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PIE IV. LE CONCILE DE TRENTE


Hongrie et de l’Allemagne, où jadis il avait représenté le Saint-Siège en qualité de commissaire apostolique, il la connaissait fort bien ; et, désireux de remédier aux maux de l’empire, il inclinait aux concessions jugées nécessaires par beaucoup à la paix de l’Église. En termes d’amitié avec le duc de Florence, il ne pouvait qu’avoir des relations cordiales avec la France où Catherine de Médicis devint bientôt régente. Pour le roi d’Espagne, à qui son prédécesseur a fait la guerre, il est plein de prévenances ; et Philippe II octroiera à ses neveux nombre de faveurs, comme les revenus du riche archevêché de Tolède à Charles Borromée. Le jeune roi François II exprime la satisfaction de tous les princes catholiques lorsqu’il écril, le 16 janvier 1560 : " Le pape est de nature personnaige gracieux et traitable, et qui se pourra accommoder à toutes choses bonnes et vertueuses. » Les princes protestants, Pie IV cherchera aussi à les gagner par sa bonne grâce ; pour les persuader de prendre part au concile, il leur envoie le plus expérimenté de ses diplomates, le Vénitien Giovanni Commendone, qui parcourt l’Allemagne, quinze mois durant, visitant les diverses cours et se faisant respecter même des plus mal intentionnés. Il tenta même de l’envoyer aux rois de Danemark, de Suède et à Elisabeth d’Angleterre.

C’est bien à Pie IV qu’est due la convocation du concile. Estimant dangereuse l’idée qu’avait eue Paul IV de le réunir sans l’agrément des souverains catholiques, il veut s’entendre d’abord avec les principaux d’entre eux. C’est là une grave difficulté. Car si, jadis, catholiques et réformés avaient regardé le concile comme le remède efficace à l’agitation et aux troubles qui, depuis Luther, désolaient la chrétienté, les deux assemblées de Trente, sous Paul III (15451549) et Jules III (1551-1552) ont montré que, bien loin d’être un moyen irénique, il tendait à séparer davantage les protestants de leurs adversaires, en délimitant nettement chaque doctrine, en faisant ressortir, en arêtes vives, ce qui s’était fondu jusque-là dans le vague et l’obscurité. D’où l’attitude de la France et de l’empire, lors de la troisième convocation à Trente. Leurs deux gouvernements redoutent plus qu’ils ne désirent une assemblée qui confirmera ce qui a été décrété contre les réformés, qui rendra plus profond le fossé et plus haut le mur qui les sépare des catholiques. Ils ne peuvent donc pour être logiques avec eux-mêmes — toute théologie et droit canon à part — accepter un concile qu’autant qu’il sera nouveau, qu’il permettra, en revisant ce qui a été défini, la venue des protestants et la recherche d’un accord. Tout autre est la politique de Philippe II. Pas de conciliation avec les protestants ! Les décrets de Trente sont parfaits. Pour les doctrines qu’ils proclament, plus d’un hérétique a déjà été brûlé aux autodafés d’Espagne. Il convient de les maintenir, de n’en pas changer un iota. Philippe II n’acceptera donc la convocation de l’assemblée par Pie IV qu’à la condition expresse qu’elle soit la continuation des deux précédentes. En présence de vues politiques si opposées et de réclamations contradictoires, seul un caractère souple et de diplomate plutôt que de théologien pouvait concilier les contraires. La bulle Ad Ecclesiæ regitnen, du 29 novembre 1560, est un chef-d’œuvre de combinazione, où des termes vagues tentent de satisfaire les partisans des deux opinions adverses, sans rien leur promettre de précis.

C’est bien à Pie IV aussi qu’est due la direction du concile. Sans formation scientifique, ni connaissance théologique spéciale — parler théologie ne lui plaisait guère (cf. Relations de GirolamoSoranzo et de Giacomo Soranzo, Albèri, op. cit., t. x, p. 74, 130) — Une prétendit point approfondir ou discuter les questions débattues à Trente ; mais, sage et prudent, il confiait leur étude aux gens les plus experts et les mieux doués. Remar quable est son choix des légats au concile. Le Polonais J losius, évêque d’Ermland, et l’ancien général des augustins, Seripando, évêque de Salerne, qu’il vient l’un et l’autre de créer cardinaux (26 février 1561) dirigeront les débats théologiques : le premier est célèbre dans toute l’Allemagne par ses savants écrits contre les réformés, cf. Eichorn, Der ermldndische Bischof und Kardinal Stanislaus Hosius, Mayence, 1854-1855, 2 vol. ; S. Steinherz, Nuntiaturberichte a us Deutschland, t. ii, 1 re part., p. xxx sq. ; Sickel, Romische Berichtc, t. v, p. 06, dans les Sitzungsberichle der h. Akademie in Wien, t. cxi.iv, 1901 ; J. Lorlz. Kardinal Stanislaus Hosius. Braunsberg, 1931 ; le second hellénisant et latiniste réputé, théologien profond et sans conteste le plus savant des cardinaux, est d’opinions plus modérées que son collègue : partisan, avec Gropper et Contarini, de la théorie de la « double justice (l’homme, capable de quelque bonne œuvre, est tellement imparfait toutefois qu’il lui faut ajouter, à sa justice propre, la justice du Christ, pour être sauvé, cf. Hanns Rùckert, Die theologische Entwicklung Gasparo Contarinis, Bonn, 1926, p. 80-107 ; du même, Die Rechtfertigungslchre auf dem Tridentinischen Konzil, Bonn, 1925, p. 220 sq.), il avait joué déjà à Trente un rôle important dans les discussions sur la grâce, au temps de Paul III. Cf. St. Ehses, Der Anleil des Augustinergenerals Seripando an dem Trienter Dekret ùber die Rechtfertigung, dans Romische Quarlalschrift fur christliche Alterlumskunde, Rome, 1909, p. 5 sq. ; Hanns Rùckert, Die Rechtfertigungslehre déjà cité, p. 169-172, 177-179, 220-239, 250 sq., 253-255. Lors de la dernière réunion du concile, son opinion dogmatique aura un très grand poids, et tous les projets de décrets ainsi que leur rédaction première lui seront soumis. Pour tout ce qui concerne le droit ou la discipline de l’Église, et afin de tenir tête aux partisans austères de la réforme catholique qui auraient vite mis à mal les finances pontificales, Pie IV choisit Lodovico Simonetta, cardinal lui aussi de la promotion du 26 février 1561, chargé depuis 1560 de la Daterie, une des sources principales de la Trésorerie apostolique, canoniste de premier ordre comme son oncle Giacomo Simonetta († 1539) qui, jadis, avait tranché l’affaire du divorce de Henri VIII. Enfin, pour présider et conduire une assemblée difficile, parfois agitée et prête à l’obstruction, il eut recours au cardinal Ercole Gonzaga, oncle du jeune duc de Mantoue, fils de la célèbre Isabelle d’Esté, humaniste distingué, bien vu des princes italiens, de l’empereur Ferdinand, de Philippe II, de la cour de France, quatre fois candidat à la tiare (1549 ; avril 1555 ; mai 1555 ; 1559). Quand la mort aura privé le concile de ce « chef et guide très sûr » (3 mars 1563), le cardinal Giovanni Morone le remplacera, Morone le compatriote et l’ami de Pie IV, un des diplomates les plus experts d’une époque qui en connut tant, un de ceux à qui la papauté du xvie siècle doit le plus de reconnaissance pour les services nombreux qu’il lui rendit. Et le moindre de ces services ne fut point de continuer, en des circonstances particulièrement difficiles, et de clôturer sans heurt un concile qui, par les divergences de vues, les susceptibilités nationales, les dissensions de toutes sortes, menaçait de s’éterniser en vaines querelles ou d’être dissous au grand scandale de la chrétienté.

Avant que s’ouvrît l’assemblée, le 19novembrel561, Pie IV avait écrit aux légats : « Nous entendons faire un bon concile, en gentilhomme, en bon pape et en bon chrétien, en ayant toujours devant les yeux le service de Dieu, de notre foi et de la religion catholique, le bien de tous les chrétiens et aussi l’honneur de ce Saint-Siège et le nôtre ; et notre but est de finir ce concile, de le confirmer et exécuter… ce que pouvant faire, nous mourrons volontiers et certainement avec,