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PÉCHÉ. NATURE ET MALICE

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Vais il est vrai que la vertu ne résisterait poinl à la répétition fréquente de ces actes contraires, à moins qu’elle n’en détruise l’effet par le renouvellement de’ses propres actes. Dans l’ordre des vertus infuses, un seul péché inorlcl(voir col. 211) les détruit toutes selon celle raison de vertu, car il attaque la charité, d’où Us autres dépendent. [a-Il », q. LXXI, a. 4. On voit que le péché ne procède pas nécessairement d’un vice : on peut n’avoir point la disposition mauvaise, on peut avoir la disposition bonne, et néanmoins pécher. L’étude des causes du péché nous découvrira d’où procède le péché dans les cas où il n’est pas l’acte d’un vice (voir col. 194 sq.).

Le péché, qui est un acte mauvais, est pire que le vice. Car une disposition, comme est le vice, tient le milieu entre la puissance et l’acte. Or, l’acte, en bien comme en mal, l’emporte sur la puissance : il est meilleur de bien agir que de pouvoir bien agir, il est pire de mal agir que de pouvoir mal agir. Et la raison en est (cf. Aristote, Metaph., t. IX, c. ix, 1051a, 4-33 ; saint Thomas, leç. 10) que la puissance est apte aux contraires tandis que l’acte est exclusif de son contraire. Dès 1ers, la disposition, meilleure ou pire que la puissance, est moins bonne ou moins mauvaise que l’acte : elle est plus déterminée que la puissance, mais elle ne possède point la détermination exclusive de l’acte. Le péché est donc pire que le vice. On démontre la même conclusion en considérant que Vhabitus est dit bon ou mauvais à cause de l’acte bon ou mauvais auquel il s’ordonne : c’est l’acte qui vérifie au premier chef la raison de bien ou de mal. Le bien, en effet, dit fin ou perfection ; mais la fin ou perfection d’une nature est son opération. Or, propter quod unumquodque et illud magis, l’acte est meilleur ou pire que Vhabitus puisque celui-ci n’est bon ou mauvais qu’en vertu de son ordre à l’acte. Chacun des deux arguments que nous venons d’invoquer est formel et fonde une conclusion absolue. Que le vice, avec cela, soit plus permanent que l’acte ; qu’il soit le principe d’une multitude d’actes ; qu’il soit au péché comme la cause efficiente est à son effet, ce sont des conditions extrinsèques à la nature de l’acte et de l’habitus ou qui ne concernent pas la raison même de bien. Elles ne portent point préjudice à notre conclusion. On y fait droit en reconnaissant que le vice est pire que l’acte à un titre relatif. la-II*, q. lxxi, a. 3.

A cet acte, la malice convient formellement.

Selon ce qui précède, on connaîtra la nature du péché à mesure que sera découvert l’acte humain mauvais. Or, ces qualités de bon et de mauvais conviennent à l’acte humain d’une manière singulière et excellente. Le bien, d’une part, a raison de fin ; le mal, de privation de la fin. D’autre part, l’objet propre de la volonté est la fin. Le bien et le mal, dès lors, qui s’opposent entre eux, constituent des différences spécifiques par rapport à l’action volontaire. Acte bon et acte mauvais, cela signifie, dans le genre volontaire, des actes spécifiquements distincts. Cette condition se vérifie des seuls actes volontaires, où la fin est poursuivie selon cette raison de fin, où le bien fait formellement objet. Des agents naturels, l’action est bonne ou mauvaise ; de l’agent volontaire, elle est formellement bonne ou formellement mauvaise. Cf. Cont. genl., t. III, c. ix ; Sum. Iheol., I a, q. xlviii, a. 1, ad 2um ; Ia-IIæ, q. i, a. 3. Le péché désigne donc un acte humain en ce qu’il a de spécifique ; il en dénonce l’essentielle constitution.

Sa malice se présente d’abord comme privative. —

Il nous reste à connaître ce mal, qui le spécifie. Notre labeur en vérité commence. Ici, comme ailleurs, doit valoir la définition du mal, qui est métaphysique : privatio boni debili. Le mal du péché apparaît d’abord comme la privation d’un bien, à savoir celui qui est dû à l’action h uni aine. Le bien de l’action humai ne. connue de I ont cela qui est bon, est qu’elle possède la plénitude de son être. Elle la reçoit et de son objet, comme unichose de sa forme spécifique ; et de ses circonstances, comme une chose de ses accidents : et de sa lin. d’où elle dépend d’abord. Ce sont ces éléments, tombés sous la volonté (laquelle s’y porte, on l’entend, selon la raison propre de son objet, qui est le bien, comme nous avons dit d’abord), d’où l’action humaine tient son être et sa perfection. En eux donc, il peut être porté atteinte à l’intégrité de l’action humaine, frappée des lors de privation.

Comment aura lieu cette atteinte ? Il est dû à l’acte humain d’être conforme à la raison ; c’est-à-dire qu’a la raison il appartient de mesurer l’objet, les circonstances, la fin qui définissent l’action. Discordants d’avec la mesure de raison, ces éléments laissent l’action privée de la bonté qui lui revient. En cette privation-là apparaît le mal de l’action. La considération de la mesure de raison est ici, on le voit, décisive. Elle introduit le principe selon quoi évaluer la bonté de l’acte, qu’il tire de ses éléments constituants. Mais l’invoquer ici n’est pas autre chose que de professer l’existence même de l’ordre moral. A l’acte humain est due une certaine forme obtenue selon une certaine mesure ; la raison est cette mesure ; la bonté morale est cette forme. De l’objet, des circonstances, de la fin, qui le définissent en son être, l’acte humain reçoit sa bonté morale à proportion qu’ils conviennent à la raison. L’acte humain est un péché, s’il est privé de cette forme-là. Il serait moins correct d’entendre cette privation comme celle de la rectitude qu’eût obtenue l’acte vertueux contraire : car. peut-être une si grande rectitude n’était-elle pas requise, et se pouvait-il que l’acte fût bon sans avoir la perfection d’un acte vertueux.

D’où il ressort qu’il n’y a pour un péché qu’une seule privation. Le même acte physique peut certes souffrir de plusieurs malices morales : quand l’objet, la fin et les circonstances (on dira plus loin comment pour celles-ci s’en présente le cas) accusent chacun une discordance spéciale d’avec la raison. Mais, dans l’hypothèse d’un seul péché, tenant, par exemple, à l’objet discordant, il n’y a aussi qu’une seule privation, celle de la bonté ou rectitude qu’eût obtenue l’action conformée à la raison. Il faut seulement prendre garde qu’une privation comme celle-là, unique comme est unique la forme à quoi elle s’oppose, peut être signifiée de bien des manières : comme privation de la fin, de l’ordre, de la proportion, toutes choses que comprend la rectitude d’un acte mesuré sur la raison ; qu’elle est une indigence intéressant la nature même de l’homme, de qui la raison sert l’inclination formelle ; qu’elle représente, si l’on peut dire, un échec de la Loi éternelle. Car la rectitude raisonnable dont l’action se trouve privée n’engageait point la raison seule : celle-ci n’est que la mesure dérivée de l’acte humain et qui se mesure à son tour sur la Loi éternelle, absolument première. Nous dirons ci-dessous quelle grandeur reçoit le péché de cette condition. De tout ce qu’on vient d’avancer sur la privation, il ressort assez que nous parlons de celle-là dont l’acte lui-même est affecté, et non point de celles dont peut souffrir le sujet par suite de son acte, comme la privation de la grâce et des vertus : celles-ci n’appartiennent point au péché même qui est. nous l’avons dit, le nom d’un acte.

Par l’endrcit de la privation se découvre d’abord le mal du péché. Elle n’est que la vérification, dans le cas de l’acte humain, de ce défaut du bien requis, où l’on exprime la raison de mal. On peut s’aviser ici que l’acte frappé de privation soutient une relation de dissonance par rapport à sa mesure, et qu’en cela