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PÈCHE. PÉCHÉS DE LA SENSUALITE


non ayunt, dirait-on à la manière de saint Thomas. Par là, ils manquent à la première condition d’un principe libre, qui est d'être actif. Ils manquent à la seconde, en ce que leurs actes sont transitifs et non immanents. Mais, parce qu’ils sont mobiles à la volonté, leur acte est libre et volontaire, quoique non intrinsèquement. Et. s’il est desordonné, on l’appellera justement un péché, mais de dénomination extrinsèque, et dans un sens très di lièrent de celui que nous disions tout à l’heure de l’appétit sensible, etc. Salin., ibid. ; cf. Cajétan, [a-Il 88, q. i.xxiv, a. 1.

Les actes des sens extérieurs et des puissances comme la nutritive, la végétative, etc., échappent plus manifestement encore au volontaire. Il ne reste plus ici à la volonté que d’appliquer la matière : ouvrir les yeux, prendre un aliment. Cela fait, le sens, ou la puissance, agit selon sa nature et d’une manière déterminée. A la différence de l’acte des membres extérieurs, celui-ci n’est plus libre en lui-même, mais seulement dans sa cause, — à chaque fois du moins qu’il a dépendu de la volonté que le sens ou la puissance entrât ou non en exercice. A cause de ce rapport avec la volonté, on appellera cet acte, s’il est désordonné, un péché, mais on n’entend point désigner par là une malice intrinsèque et formelle dans cet acte lui-même. Salm., ibid. Ni ces puissances déterminées, ni les sens extérieurs, ni les membres extérieurs ne sont donc proprement sujets de péchés. Ils ne sont pas atteints par cette souillure. Ils ne retiennent pas assez d’humain.

On voit que cette étude des sujets des péchés n’est que l’analyse de l’extension du volontaire dans l’homme. Elle applique au péché une doctrine du règne de la moralité en nous. Il relèverait donc d’une étude sur la moralité proprement dite de considérer les dissentiments de certains théologiens par rapport aux thèses que nous venons de rapporter.

II. LES PÉCHÉS DANS LEURS SUJETS.

Ces points

établis et cette extension reconnue à la malice du péché, on peut considérer distinctement les péchés de l’appétit sensible et de l’intelligence, les seules puissances qui, outre la "volonté, sont formellement et définitivement sujets' de péchés. Saint Thomas le fait en traitant de ce qu’il nomme les péchés de la sensualité et les péchés de la raison.

Ces seuls vocables annoncent l’origine des matériaux ici assumés. Nous aurions introduit à cet endroit un aperçu de la psychologie de saint Augustin et du symbolisme emprunté à l’histoire du premier péché, par quoi ce docteur décrit le développement des péchés actuels, ainsi que l'évaluation qu’il propose quant k la gravité des péchés ainsi présentés. Cette doctrine connue permet de mieux comprendre la théologie que nous devons ici rapporter et de discerner les modifications que la spéculation scolastique et saint Thomas ont imposées à leurs données originales. Mais ces informations ont été fournies déjà sous le mot Consentement, col. 1184-1185.

Le péché de la sensualité.

On a suffisamment

établi ci-dessus que l’appétit sensible peut être sujet de péché. Le mot de sensualité sera désormais employé en cette matière de préférence au vocable aristotélicien d’appétit sensible, lequel signifie les deux puissances de l’irascible et du concupiscible. tandis que le mot augustinien (sensualitas n’est pas adopté par saint Augustin, mais il dérive immédiatement d’une expression qu’il accuse De Trinitate. XII, xii, P. L., t. xlii, col. 1007) évoque cet appétit par l’endroit où il est proprement sensible et docile aux suggestions des sens. Sum. theol.. I a, q. lxxxi, a. 1 et 3 ; cf. III », q. xviii, a. 2, corp. et ad 2um ; Salmanticenses, disp. XVI, dub. iv. Il est assuré que le péché s’introduit dans la sensibilité à chaque fois que

celle-ci émet à l’endroit de son objet propre un acte déréglé, en vertu d’une intervention volontaire, sotl que la volonté ait commandé cet acte, soit qu’ensuite

d’une délibération raisonnable elle ne l’ait pas empêché. Mais ce péché, qui a indubitablement pour sujet, en théorie thomiste, l’appétit sensible, est tenu néanmoins pour péché de la raison, car il est dû à une défaillance actuelle des puissances supérieures : nous le retrouverons ci-dessous. On réserve le nom de péché de la sensualité à l’acte déréglé de l’appétit sensible émis sans l’intervention d’aucune délibération raisonnable.

Il n’est pas contestable que saint Thomas a reconnu l’existence d’un tel péché ; il s’en explique trop clairement à maintes reprises : Sum. theol., l'-II*, q. i.xxiv. a. 3 et 4, et les textes allégués dans les travaux qui suivent : K. Schmid, Die menschliche Willensfreiheit in ihrem Verhaltnis ; u den Leidenschajlen nach der Lehre des hl. Thomas, Engelberg, 1925, spécialement p. 212-221 : Th. Pègues, Comm. franc, lilt. de la Som. théol., t. vin. 1913, p. 498-509 ; Lumbreras, De sensualitatis peccato. dans Divus Thomas, Plaisance. 1929, p. 225-240 ; Th. Deman, Le péché de sensualité. dans Mélanges MandonnelJ. i, Paris, 1930, p. 265-283.

Par rapport à saint Augustin, cette notion est nouvelle, encore que saint Thomas — avec beaucoup d’autres — ait cru pouvoir invoquer pour elle ce patronage. Mais Pierre Lombard l’avait déjà avancée, II Sent., dist. XXIV, et elle avait obtenu depuis lors chez les théologiens de nombreux et importants suffrages, quoique non l’adhésion unanime. Voir : A. Landgraf, op. cit. : Recherches de théologie ancienne cl médiévale, 1930, p. 399 et n. 11 ; Th. Deman, art. cit. ; O. Lottin, La doctrine morale des mouvements premier* de l’appétit sens it if aux xiie et xiiie siècles, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, Paris, 1931, p. 49-173.

On ne serait surpris de cette doctrine que si l’on n’apercevait pas en quel sens vigoureux maints théologiens scolastiques, et saint Thomas notamment, ont conçu les rapports de l’appétit sensible avec la raison chez l’homme. Natus est obedire rationi, < il est de sa nature d’obéir à la raison ». Que des mouvements désordonnés lui échappent, ils accusent une insoumission de l’appétit sensible à sa règle naturelle, ce qui ne va pas sans péché. Il est vrai que de tels mouvements sont pratiquement inévitables, mais il suffît à leur nature morale que sur chacun d’eux en particulier la raison puisse exercer son empire, prévenant ce débordement où se répand, selon sa nature propre, notre sensualité corrompue. La thèse, on le voit, ne peut concerner ces mouvements de l’appétit sensible sur lesquels la raison ne détient pas autorité, c’està-dire notamment sur tous ceux qui sont en relation nécessaire avec les mouvements incontrôlables de la nature corporelle. D’autre part, quand ces péchés ont lieu, ils ne peuvent être que véniels, étant consommés en dehors de toute intervention actuelle, soit positive, soit négative de la raison ; la raison seule a pouvoir de détourner de la fin dernière, en quoi consiste le péché mortel, voir infra. La gravité n’en change pas chez l’infidèle, de qui la concupiscence habituelle conserve raison de péché, n’ayant pas été purifiée par le baptême ; saint Thomas l'établit expressément contre certains théologiens (Henri de Gand, Quodlibct. VI. q. xxxii, est le plus célèbre d’entre eux), selon qui les premiers mouvements de sensualité, véniels chez les fidèles, étaient mortels chez les infidèles. Dans la théologie de saint Thomas, la doctrine du péché de la sensualité n’est que l’effet d’une analyse de l’acte humain, poursuivi et reconnu en quelque façon jusque dans les mouvements propres de l’appétit sensible. On prendra garde que toutes les passions, et non les seuls mouvements charnels, comme le ferait penser ce