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PECHE. PECHES DE LA MAISON


l’authentique doctrine de saint Thomas (voir les (nivaux cités plus haut et celui de H. Bernard, col. 185) : par-dessus ses commentateurs et les inévitables déformations du temps, le maître est îetrouvé dans son texte original et dans son milieu historique. Si la doctrine du péché de la sensualité devait être à jamais méconnue, il faudrait déplorer avec cette perte un appauvrissement dans l’analyse de l’acte humain, au total, un recul de l’humanisme.

Les pèches de la raison.

On a dit déjà que la

raison est un sujet du péché. L'étude en doit être aussitôt distinguée selon les deux fonctions communément reconnues à la raison, celle de connaître et celle de diriger.

1. Comme directrice des actes humains, la raison est sujet de péché. — Elle exerce sa direction par l’acte du commandement, à quoi peut se réduire, pour ce qui concerne le présent objet, l’omission délibérée du commandement. Cet acte, s’il a un objet mauvais, ne peut manquer d'être affecté d’une malice morale propre, puisqu’il vérifie les conditions que nous avons dites plus haut ; on observera seulement qu’il est de la nature même de cet acte d'être volontaire : il est l’acte de la raison, mais de la raison mue par la volonté. Sum. theol., I » -II®, q. xvii, a. 1. Comme la raison exerce son commandement à l’endroit de plusieurs puissances, ibid., a. 5-7, en celles-ci assurément se répand son péché : mais en le signalant comme péché de la raison, on dénonce la culpabilité du principe directeur d’où l’action a tiré sa malice. Ainsi apparaît notamment la différence entre le péché de l’appétit sensible commis sur l’intervention de la raison et le péché de la sensualité que nous avons décrit. Ces dénominations distinctes expriment heureusement le caractère propre de chacun de ces deux péchés. Sum. theol., I a -Ipe, q. lxxiv, a. 5.

La direction de la raison concerne les passions intérieures comme les actes extérieurs. Quant aux passions intérieures, son péché a lieu selon les deux manières que nous avons plus haut alléguées, soit que la raison commande une passion déréglée, comme lorsqu’on provoque en soi, après délibération, un mouvement immodéré de colère ou de concupiscence ; soit qu’elle ne réprime pas, en ayant reconnu le dérèglement, un mouvement immodéré de passion surgi de lui-même. Avec ce dernier péché, l’analyse rencontre ce que la théologie a nommé la deleclatio morosa, devenue, en notre langue, par une traduction fâcheuse et amusante à la fois, « la délectation morose ».

Ce péché est celui que saint Augustin appelait le péché de la femme, c’est-à-dire de la raison en son office pratique. Saint Thomas l’attribue pour son compte à la raison qu’il nomme inférieure. Et il s’en explique d’une manière qui n’est pas sans introduire ici quelque complication. La « délectation morose » dans le développement d’un acte n’est de soi qu’une phase intermédiaire, le terme étant l’exécution" de l’acte. Aussi peut-on n’en délibérer que sur des considérations subordonnées, celles qui sont prises de la loi humaine et de l’ordre temporel des choses : or, ce sont ces considérations dont saint Thomas fait l’objet de la raison inférieure. Il adviendra du reste que l’on consente à la délectation après délibération sur la loi de Dieu ou, en général, sur les raisons éternelles ; auquel cas, ce péché se trouve appartenir de fait à la raison supérieure. On peut même dire que, dans tous les cas, il appartient à la raison supérieure, au moins négativement, car la raison inférieure reçoit sa règle de la supérieure. Un commentateur aussi perspicace et respectueux que Cajétan estime que ces explications, assez laborieuses, n’ont d’autre fin que de fournir une justification systématique aux propositions de saint Augustin. In I am -II x q. lxxiv,

a. 6 et 7. On observera, en outre, dans toute cette discussion, l’attribution à la raison de l’acte du consentement, qui appartient proprement à la volonté : d’où de nouvelles explications. Sum. theol., I » -II », q. lxxiv, a. 7, ad lum.

Le péché de la délectation morose est un péché mortel, car il peut y avoir péché mortel dans la raison inférieure. Cette appréciation, où saint Thomas sanctionne Pierre Lombard, introduit une précision dans les évaluations de saint Augustin : voir Consentement, t. iii, col. 1185-86 (i'6/'rf., a. 6, 8). Il y aurait lieu de rapporter ici la démonstration qui, chez saint Thomas, fonde cette conclusion, comme d’indiquer les questions qu’elle soulève ; on trouvera le tout à l 'art. Délectation morose. Quant à la question précise de l’attention et du consentement nécessaires au péché mortel, nous la traiterons ci-dessous dans l'étude du péché mortel. On retiendra que, dans son jugement sur la gravit de la délectation morose, la théologie s’est conformée au sentiment évangélique et chrétien qui dénonce avec sévérité même les péchés intérieurs.

Quant aux actes extérieurs, saint Thomas attributce péché à la raison supérieure, sans exception. Parce qu’un tel acte représente la consommation et l’achèvement du péché, il y a lieu d’en délibérer en considérant les règles les plus élevées de l’action humaine : car, en tout jugement, on ne prononce en dernier ressort qu’en se référant aux suprêmes principes. Des commentateurs, comme les carmes de Salamanque, devaient longuement expliquer et justifier cet argument où saint Thomas trouve une raison de l’attribution augustinienne. In 7 am -// æ, q. lxxiv, a. 7. Quant à la gravité de ce péché, de même que la préoccupation de saint Thomas avait été de montrer la possibilité pour la raison inférieure d'être le sujet d’un péché mortel, son soin ici est de signaler qu’il puisse y avoir un péché véniel dans la raison supérieure. Il faut voir si l’objet emporte ou non une contrariété avec la loi éternelle. Nous saisissons ici sur le vif ce déplacement sur l’objet du critère de gravité, dont nous parlions plus haut, et la coexistence, dans la même théologie, des catégories traditionnelles avec les initiatives d’une spéculation plus expérimentée. Sum. theol., Ï & -Il x, q. lxxiv, a. 7, 9. D’une façon générale, on peut dire peut-être, que saint Augustin a fortement signalé aux théologiens, quant au péché de la raison, et la gravité de la seule complaisance intérieure et l’importance décisive du consentement.

2. Par rapport à son objet propre, et dans l’acte même de connaître, la raison peut être sujet de péché. — Nous quittons ici les analyses de saint Augustin, qui ne signalent de péché dans la raison que celui qu’elle commet dans la direction de l’acte humain.

a) Cependant, et dès l’abord, nous retrouvons, en cette matière même, un effet de l’influence augustinienne. Car ce fut une préoccupation de la théologie scolastique de savoir si la raison supérieure, et par rapport même à son objet propre, ne pouvait être sujet de péché véniel. En quoi elle poursuivait sur les données traditionnelles son œuvre de discernement. La même question est posée chez saint Thomas, et elle est l’occasion de dégager un péché intellectuel, que nous devons d’abord relever. Ibid.. a. 10.

On ne peut attribuer, en effet, un péché véniel à la raison supérieure agissant sur son objet propre, où Dieu lui-même est engagé, qu’en invoquant une imperfection de son acte. Or, tandis qu’elle n’accomplit sa fonction pratique qu’en des actes parfaits (puisqu’il s’agit alors de décider un acte après délibération portant sur les raisons éternelles), en sa fonction spéculative, il se peut que la raison supérieure émette des actes imparfaits.

Voici comment on les représente. Il s’agit, pour