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PIE X. LUTTE CONTRE LE MODERNISME


qui parlargea avec la Commission biblique le droit de donner les grades en Écriture sainte, droit qui avait jadis été réservé (23 février 1904) à celle-ci. La désignation, comme directeur du nouvel institut, du P. Fonck, S., J., l’ut regardée comme assez fâcheuse par les plus dociles d’entre les critiques catholiques.

3. Far les interdictions promulguées en matière scripturaire, par l’impulsion qu’on pensait avoir donnée aux études bibliques, on avait paré à l’une des causes du modernisme. Mais, si l’encyclique Pascendi (et plus encore le décret Lamentabili) avait désigné comme l’un des facteurs de la crise les abus en matière de critique biblique, elle n’avait pas laissé de signaler au même litre les graves erreurs philosophiques de l’époque contemporaine. A cette philosophie discuteuse et qui remettait en question les plus graves problèmes, il fallait opposer une philosophie chrétienne et, si l’on ose dire, une » philosophie d’autorité ». Celle qu’avait constituée saint Thomas paraissait la plus indiquée par sa clarté, et, disons-le aussi, par la diffusion qu’avail commencé à lui donner l’action persévérante de Léon XIII. Aussi Pie X ne cesse-t-il de presser, finalement d’exiger, le retour à la philosophie (et à la théologie) thomiste : lettre apostolique du 23 janvier 1904 sur l’Académie romaine de saint Thomas ; lettre du (i mai 1907 au cardinal Richard et aux évêques protecteurs de l’Institut catholique de Paris ; insistance spéciale dans le motu proprio mSacrorum antistitum » du 1 er septembre 1910, etc.

Mais il faut accorder une mention toute spéciale au motu proprio « .Doctoris angelici « du 24 juin 1914, qui vise d’ailleurs exclusivement (on l’a un peu oublié par la suite) l’Italie et les îles adjacentes. Sur un ton d’autorité qui se retrouve à peine dans les documents visant le modernisme, le pape y déclare que seule la philosophie thomiste est capable de présenter des vérités naturelles, fondement de la religion chrétienne, une synthèse satisfaisante : < Si la vérité catholique est destituée de ce secours, elle cherchera vainement ailleurs de l’aide dans cette philosophie dont les principes ou sont communs ou, du moins, ne répugnent pas aux erreurs du matérialisme, du monisme, du panthéisme, du socialisme et du modernisme. » Peut-être serait-on tenté de croire que la philosophie ainsi imposée d’autorité est tout simplement la philosophia perennis, commune à tous les grands penseurs du christianisme. Nullement ; c’est le système thomiste, en tant que tel, qui reçoit cette espèce de canonisation. Que s’il a pu arriver au pape, dans les années précédentes, de donner quelque louange à d’autres maîtres du passé chrétien (saint Bonaventure ou Scot, par exemple), c’est pour autant qu’ils s’accordent avec Thomas d’Aquin : « Jadis nous voulions que tous ceux qui travaillent à enseigner la philosophie et la théologie sacrées fussent avertis que, s’ils s’éloignaient d’un seul pas, surtout dans les choses de la métaphysique, de Thomas d’Aquin, ce ne serait point sans un grand détriment. Aujourd’hui nous déclarons de plus que non seulement ceux-là ne suivent point saint Thomas, mais s’égarent très loin du saint docteur, qui pervertissent dans leurs interprétations ou qui méprisent entièrement ce qui, dans sa philosophie, en constitue les principes et les grandes thèses. » —— Ces grandes thèses, un document qui parut le 21 juillet 1914 se chargeait de les expliciter, en se référant directe ment au texte du motu proprio. Il se présentait sous forme d’une consultation rédigée par la Congrégation des Études. Divers professeurs, disait ce document, ont proposé à l’examen de la Congrégation quelques thèses quas ipsi ad priveipua sancti prweeptoris (il s’agil de saint Thomas) principia in re præscrtim metaphusica exacias tradere et propugnare consueverunt.’Après mûr examen et après en avoir référé au pape,

la Congrégation, d’ordre de celui-ci, déclarait que lesdites thèses, au nombre de 24, contenaient d’une manière très exacte les principes et les assertions majeures du saint docteur : eus plane conlinere saneli doctoris principia et pronuntiata majora. Ce texte parut dans le numéro des Acta apostolicæ Sedis qui porte la date du.’! août 191 !  ; c’est dire comment il fut peu remarqué sur l’instant ; sous" les pontificats ultérieurs, des explications oflicieuses en furent données qui atténuaient ce qu’avait de quelque peu — antiphilosophique < le procédé consistant à décréter, par voie administrative, ce qui était la vérité philosophique. Argumentant ab auctoritate, disait saint Thomas parlant des questions de ce genre, est infirmissimnm.

4. La critique historique s’exerçant dans le domaine religieux avait été dénoncée, elle aussi, par l’encyclique Pascendi, comme l’une des sources de l’erreur moderniste. Qu’elle étudiât les institutions anciennes de l’Église, qu’elle décrivît l’histoire même des dogmes, que, d’une main [dus innocente, elle s’attaquât à de vieilles traditions, à de vieilles légendes plus ou moins incorporées à l’enseignement ecclésiastique, elle apparaissait suspecte. Il n’y eut pas, à la vérité, d’actes officiels exclusivement consacrés à en signaler les méfaits et l’on ne voit aucune tentative pour diriger » l’histoire, comme on essaya de « diriger » l’exégèse ou la philosophie. C’est dans les lettres personnelles adressées, soit par Pie X lui-même, soit par le secrétaire d’État, aux auteurs ayant fait hommage au Saint-Père de leurs productions littéraires qu’il faudrait chercher surtout l’expression des sentiments que nourrissait la curie à l’endroit de ce que l’on appelait assez volontiers l’hypercritique. De ces manifestations, la plus caractéristique pourrait bien être l’approbation enthousiaste donnée par le cardinal Merry del Val à Mgr Fuzet, archevêque de Rouer., pour son Apostolicité des Églises de Provence, dirigée contre les démonstrations de L. Duchesne. Voir Acta apost. Sed., t. iv, p. 355. La réforme du bréviaire, si rapidement enlevée pour ce qui est du psautier, se heurta, pour ce qui était de la "correction des « légendes », à d’insurmontables difficultés provenant justement de l’état d’esprit que nous essayons de décrire.

En définitive, la lutte contre le péril très grave que constituait à coup sûr le modernisme amène l’Église de Pie X à prendre, dans les diverses questions intellectuelles, une attitude qui peut sembler chagrine. A la fièvre de savoir, à l’esprit de discussion, à l’engouement pour les idées nouvelles et les découvertes retentissantes qui se remarquent dans les milieux français, allemands, italiens de la fin du règne de Léon XIII, on oppose, à Rome, sous le pontificat de Pie X, un régime sévère et même une médication qui peut aujourd’hui nous paraître drastique. Il en faut juger non point dans l’abstrait, mais en fonction des circonstances qui rendirent ces mesures opportunes ou même indispensables. Peut-être l’histoire se montrerat-elle plus sévère pour un certain, nombre de moyens mis en œuvre par l’entourage immédiat du pape et du secrétaire d’État. Des révélations ultérieures ont fait connaître le rôle peu reluisant que jouèrent à ce moment des personnages qui virent surtout dans " l’intégrisme » un moyen de se pousser, organisèrent une association occulte, dénommée Sodalitium pianum (vulgo la Sapinière), érigèrent la délation en système et ne reculèrent pas toujours devant la calomnie. Sur cet aspect de la lutte antimoderniste, voir J. Rivière, Le modernisme, p. 506-521. Sur la connaissance qu’eut Fie X de l’activité du Sodalitium pianum, voir p. 515.

IV. Le gouvernement intérieur de l’Église. L’action sociale. — Sur ce point encore, Pie X a été amené à prendre Une attitude défensive, qui ne laisse