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PECHE. GRANDEUR DU PECHE


phique du péché, c’est-à-dire élaborée sur la seule considération de l’homme et sans recours à Dieu. Cette notion est légitime, et nous venons de la présenter. Mais elle n'épuise pas la réalité entière du péché, qu’il appartient au théologien de comprendre. Entendons bien qu’il ne substitue pas une notion à une autre, mais qu’il porte à son achèvement celle que le philosophe a préparée. De la règle de raison, à laquelle il apparaît d’abord que le péché est contraire, le théologien passe à la considération de la Loi éternelle, mesure souveraine et absolument première de l’action humaine. La doctrine est constante chez saint Thomas, et il l’emprunte à la pensée chrétienne, que la raison, règle immédiate de l’action, n’est aussi qu’une règle dérivée, dont le principe est la Loi éternelle. Dès lors, contrarier la raison, c’est du même coup contrarier la Loi éternelle ; être privé de la forme de raison, c’est être privé de la forme où se serait marquée l’empreinte de la Loi éternelle. L T n ordre divin des choses est atteint par le péché. On aurait cru peutêtre que l’homme seul fût compromis en cette aventure ; mais voici qu’en même temps que lui la Loi éternelle est dérangée. Bien plus, on peut dire que le péché s’oppose à la Loi éternelle davantage qu'à la raison, puisque celle-ci ne tient sa qualité de règle que de la Loi éternelle, dont elle participe. Absolument et en dernier ressort, le péché est un échec de la Loi éternelle, dont la raison gère les intérêts auprès de nous. Où l’on saisit, dans la théologie catholique du péché, ce sentiment de l’humain engagé dans l'éternel, contact de deux mondes d’où vient au péché toute sa misère, comme à l’action bonne toute sa grandeur. Rapportons un mot de saint Thomas où, par la grâce du langage scolastique, la conjonction de l'éternel et de l’humain est incomparablement marquée : Ejusdem rationis est quod vilium et pecralum ait contra ordinem rationis humanx et quod sit contra legem œlernam. l a -Il æ, q. i.xxi. a. 2, ad 4um. Et donc, quiconque veut davantage détester le péché, qu’il en demande aux théologiens, non aux philosophes, l’entier et horrible secret.

On pourrait s’informer ici s’il n’advient jamais que soit atteinte la Loi éternelle, sans que la raison y SOÎ1 intéressée : son ordre ne s'étend-il pas en effet au de la de l’ordre île raison ? La manière dont saint Thomas conçoit le rapport de la nature à la grâce interdit d’avouer ce divorce, et il faut (lire qu’il n’est aucun péché qui n’endommage la nature et la raison quand il semblerait ne léser que la grâce et l’ordre de la Loi éternelle.

La considération de la Loi éternelle prend toute sa force quand, dans la loi, on découvre le législateur. De l’idée d’un ordre compromis, on passe alors à celle d’une personne offensée. Le théologien donne naturellement cette forme à sa pensée, et il lui plaîl de tenir le péché pour une offense de Dieu. Saint Thomas Identifie sans façon le péché comme offensanl Dieu

et comme S 'opposant à la Loi éternelle. l"-II æ, q. i.xxi. a. il. ad.V 1 " 1. Jusque dans cette idée tragique « 'I formidable du péché comme offense de Dieu, où

va droit le sens populaire, mais que nous n’atteignons qu’au terme de nos analyses, se retrouve le désordre

introduit dans la sage disposition « le la Loi éternelle. Le péché offense I)ieu, et clone nous avons la liberté d’y

voir l’injure faite a une personne, partant de coaliser contre lui tous les sentiments que cette pensée éveille ; mais il n’offense pas Dieu, si l’on peut dire, arbitrairement, il l’atteint dans sa loi. < -'est -à-dire dans la sagesse de sa pensée. Loin d’ailleurs de devenir quelque peu Impersonnelle, il semble que l’offense

s’en aggrave, car elle louche dans la personne ses riec isions les plus réfléchies. Selon celle nal lire foin iere de

l’offense divine, on appréciera diverses manières de

la présenter, et qui se rapportent soit à différentes décisions de la sagesse divine, soit à différents attributs du souverain législateur. Ainsi dit-on que le péché offense Dieu comme notre bien suprême et notre fin dernière, comme notre bienfaiteur, comme le témoin de nos actes, comme notre souverain maître, comme notre juge. Bien entendu, des circonstances générales de tout péché sont désignées par là et non pas autan L d’espèces de péché. L’offense elle-même, nous entendons bien qu’elle se vérifie en toute adhésion déréglée à des biens périssables (nous dirons ci-dessous, n. VII, si on la trouve dans le péché véniel), et non pas seulement dans l’acte qui se dresse formellement contre Dieu, comme la haine ou le mépris.

Il apparaît déjà que l’offense se constitue avec le péché lui-même. Il est de la raison de péché, disent les théologiens, d'être une olfense de Dieu. Plus exactement, l’offense est comme une condition s’attachanl à la malice du péché. Le péché offense Dieu en ce qu’il est mauvais. L’offense ne désigne pas une autre réalité que la malice. La malice même est offensante. Et donc la malice de privation comme la malice de contrariété. Mais, puisque nous avons reconnu celle-ci comme étant la plus grande, il faut dire qu’elle a davantage que la malice privative raison d’offense deDieu. Les Salmanticenses, néanmoins, accordent à la privation une priorité sur ce point de l’offense divine. Disp. VII, n. 23.

On a recherché ce qui répond en Dieu à l’offense du péché, quelle olfense passive entraîne en lui l’offense active, qui est de la nature même du péché. Il faut dire que, par le péché, Dieu est intrinsèquement offensé, injurié, endommagé. Tandis que l’amour que j’ai pour Dieu ne pose rien en lui, et que la dénomination Dieu aimé est extrinsèque, le péché que je commets tend à priver Dieu de ses prérogatives divines. L’offense tend à s’introduire dans la personne olfensée à la manière d’une action transitive. Qu’elle laisse intacte la dignité de Dieu, cela tient non à sa propre nature, mais à l’immutabilité de celui qu’elle olfense. Il ne dépend pas du pécheur que Dieu ne soit en effet lésé dans sa personne. L’est pourquoi le péché a quelque chose d’infini. Nous rencontrons ainsi, en liaison avec la notion d’offense passive, l’idée d’infinité du péché. On ne peut rien dire sur Le péché <lc plus redoutable. Mais on voit aussi que cette Infinité n’est pas dans le péché lui-même : puisqu’aussi bien la privation qui s’y attache que la contrariété qui le constitue sont choses en elles-mêmes nécessairement finies. (Sur le péché, comme offense de Dieu, voir Salmanticenses. disp. VIL Nous ne nous retenons pas de signaler ici sur ce même point un texte liés heureux de saint Thomas, qui risquerait peut-être d'échapper à l’attention : Sum. theoi, ["-II", q. xi . a. 1. ad l" m.)

d" Définition du péché. — Au terme de ces analyses, nous sommes en mesure d’apprécier la définition du péché qu’avait avancée saint Augustin et qu’a retenue la théologie : Peccatum rsi dictum vel factum ncl conçupitum contra legem seternam. Contra Faustum, 1. XX II.

c. xxvii. /'. L., L xi.ii. COl. 418. Pour Augustin, lin térêt de la formule était de signaler un ordre naturel inviolable, à la différence des coutumes et des préceptes variables, par rapport auquel proprement se dit le péché. Il soustrayait ainsi aux attaques rie l’auste le Manichéen les actions des palriarches rie

l’Ancien Testament ; contraires seulement à des cou

hunes ou des préceptes contingents, elles ne sont pas

des péchés. Lf. E. Neveut. Formula augusliniennes : In définition du péché, dans Divus Thomas (Plaisance), 1930, p 817 622.

Les scolastiqucs. adoptant celle formuleBUgUStl nienne. n’ont pas manqué de l’accommoder a leurs