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PIE IX. RAPPORTS AVEC LES ÉTATS


au Reichstag son programme : « Les jours de l’immixtion dans la vie intérieure d’autres peuples ne reviendront plus, affirma-t-il, nous en avons l’espoir, ni sous aucun prétexte, ni sous n’importe quelle forme ». (i. Goyau, Bismarck et l’Église, t. i, Paris, 1922, p. loi. Ainsi, la Prusse se désintéressait de la question romaine ou plutôt reconnaissait, en une certaine manière, le fait accompli, c’est-à-dire la spoliation perpétrée par l’Italie.

A partir de 1871 les rapports entre le Vatican et la Prusse devinrent tendus à propos du Centre catholique dont la politique contrecarrait les projets de Bismarck et que le pape n’avait pas consenti à blâmer. Le chancelier, manifesta sa rancune, en s’abouchanl avec les vieux-catholiques, c’est-à-dire avec le parti formé par des savants de renom comme Dôllinger et le canoniste Jean-Frédéric Schulte contre le dogme de l’infaillibilité pontificale. Il les soutint dans leur révolte, sans s’illusionner toutefois sur leur influence réelle et se servit d’eux plutôt comme d’une arme contre Rome. Conformément à une décision prise à Fulda, le 30 août 1870, l’épiscopat avait mis en demeure de se soumettre à la définition du concile du Vatican tant les prêtres que les professeurs. Il lui fut facile d’instrumenter contre les premiers, mais le gouvernement maintint obstinément les autres en possession de leurs charges et relira au clergé l’inspection scolaire. Tandis qu’une guerre religieuse s’ébauchait, Bismarck projeta de négocier avec Rome. Jetant son dévolu sur le cardinal de Hohenlohe, personnage peu intelligent, pieux, charitable, mais antiromain, antiinfaillibiliste et antijésuite, il le choisit comme représentant de l’empire à Rome. Il comptait régler les affaires ecclésiastiques sans consulter le Saint-Siège : Hohenlohe aurait seulement assumé le rôle ingrat de fournir des explications sur des mesures prises, d’endormir la confiance du pape, de lui prodiguer de belles paroles et surtout de museler le Centre catholique. Pie IX ne tomba pas dans le piège qu’on lui préparait et s’opposa au choix du cardinal. L’échec fut sensible à Bismarck. « Soyez sans erainte, s’exprima-t-il, au Beichstag, nous n’allons pas à Canossa, ni de cœur, ni d’esprit » ; cité par G. Goyau, Ilismarck et l’Église, t. i, p. 285. Il ne voulait pourtant pas rompre et désirait, au contraire, obtenir un concordat pour l’Alsace. Dans le même moment (mai 1872) ses’agents diplomatiques s’efforçaient de connaître l’opinion de l’Europe au sujet de l’attitude à adopter durant le prochain conclave et dénonçaient le péril que créait une puissance d’ordre spirituel dont le concile du Vatican avait exagéré les attributions. G. Goyau, ibid., p. 288. Windthorst. le leader du Centre catholique, éventa les procédés de Bismarck, mais celui-ci, rendu furieux, se retourna contre les jésuites qu’il tenait pour les défenseurs les meilleurs du Saint Siège. Une loi (19 juin 1872) sanctionna la fermeture des nombreuses maisons que l’ordre possédait dans l’empire. Dans la pratique, cette mesure engloba les rédemptoristes, les lazaristes, les barnabites et les dames du Sacré-Cœur. La persécution s’étendit jusqu’aux évêques qui avaient osé excommunier les vieux-catholiques sans prévenir l’Etat. Elle s’annonça même pire, car, à l’aide de canonistes protestants, Bismarck préparait toute une législation destinée à asservir l’Église au pouvoir civil. Pie IX éleva la voix dans le consistoire du 23 décembre 1872 en faveur des catholiques allemands. Le chancelier ne toléra pas le blâme public qu’on lui infligeait : le 30 suivant, il rompait les relations diplomatiques avec le Saint-Siège.

Au mois de mai 1873 étaient votées par le Landtag prussien diverses lois attentatoires à la liberté ecclésiastique. Des pénalités sévères frapperaient les con trevenants. Bismarck comptait sur la veulerie du clergé et sur la minorité des évêques qui, lors du concile du Vatican, aval ni préféré quitterBome plutôt que de signifier le non placet à la définition du dogme de l’infaillibilité ; il escomptait une parfaite soumission et ne prévoyait pas la résistance. L’épiscopat demeura uni et suivit les directions romaines. Dès le 24 avril 1873, le secrétaire d’Etat lui traça une règle de conduite : interdiction de recourir à la cour royale instituée à Berlin pour connaître des affaires ecclésiastiques et de subir les examens que l’État prétendait imposer aux aspirants au sacerdoce ; invitation à s’entendre et à suivre les mêmes directives. Béunis du 29 avril au 2 mai 1873 à Fulda, les évêques prussiens se décidèrent pour la résistance passive et prirent divers expédients en vue de la persécution probable. Privation de traitement et amendes ne brisèrent pas leur courage ; au contraire elles leur valurent le respect et l’admiration de leurs diocésains. Pie IX crut de son devoir de s’adresser directement au roi Guillaume I effet de se plaindre d’agissements qui « tendaient de plus en plus à la destruction du catholicisme ». II émit le doute que le monarque les eût approuvés et justifia ses remontrances par le principe que tout baptisé « appartient en quelque sorte et en quelque manière au pape ». La réponse fut cassante : Guillaume affirma qu’il avait donné son approbation aux lois de mai, en même temps que leur sanction, qu’il ne dépendait pas du pape mais directement du Christ, que les évêques et les prêtres se conduisaient en factieux, que les prescriptions incriminées seraient dûment appliquées. Bismarck passa même à l’offensive en reconnaissant comme évêque Beinkens, désigné au gouvernement par les représentants des vieuxcatholiques ; à quoi, Pie IX répliqua par la promulgation d’une sentence d’excommunication contre le pseudo-prélat et ses adeptes. Bismarck s’imagina pouvoir ameuter l’Europe contre le pape et régenter le futur conclave, en poussant les cabinets étrangers, qu’il croyait tenir sous sa férule, à retarder l’ouverture en cas de vacance du Saint-Siège jusqu’à ce qu’un concile eût mis l’Église « en harmonie avec la société moderne ». Il s’employa à infliger à Pie IX des froissements variés et occasionna la tournée en Autriche et en Allemagne de Victor-Emmanuel ainsi qu’une visite de son maître à François-Joseph. A Vienne, des propos étranges s’entendaient. Bismarck traita le Saint-Père de « révolutionnaire », d’ « anarchiste », de dangereux pour la sécurité des pays et des trônes. Puisque, d’autre part, les évêques résistaient, des pénalités plus graves sont décrétées contre eux : c’est la prison, c’est l’exil. Rome remédie à la situation, en déléguant des pouvoirs extraordinaires à ceux qui tour à tour tiendront le rôle des absents, en attendant le jour prochain où la police se saisirait d’eux (30 mai 1874).

Bismarck, exacerbé, frappa un coup plus fort : il lit voter la suppression des crédits jusque-là affectés à un représentant officiel près du Vatican. Mais Pie IX ne se laissa point intimider : le 5 février 1875, une bulle déclarait nulles les lois de mai de 1873, « parce qu’elles contrecarraient absolument la constitution divine de l’Église » et menaçait de l’excommunication quiconque accepterait de l’État des charges ecclésiastiques dépourvues de titulaires ; le 15 mars, il revêtait de la pourpre Ledochowski, archevêque de Posen, détenu depuis de longs mois en prison.

Le 7 février 1878, Pie IX mourait. La résistance qu’il avait opposée à la politique tyrannique de Bismarck avait appris à celui-ci à mesurer l’étendue de la puissance spirituelle et l’inutilité d’une lutte avec elle. L’heure apparut venue au chancelier de l’empire de négocier un accord avec Rome. Si Léon XIII mit