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PÉCHÉ. GKAVJTÉ 1NÉGALK DES FAUTES

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ne peut à la fois être formellement bon et formellement mauvais. Op. cit., tr. De bon. et mal. hum. acl., disp. VI, dub.. Nous croyons que ces analyses ne font que répondre à l’extrême complexité de cette matière et que l’on comprend malaisément saint Thomas au prix d’un moindre discernement. Les mêmes théologiens ont proposé de l’objection de Vasqucz une seconde réfutation, qui tient en ceci : que, du fait qu’un acte est raisonnable, il peut lui être dû une rectitude toujours plus grande ; et donc la privation dont il est affecté n’est point la plus grande dont il soit susceptible, op. cit., tr. De vitiis et peccatis, disp. IX, n. 13-18 : il ne suffit point, pour qu’une privation soit absolue, qu’il ne reste rien dans le sujet de la forme contraire.

A l’occasion d’une opinion divergente, les carmes de Salamanque ont pris la peine d'étendre expressément la thèse de l’inégale gravité des péchés aux péchés contraires au seul droit positif. Il est seulement exact que certains de ces péchés ne croissent pas en gravité selon la quantité de l’acte prohibé ; que l’on ait plus ou moins mangé avant de célébrer la messe, le péché est égal. Cette singularité tient à, l’intention du législateur, qui a pu légiférer sur la substance de l’acte, non sur sa quantité. Ibid., disp. IX, dub. n. Quant aux péchés d’omission, où la privation ne se mesure point selon ce qui reste de droite raison dans l’acte qu’elle affecte, puisqu’ils peuvent être dépourvus de tout acte, la gravité en est inégale selon les préceptes affirmatifs dont ils sont l’omission. Voir Qusest. disp. de malo, q. ii, a. 9.

2. D’où se prend l’inégalité.

Les péchés sont donc inégaux entre eux. On l’a établi contre une école adverse et par un argument valide. Du même coup, nous nous sommes imposé une tâche que les stoïciens évitaient, et qui est d'évaluer la gravité des divers péchés.

Leur inégalité consiste en ce que ces actes humains sont privés plus ou moins de la rectitude raisonnable. Nous pouvons désigner par le mot de gravité une telle privation ; de même qu’une maladie est dite grave à proportion que l’organisme est privé de sa santé naturelle, de même un péché est grave à proportion que l’acte humain est privé de la rectitude raisonnable. La gravité désignera donc ce que saint Thomas appelle l’aversion du péché, consécutive à sa conversion. Nous avons bien établi ci-dessus que le péché consiste formellement dans la conversion, c’est-à-dire dans cette tendance de la volonté vers un bien déréglé, qui est un mal moral positif ; mais nous avons dit aussi qu’une telle conversion entraîne dans l’acte humain la privation de ce qui lui revient, privation où le mal moral se trouve rejoindre la raison de mal, absolument parlant, où le péché reçoit le complément qui achève de le faire mauvais : aversio, dit saint Thomas, in qua perficitur ratio mali. Sum. theol., l"-IV£, q. lxxiii, a. 3, ad 2um. Évaluer la privation sera donc révéler le mal-dont souffre le péché. Mais l’analyse que nous avons d’abord accomplie nous avertit que le mal ainsi déclaré et consommé est d’abord et principalement chose positive ; il en va comme de la maladie, où la privation de la santé dénonce quelque foyer d’infection qui est la maladie même. A qui serait surpris en outre que l’on désignât la privation d’un mot évoquant poids et lourdeur, on répondrait justement (saint Thomas, par une omission inattendue, emploie sans avertir le mot de « gravité » ) en signalant de la privation cette origine positive et déjà mauvaise que nous venons de rappeler.

a) Premièrement et principalement, la gravité d’un péché se tire de l’objet de ce péché. — On établit cette conclusion comme suit :

La gravité du péché signale ce désordre ou cette disproportion de l’acte humain privé de sa rectitude,

laquelle se prend de la raison : comme la gravité d’une maladie consiste dans ce trouble d’un organisme dérangé de son ordre naturel. Or, il est manifeste qu’une maladie est d’autant plus grave qu’elle atteint un principe plus fondamental du bon ordre de l « rganisme, soit le cœur ou les poumons, etc. ; de même un péché est d’autant plus grave que son désordre concerne un principe plus fondamental de l’ordre raison nable. La raison à son tour lire son ordre des objet-, auxquels adapter l’action, lesquels, à ce titre, ne sont pas seulement la matière, mais aussi les fins de l’action, d’où celle-ci, par conséquent, reçoit sa forme. Or, il y a entre ces objets, sur lesquels se forme l’action humaine, diversité et hiérarchie. A s’en tenir aux catégories les plus saillantes, on signalera Dieu, l’homme, les biens extérieurs. L’objet le plus élevé est celui qui constitue le principe radical de l’ordre raisonnable, c’est-à-dire la (in dernière : Dieu. On appréciera les autres selon la proximité où ils sont de Dieu. Pratiquement, l’ordre de la charité, que la théologie enseigne, donne la mesure exacte et concrète de la dignité des différents objets qui sont les fins de nos actions. On remarquera cette définition de l’ordre raisonnable et comme il mérite d'être appelé objectif.

Qu’un acte humain se dérègle, il est maintenant manifeste que son désordre est d’autant plus grave qu’il concerne un objet plus élevé. Le péché d’homicide, par exemple, qui trouble le bon ordre d’un acte par rapport à l’homme, est plus grave que le vol, qui le trouble par rapport aux biens extérieurs, moins grave que l’infidélité, qui le trouble par rapport à Dieu. On graduera les péchés selon la même règle à l’intérieur de chacune de ces catégories.

Ce que nous venons de dire de l’objet des actes s’entend aussi des fins ultérieures à quoi ces objets peuvent être ordonnés, des circonstances qui en spécifient la condition, puisqu’elles concourent avec ces objets à donner aux actes leur forme (voir ci-dessus, col. 150. la distinction spécifique des péchés).

Il apparaît que tous les péchés, selon cette doctrine, en dépit de leurs différences spécifiques, sont comparables entre eux sur le point de la gravité, car tous les objets de l’action humaine, comme toutes les fins ou circonstances qui les peuvent modifier, se distribuent selon une seule hiérarchie et pour ainsi dire un seul genre, à quoi préside l’unique fin dernière.

Que la gravité ainsi déterminée soit la première el la principale dont souffre un péché, comme nous disions dans l'énoncé de cette conclusion, cela ressort qu’elle est prise du principe même qui spécifie le péché, savoir : l’objet, l’nc telle gravité n’est que l’infirmité d’un acte considéré en cela même qui le fait ce qu’il est, d’un acte volontaire saisi en ce point même où va droit l’intention de son auteur. Elle l’atteint au cœur. Dans l’intérêt de l’exégèse, on remarquera que saint Thomas la nomme principale et non essentielle, marquant expressément qu’elle est consécutive à l’espèce, quasi consequens speciem. Sum. theol.. Ia-IIæ, q.Lxxiii, a. 3.

b) Applications. — De ce principe établi, il suit que l’on mesure justement la gravité principale du péché selon ces divisions que nous avons dit plus haut avoir valeur spécifique. Soit les péchés charnels et les péchés spirituels. Nous dirons que les péchés spirituels sont de soi, ceteris paribus, plus graves que les charnels, car ceux-là désignent un désordre relatif à un objet plus élevé, ceux-ci un désordre relatif au corps, qui est objet d’un moindre amour de charité. Encore doiton convenir que les péchés charnels sont plus honteux, mais c’est une distinction élémentaire en morale, quoique assez souvent inaperçue, que celle de la honte et de la gravité. L’une désigne le désordre de l’action, l’autre son caractère avilissant, dû à la prépondérance