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    1. PHILOSOPHIE##


PHILOSOPHIE. OBJET ET DIVISION

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certitudes premières, elle ne les fait reposer sur rien d’autre, et, par conséquent, elle ne dépend d’aucune autre science.

On se trompe souvent sur cette autonomie de la philosophie, parce qu’on la confond, par des transitions insensibles, avec l’autonomie morale de Kant : on s’imagine que la philosophie revendique l’autonomie, en ce sens qu’elle prétendrait se suffire par les forces humaines et ignorerait de parti pris l’autorité divine. Il ne s’agit pas de cela. La philosophie a beau être autonome de la manière que nous avons précisée, elle s’appuie sur les lois physiques ou sur les événements de l’histoire pour justifier telle théorie métaphysique ou morale ; de la même manière, elle devra utiliser les données que lui fournira la révélation faite par Dieu. Bien plus, la métaphysique, en étudiant les attributs divins, établira la possibilité d’une révélation ; et elle pourra même, en analysant l’action humaine, montrer que l’homme a le devoir de chercher, parmi les religions, celle qui est la vraie.

Remarquons ensuite que la foi chrétienne, exprimable en notions intelligibles, usant d’arguments qui en prouvent la vérité, requérant une adhésion totale du vouloir, suppose par là même des notions intelligibles premières, des principes de la démonstration, des évidences premières légitimant les certitudes médiates. La foi chrétienne suppose donc la philosophie autonome. A l’inverse, la philosophie, pour autonome qu’elle soit, exprime des vérités qui ne sont premières qu’en manifestant l’ordre des idées divines : la vérité pensée par les hommes dépend de la vérité absolue. Et si la vérité absolue parle dans l’histoire, la philosophie devra faire son profit de ses enseignements.

5° Dans cette recherche de ce qui est premier, dans cet effort pour enfoncer la réflexion au-dessous des fondements des sciences, la philosophie devient une critique universelle, une mise en question totale. C’est là un de ses caractères les plus frappants à l’époque contemporaine, et, il faut le dire, un de ses aspects les plus dangereusement séduisants et corrupteurs. Trop souvent les philosophies du xixe siècle n’ont été qu’une critique de la connaissance que ne suivait aucune affirmation positive. Pour beaucoup, philosophie est devenue synonyme de scepticisme, et certains ont prétendu que douter de tout était la vertu fondamentale de l’homme qui pense. Ces exagérations, qui ont fait tant de mal, ne doivent pourtant pas empêcher de voir que la critique, le contrôle méthodique, même une certaine forme de doute ont été employés par d’autres avec sagesse, et qu’ils appartiennent à l’essence de la réflexion philosophique. Naturellement, il ne s’agit pas de douter de tout et d’essayer ensuite de bâtir un édifice de connaissances certaines : d’abord, douter de tout est une folie, et qui a suspecté la valeur de toute certitude n’aura plus le droit d’en utiliser aucune. La mise en question philosophique ne supprime pas les certitudes de l’expérience, de la science et de la foi : pour parler comme les phénoménologues d’aujourd’hui, elle les met entre parenthèses (einklammern), comme des blocs compacts, pour les dissocier, c’est-à-dire pour analyser les divers ingrédients qui y entrent, pour trouver les principes, causes, etc., qui justifient, expliquent, engendrent ces certitudes.

Ces caractères, croyons-nous, sont communs à la spéculation philosophique d’aujourd’hui et à celle de tous les temps. Si ce ne devait être un travail infini, nous essaierions de le montrer. En tout cas, personne, nous en sommes persuadé, ne les contestera. Seulement, ils demeurent un peu vagues. Suffisent-ils à fonder l’unité de la philosophie ? Nous en sommes convaincu, pourvu qu’on pousse l’analyse un peu plus loin.

III. L’OBJET ET LA DIVISION DE LA PHILOSOPHIE.

Les caractères des disciplines philosophiques, tels que nous les avons décrits, sont d’abord les caractères d’une attitude intellectuelle, laquelle peut s’adapter à toute espèce d’objet de connaissance. On dit ainsi que quelqu’un a l’esprit philosophique, et l’esprit philosophique est susceptible de s’exercer sur n’importe quoi. Cependant, il suffit d’un éclair de réflexion pour se convaincre que l’attitude philosophique, si elle ne se heurte pas, comme c’est le cas si souvent, à des préjugés, implique un objet de connaissance. L’effort pour une pensée totalement claire, pour connaître ce qui est premier, pour pénétrer au delà du domaine de l’expérience commune et de la science, suppose qu’on atteindra les principes premiers du connaître et les éléments constituants de l’être. S’il en allait autrement, l’effort n’aurait aucun sens ; et notre expérience commune et notre science, ne reposant sur rien, n’en auraient pas davantage. L’attitude philosophique implique donc un objet de connaissance, les premiers principes du connaître et les éléments constituants de l’être. Les anciens donnaient le nom de causes à ces éléments constituants (causes matérielle, formelle, efficiente, finale). Nous obtenons ainsi la définition traditionnelle de la philosophie : science des premiers principes et des premières causes. Et cette définition devrait être acceptée par tous nos contemporains, si certains principes admis comme postulats ne les empêchaient de réaliser ce qu’implique leur attitude.

Nous pouvons d’ailleurs vérifier qu’en réalité, malgré les dénégations verbales de beaucoup, la philosophie est bien cela. Il nous suffira d’examiner les problèmes qu’elle pose, et si ces problèmes ne se rapportent pas à l’unité implicite d’un objet.

Aujourd’hui, les philosophes posent les problèmes par rapport à la science. Sauf de rares exceptions (M. Benedetto Croce), ils acceptent les sciences, surtout les sciences physico-mathématiques, comme génératrices et normes de vérité. Positivistes, idéalistes ou autres essaient simplement de poser et de résoudre les questions qui sortent implicitement de la science, sans que celle-ci s’occupe de les résoudre. Or, ces questions sont au nombre de trois.

Critique des méthodes.

Chaque science emploie ses procédés à elle pour chercher la vérité, pour la prouver, pour la communiquer. Ces procédés, encore que pour une même science ils puissent être assez différents et assez nombreux, se commandent les uns les autres, se conditionnent, sont dirigés vers un même but. Ils forment, en un mot, une méthode. L’arithmétique a sa méthode, la géométrie a la sienne, et, de même, la chimie, la géographie. Or, ce n’est pas l’affaire de l’arithmétique, ou de la géométrie, ou de la chimie, ou de la géographie, de décrire leur propre méthode, d’en discerner les éléments et les principes, surtout de la critiquer et de la justifier. Les savants pratiquent les méthodes, ils n’en font pas la théorie. Une heure de réflexion vient toujours cependant où, après les découvertes, on se demande ce qu’elles valent et, par conséquent, ce que vaut la méthode qui les a fait trouver. A ce moment, l’inévitable réflexion sur la méthode, sur ce qui la constitue, sur sa valeur, est philosophie : à proprement parler, c’est la logique (théorie de la vérité et des procédés pour la découvrir et l’enseigner) et l’épistémologie (théorie de la connaissance et de la valeur de la connaissance).

Critique de l’objet des sciences.

Chaque science a un objet, soit donné dans la réalité, soit idéal. Cet objet ou, pour mieux dire, ce point de vue, cet aspect d’un objet, font l’unité de la science. Cela paraît, à l’homme irréfléchi, une constatation sans intérêt et qui ne requiert pas d’explication. Mais, entre les sciences, il y a des querelles de frontières : ce qu’on