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PECHE. NATURE ET MALICE

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sli tué là-dessus une analyse qui triomphe, autant qu’il se peut, de la question.

Le péché se situe en deux genres : celui du mal absolu, celui du mal volontaire ou moral. Il est établi, dans le premier, formellement, par la privation dont il est affecté ; dans le second, en vertu de la contrariété de ses éléments constitutifs par rapport à la règle de raison, d’où suit la privation de rectitude. Comme acte volontaire, la "conversion « l’emporte dans le péché sur l’a version ; comme mal absolu, 1' « aversion » y est première.

.Mais à parler sans distinction, que faut-il dire ? On peut dire que les deux considérations alléguées sont l’une et l’autre absolues, car le péché est vraiment l’un et l’autre. Il est vrai qu’il est formellement conversion ; il est vrai qu’il est formellement aversion. Lequel cependant est le plus vrai ? Il faut dire que le péché est davantage dans le genre du mal moral que dans le genre du mal absolu. Pour deux raisons : il est plus volontaire qu’absolument mauvais. Car il est volontaire en tout ce qu’il est, quoique diversement : davantage quant à la conversion, directement voulue ; secondairement quant à l’aversion, voulue seulement dans la conversion. Le péché reçoit son espèce du côté de sa conversion ; de l’autre, il ne tient que la privation d’une espèce ; or, la différence vraiment spécifique convient davantage au péché que la privation d’une telle différence : être un acte d’intempérance davantage que n'être pas un acte de tempérance.

Tout ceci ne décide pas encore la question de la constitution du péché. Nous le considérons comme mal moral et comme mal absolu ; davantage comme mal moral que comme mal absolu. Mais comment, comprenant ces deux genres de maux, se constitue le péché? Si l’un et l’autre intéressent la constitution du péché, celui-ci n’a pas d’unité per se. Car d’une privation conjuguée avec un élément positif il ne peut résulter qu’une unité accidentelle : ces deux termes ne peuvent être mis en rapport de genre et de différence, de puissance et d’acte, qui seraient ici la seule manière d’opérer une unité essentielle. Or, il faut bien que le péché soit unum per se. Car on le définit absolument comme on le distingue spécifiquement : tout le monde en convient. Ainsi parlent les commentateurs. En cette dernière considération, se trahit peut-être ce qui est en cette alïaire leur propre contribution. Il est vrai qu’ils invoquent saint Thomas en faveur de la thèse que nous voulons à notre tour adopter ; il est vrai que saint Thomas bien entendu s’y prête, et que ses textes litigieux sont heureusement élucidés (nous en aurons ci-dessous un exemple) par des distinctions comme mulum absolute et malum moraliter, comme formaliter complétive et formaliter constitutive, et d’autres, que ses commentateurs y appliquent (Jean de Saint-Thomas, loc. cit., disp. IX, a. 2, n. 59-70 ; Salm., toc. cit., disp. VI, dub. iii). Mais en vérité historique, il faut dire, croyons-nous, que saint Thomas a accepté le péché en sa dualité et qu’il l’a traité comme se répartissant sur deux raisons, l’acte humain et sa privation (où il voit la raison de mal). Le soin de réduire à l’unité le péché, de le traiter comme un per se unum, appartient à un stade postérieur de la spéculation théologique. On y accuse fortement la présence dans le péché d’une malice positive ; on discerne exactement ce qui est essentiel au péché et ce qui le complète, Ainsi compliquc-t-on l’analyse à laquelle s'était tenu saint Thomas ; mais aussi cède-t-on au mouvement naturel de l’intelligence, curieuse de précision croissante. Nous observerons nettement, en des questions comme celles de la spécification ou de la cause des péchés, les différences qu’entraîne, par rapport à l’argumentation de saint Thomas, cette élaboration doctrinale plus avancée. Il faut, du reste, avouer que le partage des théologiens sur cette question et l'éclat de

leurs querelles attestent à quel point de subtilité extrême ils sont alors parvenus.

La question étant donc posée dans les termes que nous avons dit, il ressort qu’un seul des deux éléments considérés a valeur constitutive. Ou la malice positive, ou la malice privative, mais non pas un composé de l’une et de l’autre. Il faut opter pour la malice posi tive. Cajétan Je fait sur cette considération que le péché est formellement le contraire de l’acte vertueux : ce qu’il prouve en invoquant que la distinction spécifique des péchés, en ses derniers éléments, se fonde sur la contrariété, non sur la privation. Les Salmanticenscs préfèrent ne point faire fond sur cet argument et ils recourent à deux raisons. La première se tire de la primauté de la malice positive sur la malice privative. L’essence ne suppose rien et le reste la suppose : la tendance de l’acte à l’objet discordant est aussi ce qui institue d’emblée le péché, d’où suivra, comme un effet, la privation de la rectitude en cet acte. La seconde invoque l’ordre nécessaire de nos pensées : avant de concevoir dans le péché une privation, nous le concevons comme adéquatement constitué dans l’espèce du péché et du mal moral ; nous ne pouvons lui attribuer une privation que l’ayant conçu comme acte moral contraire à la raison et se portant à un objet démesuré : ce qui est le concevoir comme péché et cependant ne lui attribuer qu’une malice positive.

Ces raisans, que l’on pourrait exploiter et multiplier, en définitive font valoir la nature du mal moral telle que nous l'établissions tout à l’heure. Il est essentiellement contrariété. Tout y tient à cette tendance positive de la volonté vers ses objets, que ne règle pas la raison. Et puisque le péché est, de l’aveu unanime, un acte humain moralement mauvais, les théologiens ont été conduits à le définir en termes de malice positive, où se vérifie adéquatement son essence. Pour la inalice privative, dès lors, on doit la considérer comme consécutive au péché constitué. Elle lui survient, quoique nécessairement, en vertu de la contrariété où il se constitue : et elle le complète, l’introduisant en ce genre du mal absolu auquel, par son essence, il n’appartient pas. Ainsi sont distribuées, en élément constitutif et en élément nécessairement consécutif et complémentaire, ces deux malices qu’avait d’abord découvertes l’analyse du péché. Cette distribution conduit naturellement à penser que la malice positive est pire que la privative : on l’admet, la comparaison ayant lieu, bien entendu, à l’intérieur du genre moral. Le mal est moralement plus grand de s’opposer positivement à la règle raisonnable que de s’y opposer par mode de privation ; d'être directement l’objet d’une volonté déréglée que de l'être indirectement. Sur ce problème de la constitution du péché, voir Cajétan, In i 31 "-//®, q. i.xxi, a. 6 ; q. lxxii, a. 1 ; Jean de Saint-Thomas. loc. cit., disp. IX, a. 2 ; Salm., loc. cit., disp. VI. dub. vi. Des partisans de la malice positive ont organisé un peu autrement les deux malices du péché : nous avons suivi les meilleurs interprètes de saint Thomas.

L’article où saint Thomas opère expressément le discernement des éléments du péché, l a -II a q. i.xxi, a. 6, ne s’oppose pas à cette thèse. Il fait de l’acte humain en sa substance l'élément quasi matériel, de la contrariété à la règle, l'élément quasi formel du péché. Mais on peut demander tout d’abord si l’acte humain ne signifie pas ici la seule substance physique du péché, l’action volontaire considérée antérieurement à sa moralité, abstraction faite de la règle de raison : 1c mal de la contrai iété à la règle comprendrait, dès lors, même la inalice positive du péché. Et celle distribution serait conforme à la thèse. Le texte de l’article se prêterait de lui-même à cette interprétation. Mais l’article suivant, q. i.xxii, a. 1. semble imposer qu’on entende ici l'élément matériel comme conipre-