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PIE X. L’ACTION SOC1 ILE

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société, de rétablir le principe de l’autorité humaine comme représentant celle de Dieu ». L’amélioration du sort tic la classe populaire n’est qu’un moyen coordonné à cette (in très générale. L’encyclique ne nie pas d’ailleurs que la solution de la question sociale soit l’une des parties les plus importantes de l’action catholique. Cette solution doit être cherchée en fonction des principes qu’a rappelés le molu proprio du 18 décemhre 1903 : l’inégalité des conditions est nécessaire à la société ; le droit de propriété individuelle est l’un des fondements de celle-ci ; il y a lieu de distinguer nettement entre les obligations de la justice et celles de la charité ; il se trouve dans l’indigence une certaine noblesse et une source de mérites incomparables pour le ciel ; c’est surtout par les œuvres d’assistance que se manifeste l’action sociale ; en tant que forme de l’action catholique, celle-ci est, de toute nécessité, soumise à la hiérarchie ; aucune des œuvres qu’elle inspire ne peut être indépendante des conseils et de la haute direction de cette autorité. Les dernières pages de l’encyclique visaient les démocrates autonomes et rappelaient les condamnations dont ils avaient déjà été frappés ; elles ajoutaient des conseils à l’usage des ecclésiastiques qui, sous la direction de leurs supérieurs légitimes, se livreraient à l’action sociale. On n’y cachait pas que l’on voyait sans plaisir le clergé donner « une excessive importance aux intérêts matériels du peuple », on eût préféré qu’il usât moins de la presse et de la parole publique. Et, néanmoins, il convenait de travailler « à améliorer, dans les limites de la justice et de la charité, la condition économique du peuple, en favorisant et propageant les institutions qui conduisent à ce résultat, celles surtout qui se proposent de bien discipliner les multitudes, en les prémunissant contre le socialisme ».

L’appel de Pie X à la concorde entre catholiques italiens ne devait pas être entendu. Plus que jamais le groupe des démocrates s’éloigna des directives, jugées par lui beaucoup trop conservatrices, que le pape traçait à l’action sociale. L’irritation du pape se traduisit en paroles véhémentes dans l’encyclique Pieni l’animo du 28 juillet 1906 : défense était faite, sous des peines graves, à tout prêtre, à tout clerc de s’inscrire à une société qui ne dépendrait pas des évoques, et particulièrement à la Ligue démocratique nationale. A force de braver les menaces ecclésiastiques, don Murri finit par encourir la sentence suprême : le 22 mars 1909, d’ordre du pape, un décret du Saint-Office le déclarait nommément excommunié et vitandus. Son « démocratisme » le conduisait au même résultat où, un an plus tôt, le modernisme avait mené A. Loisy.

2° La condamnation du « Sillon » en France. — C’est dans cette atmosphère de lutte qu’il faut replacer, si l’on veut en bien comprendre le sens, la condamnation qui atteignit, en 1910, le mouvement social qui reconnaissait en France Marc Sangnier pour son chef et qui s’appelait le « Sillon ».

Ce mouvement ne se rattachait que d’assez loin à celui des « démocrates chrétiens » de notre pays. Ceuxci, dont les représentants les plus en vue à la fin du règne de Léon XIII étaient les abbés Naudet et Dabry, s’étaient plus ou moins compromis dans l’aventure moderniste. C’était moins pour leur attitude dans la question sociale que pour leur complaisance à l’endroit des nouveautés doctrinales que leurs journaux, la Justice sociale et la Vie catholique, avaient été atteints, en février 1908, par une sentence du Saint-Office. Le « Sillon » n’avait jamais prêté le liane à de semblables griefs. Mouvement mystique plus que politique, il traitait en somme des questions sociales, moins en vue de réalisations immédiates, que pour créer, dans l’élite catholique, un état d’esprit favorable à l’idéal démo cratique. En ses premières années, il s’était même présenté surtout comme un effort religieux, visant au perfectionnement moral de ses membres. Cette circonstance explique la faveur avec laquelle il avait été d’abord accueilli par Pie X. Dans l’allocution prononcée le. Il septembre 1901, à l’adresse de Marc Sangnier et de ses jeunes camarades venus en pèlerinage à Rome, le pape, empruntant jusqu’à un certain point le langage même du « Sillon », ne disait-il pas : « Chacun de vous, désormais, pourra nous considérer non pas seulement comme un père, mais comme un ami » ?

Cette faveur ne tarda pas à faire place, en cour de Home, à une certaine inquiétude, surtout quand le « Sillon, prenant une conscience plus nette de l’idéal qu’il préconisait, se présenta plus décidément comme un mouvement démocratique et social, lui fait, il n’était pas impossible d’établir quelque parallélisme entre les doctrines que développaient les démocrates chrétiens d’Italie et celles où se complaisait « le plus grand Sillon ». En France, d’ailleurs, le « Sillon » n’avait pas que des amis et de violentes attaques étaient menées contre lui de divers points de l’horizon ecclésiastique. Saisi de ces plaintes, le pape finit par se prononcer dans l’encyclique, Xolre charge apostolique, adressée le 25 août 1910 à l’épiscopat français. Le grief essentiel que l’on faisait au « Sillon » c’était de prétendre échapper à la direction de l’autorité ecclésiastique ; à quoi se joignait un procès en règle des principales tendances du mouvement : il visait à l’abolition des classes sociales ; plaçait l’autorité dans le peuple ; proclamait comme un idéal l’émancipation politique, économique, intellectuelle ; prônait la participation la plus grande possible de chacun au gouvernement de la chose publique ; déclarait que son idéal était de « porter au maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun » ; voyait dans « l’autorité consentie » le degré supérieur de l’obéissance. De ces fausses notions de la justice, de l’égalité, de la fraternité, de la dignité humaine le document faisait justice, les déclarant, sans plus, un héritage de la grande Révolution. Fausse démocratie que tout cela ! Il convenait de bien se persuader que « la question sociale et la science sociale n’étaient pas nées d’hier, que de tous temps l’Église et l’État heureusement concertés avaient suscité dans ce but des organisations fécondes, que l’Église n’avait pas à se dégager du passé, qu’il lui suffisait de reprçndre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine. Venaient, après ces développements, où se trouve le plus clair des idées positives de l’encyclique, les mesures d’ordre pratique. L’organisation générale du « Sillon » devrait se dissoudre ; les membres du « Sillon » se grouperaient par diocèses sous la direction des évêques, et ces groupements diocésains seraient indépendants les uns des autres.

On sait avec quelle dignité simple le chef du mouvement se soumit. Son journal, la Démocratie publia, dès le 31 août, une lettre adressée au pape, protestant de sa foi catholique et aussi de sa bonne foi. Mais les groupes sillonistes diocésains prévus par l’encyclique ne se constituèrent pas. Il ne fut plus question du « Sillon » ; seule la Démocratie continua à paraître comme organe d’action sociale, en s’efïorçant d’éviter les problèmes difficiles.

Peut-être n’est-il pas inutile, pour achever de caractériser l’attitude de Pie X en matière politicosociale, de rappeler la position prise par lui vis-à-vis d’un groupe qui professait, au point de vue tant politique que social, des doctrines diamétralement opposées à celles du « Sillon ». Au républicanisme de celui-ci le groupe d’ « Action française », fondé aux dernières