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PÉCHÉ. DISTINCTION NUMÉRIQUE


spirituelle et charnelle, a l’idée d’entendre les deux catégories de péchés selon la délectation à quoi les péchés sont ordonnés, laquelle intéresse essentiellement la conversion du péché : car elle signale la possession du bien que le pécheur convoite ; ainsi peut-il attribuer une valeur spécifique, selon les lois de la plus rigoureuse philosophie, à l’antique et commune division des péchés en charnels et spirituels. Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 2.

Il fait de même en faveur de la distinction des péchés selon que l’on pèche contre Dieu, contre soi-même ou contre le prochain. Pierre Lombard lui avait transmis cette distinction usuelle, II Sent., dist. XLII, dont Isidore de Séville, au gré de saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 4, est un témoin lointain. On en justifie la valeur spécifique en signalant que les trois termes du partage représentent des objets divers de l’action humaine. L’action mauvaise comme l’action bonne tend vers Dieu, vers soi ou vers le prochain. Et, comme il est des actions qui concernent proprement Dieu, en tant que cet objet dépasse ce que l’on doit et à soi-même et au prochain, comme il en est d’autres qui concernent celui qui les fait, à l’exclusion de quelque devoir relatif au prochain, nous obtenons là, ces trois termes étant entendus comme débordant successivement l’un sur l’autre, un triple objet de l’action humaine ; donc, le cas échéant, trois espèces de péchés. Cette distinction a l’avantage de circonscrire, si l’on peut dire, l’univers hiérarchisé de l’action humaine ; aussi, la distinction des vertus en théologales et morales, et de ces dernières en personnelles et sociales, rencontre-t-elle la même hiérarchie.

D’autres distinctions ne signifient point des espèces véritables de péchés. Telle celle-là, qui se prend des causes, comme lorsque l’on dit : pécher par crainte, pécher par cupidité, pécher par amour. Car, à chacune de ces causes, peuvent correspondre des objets divers, la crainte, par exemple, poussant à voler, à tuer ou à abandonner son poste. Sum. theol.. l’MI 86, q. lxxii, a. 3. Inversement, un péché conserve son espèce quelle que soit la cause d’où il procède. Les causes du péché n’entraîneraient une spécification propre que si elles suggéraient une fin spéciale à laquelle on soumît l’action ; dans la crainte de perdre son amant sacrilège, une femme consent à un laïque : de simple fornication ou d’adultère qu’eût été cet acte, il passe à l’espèce sacrilège, vu la fin enveloppée dans le sentiment qui l’inspire. Cajétan. IMl 33, q. lxxii, a. 3.

Selon saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 5, la distinction des péchés en mortels et véniels n’a point davantage valeur spécifique. Elle se prend en effet du realus et du désordre, lesquels intéressent l’aversion du péché. Aussi trouve-t-on du véniel et du mortel dans la même espèce de péché. Et si l’on dit exactement que des péchés sont mortels ou véniels ex génère suo, c’est que certains péchés, de leur nature, entraînent normalement des suites d’où leur vient cette qualité. On donnera ci-dessous, VIII, Péché mortel et péché véniel, les compléments et précisions nécessaires sur cette matière. Les théologiens modernes dénomment volontiers cette distinction du péché secundum species theologicas, expression insolite en théologie classique et dont l’apparente commodité ne rachète pas le double artifice.

De saint Jérôme vient à la théologie une autre division des péchés : de pensée, de parole, d’action. In Ezech., t. XIII, c. xliii, 23, P. L., t. xxv. col. 427 ; cf. P. Lombard, 77 Sent., dist. XLII. On sait combien elle est usuelle dans la religion chrétienne. Tertullien, saint Cyprien, Origène en témoignent déjà, entre beaucoup d’autres (voir : Cavallcra, art. cit., 1930, p. 53). Il était naturel d’entendre cette division selon les actes en quoi consiste le péché ou, équiva lemment, les puissances où il se consomme. Ainsi dira-ton que l’infidélité est un péché du cœur, le mensonge un péché de bouche, l’homicide un péché d’action. Saint Albert le Grand, par exemple, et saint Honaventure proposent ce sens-là. // Sent., h. I. Saint Thomas s’avise d’interpréter cette division classique en faveur d’une analyse des péchés où seraient marquées les étapes décisives de leur développement. Sum. theol., I » -II*, q. lxxii, a. 7. Dans le cas, en effet, d’un motif ou d’une fin qui soit de nature à susciter une action de fait, l’homme conçoit d’abord ce dessein, puis il l’exprime en paroles, enfin il l’exécute. Il se peut que le mouvement en ait lieu continûment, comme on bâtit un temple, sans arrêt. La division proposée signale alors les trois degrés du développement du péché. Mais il advient aussi que l’on commence ce péché sans l’achever, comme la construction d’un temple s’arrête quelquefois aux fondations posées ou à la cannelure des colonnes. L’idée d’espèce imparfaite, qu’a énoncée Aristote (Eth. Nicom., t. X, c. m ; S. Thomas, leç. 5) et que saint Thomas rappelle en son article, s’appliquerait assez bien à un tel péché ; Cajétan, toutefois, soucieux de rigueur, distingue ce cas d’avec celui d’une espèce imparfaite proprement dite. l a -II ffi, q. lxxvii, a. 1.

Les péchés capitaux et les péchés contre le Saint-Esprit sont d’autres divisions du péché. Nous en verrons le sens exact au cours de l'étude spéciale que nous en devons faire, et qui se situe de préférence au chapitre des causes du péché. Voir n. VI.

Que nous ayons refusé la valeur spécifique à certaines divisions admises du péché, il n’en faut point déduire qu’elles soient sans intérêt. Nous retrouverons, pour notre compte, ces catégories. Notre critique a seulement fait œuvre de discernement formel.

Distinction numérique.

 La théologie n’a traité

de la distinction numérique des péchés que tardivement, par suite des prescriptions du concile de Trente sur la confession des péchés, laquelle doit déclarer omnia et singula peccala morlalia. Sess. xiv, c. vu. Cette matière, on le devine, est d’autant plus complexe qu’elle confine davantage à la particularité de l’action ; aussi, les règles précises qui la déterminent ne se sont-elles élaborées que peu à peu, sous l’effort divers et persévérant des théologiens. On peut tenir pour communes les appréciations suivantes.

Le nombre des actes physiques mauvais ne détermine pas le nombre des péchés. On le dit malgré cette loi que les accidents sont individués par leur sujet : la moralité, qui est d’une certaine façon un accident de l’acte humain physique, est à ce titre soumise à la loi commune ; et il est vrai que, métaphysiquement, il y a autant de péchés que d’actes physiques mauvais. Mais il n’y a point lieu de faire le compte des péchés métaphysiques ; on les dénombre en fonction de l’objet, d’où vient à l’acte sa moralité. Où il n’y a qu’un objet adéquat de moralité, fût-il atteint moyennant plusieurs actes physiques, il n’y a aussi qu’un péché : comme de tuer un homme en trois coups. Où il y a plusieurs objets adéquats de moralité, fussent-ils atteints par un seul acte physique, il y a plusieurs péchés : comme de tuer trois hommes en un seul coup.

Quelques cas spéciaux ont été débattus relativement à cette règle : le prêtre en état de péché mcrtel, qui distribue la sainte eucharistie à plusieurs communiants, qui absout l’un après l’autre plusieurs pénitents, commet-il dans les deux cas autant de sacrilèges qu’il a donné de communions, qu’il a absout de pécheurs ? On convient communément que la distribution de la sainte eucharistie ne constitue qu’un seul acte moral, comme il n’y a qu’un seul repas : le nombre des convives ne multiplie pas l’unité du repas ni donc, en l’espèce, le sacrilège du prêtre distribuant