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PÉCHÉ. GRAVITÉ INÉGALE DES FAUTES


mises à part, ne peut prétendre à une valeur constante. lu JV am Sent., dist. XVI. q. iii, a. 2, q. n ; cf. Sum. theol., Ia-IIæ, q. vii, a. 1. On dira dans l'étude du péché véniel, voir infra, que seule la circonstance spécifiante peut aggraver le péché à l’infini, c’est-à-dire de véniel qu’il était le rendre mortel.

L’une des circonstances les plus remarquables, quant à la gravité du péché, est la personne du pécheur, il faut tenir, en effet, qu’un péché délibéré est d’autant plus grave qu’il procède d’une personne plus considérable. Saint Thomas en a découvert quatre raisons. De telles personnes peuvent résister davantage au péché, grâce à leur science ou à leur vertu. Elles témoignent en péchant d’une plus grande ingratitude, ayant reçu de Dieu des biens plus grands : on voit que cette raison est applicable même à ceux qui n’abondent qu’en biens temporels (saint Thomas enseigne ailleurs que tout péché contient une ingratitude matérielle envers Dieu :.Sum. theol., II a -Il æ, q. cvii, a. 2, ad lum). Leur péché peut répugner plus spécialement à la grandeur où elles sont établies, comme un prince qui violerait la justice ou un prêtre la chasteté. Elles donnent un exemple plus illustre et donc plus fâcheux. Chaque cas particulier retiendra plus ou moins des raisons ici invoquées ; mais l’on voit qu’en aucun cas la condition de la personne n’est indifférente à la gravité du péché. Nous avons dit expressément : le péché délibéré. Car, pour les autres, qu’on peut appeler de surprise et qui échappent inévitablement à l’infirmité humaine, il faut tenir qu’ils sont moins imputables à mesure qu’ils procèdent de personnes plus vertueuses : on est assuré en effet qu’ils sont alors moins attribuables à la négligence et davantage à la nature. Sum. theol., I a -Il æ, q. lxxiii, a. 10.

d) La gravité des péchés est en tous les cas variable selon le volontaire. — La gravité jusqu’ici définie est celle qui vient au péché de ce qui le constitue dans son espèce ou le complète en ses accidents. Mais, comme le péché est tel dans la mesure très précise où il est un acte volontaire, on conçoit aisément que cette gravité objective (où nous employons l’adjectif dans son sens le plus général) varie à son tour selon la quantité du volontaire introduit dans l’acte. Plus on a voulu cet acte, plus grave est le péché. En revanche, tout ce qui concourt à affaiblir le volontaire, contribue également à diminuer le péché.

Le soin des moralistes fut de tout temps de déterminer quelles causes affaiblissent le volontaire. On peut dire en général que tout ce qui meut la volonté en dehors de l’ordre et de la nature de cette puissance, qui est appelée à se mouvoir soi-même librement selon le jugement de la raison, porte atteinte à l’intégrité du volontaire. Et donc, plus précisément, l’ignorance, qui diminue le jugement de la raison. Puis la passion, qui diminue le libre mouvement de la volonté : sous quoi se rangent la violence, la crainte et tout ce qu’on invoque d’ordinaire comme amoindrissant le volontaire. On trouvera ci-dessous, dans l'étude des causes du péché, une évaluation plus précise de ces influences sur la gravité du péché. L'étude des sujets du péché aura du reste déjà introduit en cette matière quelques déterminations, qui tiennent au même principe du volontaire. Il importait seulement ici d'énoncer ce principe dont on voit aussitôt l’universalité. Sum. theol., Ia-Ilæ, q. lxxiii, a. 6.

La considération de la difficulté dans l’objet de l’acte intéresse ce principe pour autant que la difficulté demande une volonté plus grande, dans le mal comme dans le bien. Et c’est pourquoi un péché plus difficile est plus grave, comme est meilleur un acte vertueux plus difficile, ceteris paribus. Où nous retrouvons cette opposition de la vertu et du péché dont nous avions plus haut tiré déjà un premier parti.

Ibid., a. 4, ad 2um. La gravité plus grande des péchés spirituels, que nous avions déduite de leur objet, se confirme avec le présent principe : puisque le volontaire n’y est point diminué par la concupiscence, comme il advient dans les péchés charnels. Ibid., a..").

e) Suffisance des mesures de gravité définies cidessus. — Aux règles que nous venons d'énoncer se réduisent les différentes mesures que l’on peut proposer de la gravité des péchés.

L’une d’elles est le dommage causé par le péché. Voici comment en juge saint Thomas, où l’on verra mis en œuvre les principes établis. Ou bien le dommage qui provient du péché est prévu et voulu d’intention, comme lorsqu’on fait quelque chose nuisant de soi au prochain, un homicide par exemple ou un vol ; en ce cas, la quantité du dommage augmente directement la gravité du péché, puisque le dommage alors n’est pas autre chose que l’objet propre du péché. Ou bien le dommage est prévu quoique non voulu d’intention, comme lorsqu’un homme traverse un champ qu’il sait ensemencé afin de forniquer plus vite ; en ce cas, la quantité du dommage aggrave le péché, d’une manière qu’on peut appeler indirecte, en ce sens qu’il procède d’une volonté fortement inclinée au mal de causer un dommage que l’on eût préféré éviter. Ou bien le dommage n’est ni prévu, ni voulu d’intention. Alors il peut suivre le péché, soit accidentellement : en ce cas, il n’aggrave pas le péché ; mais, pour avoir négligé de prendre en considération les dommages qui pouvaient s’ensuivre, le pécheur sera puni pour ces dommages étrangers à son intention. Soit nécessairement : en ce cas, quoique ni prévu, ni voulu, le dommage aggrave directement le péché ; car tout ce qui est consécutif nécessairement au péché appartient de quelque façon à l’espèce du péché. On peut ranger sous cette catégorie tous les péchés entraînant de leur nature un scandale, encore que le pécheur ne l’ait ni prévu ni voulu. Quant au dommage de la peine due au péché qui affligera le pécheur lui-même, il aggrave indirectement le péché s’il a été prévu, car il trahit alors une volonté plus résolue de pécher. Quant à l’aggravation que peut introduire dans un péché le dommage spirituel causé au complice, on tiendra compte premièrement, pour en juger, de l’intention du pécheur, voir Scandale. On retiendra que ce n’est pas le dommage causé qui fait la gravité du péché, mais le désordre de l’acte ; et le dommage n’aggrave qu’en tant qu’il fait l’acte plus désordonné. On s’explique ainsi que les péchés contraires au prochain, où se rencontrent les plus grands dommages, demeurent moins graves que les péchés directement contraires à Dieu, qui n’entraînent guère de dommage. Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxiii, a. 8.

f) Conclusion. — En présence d’un péché déterminé, on ne jugera parfaitement de sa gravité qu’en recourant aux trois principes ci-dessus invoqués. Et l’on ne comparera plusieurs péchés réels entre eux qu’en tenant compte aussi de toutes ces mesures. La comparaison est, dans ces conditions, chose complexe. L’objet fournira bien, nous l’avons dit, la gravité principale. Mais ne se peut-il pas que les circonstances et le volontaire fassent d’un péché spécifiquement moins grave un péché plus grave au total ? Les théologiens n’ont pas manqué de se le demander. II faut dire qu’un péché spécifiquement moins grave conservera toujours cette infériorité foncière d’où les circonstances les plus aggravantes comme le volontaire le plus énergique ne le peuvent retirer. Un vol, par exemple, si aggrave qu’on l’imagine, n’atteindra jamais à la gravité de l’homicide. Néanmoins, il demeure malaisé à la science morale d'évaluer exactement l’aggravation due aux circonstances et notamment au volontaire : il advient que, selon une prudente estimation.,