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PIE IX. LA QUESTION ROMAINE

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4° Cavour et la constitution du royaume d’Italie Le gouvernement sarde n’avait pas adopté à la légère la politique ecclésiastique dont on vient de tracer les grandes lignes. Il poursuivait l’exécution d’un plan soigneusement concerté et défini. Rempli d’ambition et guidé, à partir de 1852, par un homme de génie. Cavour — lequel était dépourvu de tous scrupules et disciple de Machiavel — il visait un but lointain : l’accaparement des États pontificaux. L’ambassadeur italien en Angleterre, Cadorna, indiquait ainsi au ministre des Affaires étrangères anglais i la conduite tenue jusqu’à ce jour [septembre 1870] parle Parlement et par le gouvernement sur la question de la liberté religieuse. Je dis à Sa Seigneurie que l’application de cette liberté et la séparation graduellement accomplie en Italie des compétences civiles et politiques d’avec [les] compétences religieuses avait été l’un des moyens moraux les plus puissants mis en œuvre par le gouvernement pour le dénouement de la question romaine. > » Bastgen, Die rômische Frage, t.n, p. 813. Dans maints discours et maints écrits ou entretiens Cavour exprima la même pensée, résumée dans cet aphorisme : l’Église libre dans l’État libre. Les concordats constituaient, à l’entendre, autant d’entraves à la liberté de l’Église. Il n’en fallait plus dans les sociétés modernes. Le spirituel et le temporel devaient avoir chacun leur domaine indépendant et bien distinct. Ceci établi, la maison de Savoie entrerait à Rome et le pape, débarrassé de tous soucis matériels, userait de sa pleine autonomie « pour le bien, pour la force, pour le développement, le rayonnement, l’épanouissement de la religion catholique en Italie et dans le monde I » Ch. Benoist, La formule de Cavour : V Église libre dans l’État libre, dans Revue des Deux Mondes, t. xxviii, 1905, p. 371.

La première partie du programme étant réalisée en 1855, restait à atteindre le but final. Par quels expédients et à la faveur de quelles circonstances y parvinrent Victor-Emmanuel II et Cavour, c’est ce qu’il convient d’exposer.

Après la répression des mouvements révolution T naires qui avaient bouleversé l’Italie en 1818, quand, sous l’égide de l’étranger, toutes les libertés politiques eurent été supprimées en Toscane, dans les duchés de Parme et de Modène, dans les États de l’Église et le royaume des Deux-Siciles, il ne subsista plus qu’une seule contrée où le régime constitutionnel fonctionnât régulièrement, le Piémont, et qu’un seul souverain qui demeurât fidèle à la cause nationale, Victor-Emmanuel II. Tout naturellement, ce fut vers eux que se tournèrent les partisans de l’indépendance italienne. De fait, la sage et habile réorganisation du commerce, de l’industrie, de la législation, de la magistrature et de l’armée, sous l’impulsion de Cavour, avait transformé le Piémont en un état fort, bien administré, bien armé, suffisamment riche ; de là, chez lui, l’espoir caressé de chasser l’Autriche de la Lombardo-Vénétie et des Légations, de succéder aux princes qui régnaient de façon mal assurée dans le reste de l’Italie et de constituer un royaume unique. Si fort qu’il fût, le Piémont n’était pourtant pas capable de mettre à exécution son rêve ambitieux. L’Autriche, trop puissante encore, disposait d’une armée assez solide pour le réduire à néant. Il se trouva qu’un ancien carbonaro, rêveur lui aussi, mais romanesque, aventureux, infatué de lui-même, imprévoyant, facile à illusionner et à duper, conçut l’idée chimérique de former, en Italie, une confédération indépendante de l’Autriche, liée par la reconnaissance et la politique à la France, dirigée par le Piémont qui laisserait le pape en possession de son trône. Napoléon III était pour Cavour un auxiliaire inespéré, qu’il ne s’agissait plus que de savoir manier et plier à ses desseins politiques.

A l’occasion du congrès réuni à Paris en vue de régler la question d’Orient, le ministre sarde tenta la fortune. Usant de puissantes influences, il intéressa l’empereur au sort de l’Italie et mit sous ses yeux deux notes dont l’une exposait que les réformepromises par le motu proprio de Portici, en 1849, n’avaient pas encore été réalisées dans les États de l’Église ; l’autre contenait un plan de réformes à introduire dans les Légations. M. Minghetti, Miei Ricordi, t. iii, p. 104-105. On convint que la question serait posée par surprise.

Le 8 avril 1856, Walewski, ministre des Affaires étrangères de France et président du congrès, prit la parole et pria les diplomates d’échanger leurs vues sur divers problèmes de l’heure présente. Après avoir examiné la situation intérieure de la Grèce, il émit le vœu que le gouvernement pontifical rendît possible le retrait des troupes françaises et autrichiennes. Lord Clarendon se leva à son tour. Il critiqua en termes acerbes et violents le gouvernement romain, le pire qui fût jamais, et prôna la constitution des Légations en un état distinct, assez fort et assez bien administré pour faire cesser l’occupation autrichienne. Cavour, dont Clarendon avait développé les opinions, n’eut pas grand’chose à ajouter, sinon ceci que « la présence des troupes autrichiennes dans les Légations et dans le duché, de Parme détruisait l’équilibre en Italie et constituait pour la Sardaigne un véritable danger ». P. Matter, Cavour et l’unité italienne, t. ii, p. 378-387 ; P. de La Gorce, Histoire du second Empire, t. ii, p. 317-327.

Le congrès de Paris marque une date importante dans l’histoire de l’unité italienne. S’il se contenta d’enregistrer les doléances de Cavour, il lui fournit, du moins, l’occasion de poser en termes précis le problème qui préoccupait son pays. Dès lors, l’habile homme poursuivit plus vigoureusement l’exécution de ses desseins. Chez ceux dont il convoitait le bien, il créa, suivant l’heureuse expression du du ? de Gramont « le désordre pour avoir le droit de rétablir l’ordre ». Dès le mois de septembre 1856, il lia parti, secrètement toutefois, avec un exilé, le Sicilien Joseph La Farina et le laissa fonder, à Turin, la Société nationale italienne qui se répandit avec rapidité dans la Romagne et les -Marches et travailla à préparer l’avènement de Victor-Emmanuel II comme roi d’Italie, en jetant le discrédit sur les autres gouvernements.

Soit de son propre chef, soit sur la demande du ministre français des Affaires étrangères, soit à l’instigation du cardinal Antonelli, l’ambassadeur de France rédigea une note destinée à détruire l’effet désastreux qu’avaient produites les déclarations de lord Clarendon au congrès de Paris. Il établit que les reproches adressés au gouvernement pontifical étaient immérités, même injustes et conclut au statu quo. Cf. la note de Rayneval dans M. Minghetti, Miei Ricordi, t. iii, p. 490-576.

Le mémoire de Rayneval, daté du 14 mai 1856, avait un caractère privé. Par suite d’une indiscrétion, il parut le 19 mars 1857, dans le Daily News et suscita une réfutation anonyme intitulée Question romaine : observations sur la note de M. de Rayneval par un sujet du pape. Minghetti, toc. cit., p. 487-579. Le cardinal Antonelli imagina un expédient propre à convaincre l’Europe que la paix régnait dans les États de l’Église : Pie IX visita ses sujets, de mai à septembre 1857. Sans doute, il recueillit les hommages des populations. Tout se passa parfaitement. Mais les résultats qu’on attendait du voyage furent plutôt néfastes. Les classes cultivées et le menu peuple perdirent tout espoir d’obtenir des concessions et se fondirent en un seul parti national, décidé à conquérir, par les moyens légaux, les libertés qu’on lui refusait. Voirie récit officiel