique possède une systématisation qui doit être poussée jusqu’au bout. Il lui faut donc une philosophie morale intégrale, que Thomas d’Aquin constitue par des procédés uniquement rationnels et sur des fondements qu’il veut uniquement rationnels. Le processus de notre philosophie chrétienne traditionnelle est donc, en son fond, identique au processus des philosophies les plus récentes. Pour qu’il fût illégitime, il faudrait que le privilège de fournir un point de départ à la philosophie n’appartînt qu’à une seule science, par exemple, aux mathématiques ; ou bien il faudrait concevoir l’autonomie de la philosophie comme excluant la révélation. Nous avons déjà rejeté la seconde objection, qui n’est qu’une sottise ; la première sera examinée plus loin.

Bien entendu, la philosophie chrétienne a son unité encore bien plus fortement que toute autre : c’est Dieu qui est la ratio intelligendi, causa essendi, lex vivendi. Mais, si la philosophie a son objet, son unité et sa division tripartite, par quelle méthode convient-il d’étudier cet objet ?

IV. MÉTHODE DE LA PHILOSOPHIE.

Il est évident qu’à rechercher les principes implicites d’une démonstration mathématique, à scruter la nature des éléments ultimes des corps, à suivre l’élan total de la vie morale, on emploie des méthodes différentes. Nous ne pouvons cependant entrer dans le détail des méthodes de la logique, de l’épistémologie, de la philosophie première et de l’éthique. Cela est du ressort des traités de philosophie. Nous serons donc obligés de rester dans le vague en ne caractérisant que de manière assez générale la méthode de la philosophie. Il semble qu’une analyse idéale de l’esprit, aussi bien que la considération historique des sociétés et des sciences, nous révèle quatre méthodes possibles : méthode purement rationnelle à priori, méthode purement empirique, méthode de la raison expérimentale, méthode réflexive. On sait que la méthode à priori consiste à partir de notions et de principes définis par l’esprit et d’en tirer des conséquences, sans les emprunter aux faits ou les comparer avec les faits. On sait que la méthode purement à posteriori consiste à observer les faits, à les décrire, à en tirer les enseignements qu’ils comportent, mais sans dépasser ce que révèle l’observation immédiate. On entend par méthode de raisonnement expérimental celle qui observe les faits avec soin et précision, mais use d’hypothèses et de principes pour les observer, et surtout dégage des faits les principes implicites et tire de ces principes des conséquences. Enfin, la méthode réflexive consiste à user de la capacité qu’a notre esprit de connaître ses propres actes, de prendre le résultat de sa pensée pour objet de pensée, et ce nouvel objet pour objet de pensée, et ainsi de suite à l’infini.

Méthode purement empirique.

Un instant de réflexion suffit pour montrer qu’une méthode totalement empirique entraîne une suppression totale de la philosophie. Si le savoir ne peut pas dépasser les faits bruts, c’est-à-dire nos sensations (car un fait brut n’est qu’une sensation, à l’endroit où on l’éprouve et à l’instant où on l’éprouve), la réflexion sur les faits n’a ni valeur, ni même de sens. Le positivisme, pour qui la philosophie ne serait que la description des méthodes des sciences et le résumé de leurs lois encyclopédiques, dépasse donc largement l’empirisme, bien qu’il prétende s’y tenir : de là son incohérence. D’ailleurs, les travaux si nombreux et si puissants, faits depuis cinquante ans sur la logique des sciences, ont éliminé l’empirisme radical : tout le monde reconnaît aujourd’hui que la science est le résultat d’une collaboration de l’esprit et des choses, et que cette collaboration donne des résultats légitimes.

Méthode purement à priori.

Pareillement, une méthode uniquement à priori est évidemment inapte à fonder la philosophie. Pour qu’elle réussît, il faudrait admettre que l’esprit possède le pouvoir prodigieux, en tirant de lui seul des idées, de reconstruire le monde tel qu’il est. Notre esprit devrait posséder une activité intellectuelle qui restaurât totalement, dans l’ordre de la connaissance, la genèse réelle des choses : en somme, il faudrait que Dieu pensât en nous.

Si pareille prétention a pu être émise par Hegel, l’écroulement de sa philosophie a eu pour effet de rendre les philosophes plus réservés. Tout le monde comprend aujourd’hui que, si un système était construit totalement à priori, il ne porterait pas en lui-même la preuve de sa vérité. Il faudrait au moins le contrôler par les données réelles de l’univers, de telle sorte qu’après la philosophie à priori, il en faudrait une seconde qui ne serait plus à priori. Il est d’ailleurs très remarquable que, si certains philosophes prétendent encore user d’une méthode à priori et construire la réalité par la pensée, ils emploient cette méthode avec toutes sortes de correctifs. La dialectique synthétique, telle que l’ont employée Hamelin, Essai sur les éléments principaux de la représentation, Paris, 2e éd., 1925, ou René Hubert, Essai sur la systématisation du savoir scientifique, dans Rev. de métaph. et demor., juillet 1922, ne construit pas la réalité, elle la reconstruit plutôt. C’est-à-dire que, connaissant déjà le monde réel, avec la vie, la personnalité, la liberté, les auteurs combinent les éléments à priori de la représentation, de manière à retrouver ce qu’ils connaissaient déjà en fait. Leur philosophie, malgré sa méthode en apparence purement dialectique, suit la science et la psychologie ; et, loin de s’enfermer dans la nécessité qu’implique une pure déduction d’idées, elle reconnaît une contingence.

Méthode expérimentale.

Il semblerait donc que le moment serait venu, pour les philosophes, de constater leur accord profond sur les thèses fondamentales du rationalisme, et d’user sans restriction de la méthode que nous avons appelée de la raison expérimentale, méthode qui consiste à trouver, dans les faits eux-mêmes, une pensée implicite qu’on en dégage et qui donne lieu à des déductions, à des théories.

Si l’emploi de la raison expérimentale, admis par tous ceux qui pensent à l’heure actuelle, ne donne pas lieu pour tous à une philosophie intégrale, c’est que cet emploi est arbitrairement limité par des postulats que tout à l’heure nous allons indiquer.

Méthode réflexive.

La quatrième méthode, méthode réflexive, a certainement sa place en philo-