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    1. PHILON LE JUIF##


PHILON LE JUIF. INFLUENCE

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moud. Grill, est i nient, que Philon ne croit pas à la per sonnalité du Logos et qu’il faut voir une simple figure de langage ou une accommodation exégétique dans les textes où le Logos est personnifié. D’autres, comme le r.. P. Lagrange, Vers le Logos de saint Jean, dans Revue biblique, 1923, p. 321-371, n’hésitent pas à reconnaître chez Philon un Lot/os personnellement distinct du Dieu suprême. D’autres, enfin, comme Zeller, Sehiirer, Heinze, Aal, prétendent qu’il ne faut pas essayer de ramener à l’unité les diverses conceptions de Philon et que, si tantôt il parle du Verbe comme d’une personne, et si tantôt il le regarde comme un attribut divin, c’est qu’en réalité il n’a jamais pris parti d’une manière décisive pour l’un ou l’autre de ces points de vue.

Il est difficile, on le comprend, de départager les critiques. Comme le fait justement remarquer le R. P. Lagrange, art. cit., p. 358-359, « L’essentiel…, que Philon a poursuivi délibérément, c’est d’avoir un intermédiaire distinct de Dieu, une grande individualité qui lui servît quelque peu dans la créatkm, un peu plus dans la conservation, et grandement dans l’administration du monde, dans le mouvement de bonté de Dieu vers les hommes et de culte et de prière des hommes envers Dieu… La pensée de Philon devait donc conclure dans le sens de la personnalité du Logos. La position est contradictoire, selon une saine philosophie, mais il a toujours répété cette contradiction, sans se donner à lui-même un démenti, c’est-à-dire sans poser clairement l’identité de Dieu et du Logos, alors qu’il a posé clairement leur distinction. »

Il est vrai, peut-on répondre, Philon a posé clairement la distinction de Dieu et du Logos, mais il ne l’a fait que d’une manière verbale ; il a parlé du Logos comme d’un autre que Dieu, mais il n’a nulle part affirmé que le Logos existait, créait, agissait, intercédait, comme une personne. Ainsi que ledit J. Lebreton, « même lorsque le texte sacré ne donne pas à Philon l’appui d’une personnalité historique, son goût de la prosopopée le mène à tout personnifier, et il n’est aucune des dénominations concrètes du Logos qu’on ne trouve appliquées aux idées les plus abstraites… Au reste, on se créerait des difficultés inextricables, si l’on voulait prendre à la lettre les métaphores de Philon et réaliser les abstractions qu’il personnifie et qu’il oppose entre elles. La sagesse est, pour Philon, identique au Logos ; cependant, il nous dit, dans le traité De l’exil, 109, que le Logos a la sagesse pour mère, après avoir dit un peu plus haut que le Logos est la source de la sagesse ; inversement, nous apprenons, dans le traité Des songes, ii, 242, que le Logos sort de la sagesse, comme un fleuve sort de sa source. Les rapports réciproques de ces abstractions se compliquent encore d’un troisième terme, la science de Dieu, qui, dans le traité De l’ivresse, 30, 31, est présentée comme identique à }a sagesse et comme la mère du monde, et qui, dans le traité De l’exil, 76, devient la patrie du Logos. » J. Lebreton, op. cit., p. 244, 246.

Nous ne saurions insister davantage. Philon est un juif, qui rêve de faire admettre aux Grecs la valeur universelle du judaïsme et de montrer, dans la loi de Moïse, la plus parfaite de toutes les philosophies. Comme juif, il est fermement attaché aux dogmes essentiels que Dieu a révélés à son peuple et, de tous ces dogmes, aucun n’a autant d’importance que le monothéisme : « Écoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique. » Nous ne pouvons donc pas admettre que Philon ait dit ou pensé quoi que ce soit de nature à compromettre cet enseignement fondamental.

Toutefois, la philosophie profane a donné à Philon un moyen de résoudre, au moins en apparence, le problème des rapports de Dieu avec le monde. Le terme

d< Logos est, de son temps et dans son milieu, unanimement accepté : il est assez précis pour que tous y reconnaissent quelque chose de divin, subsistant ou non ; il est assez vague et assez indéterminé pour servir de réceptacle à toutes sortes rl’idées. Philon accueille ce terme d’autant plus volontiers que les Livres saints lui ont lait connaître toutes sortes de personnifications des attributs divins et qu’il existe, dés lors, une série de spéculations dont la parole divine, la memra’, est le centre.

Lien plus que de cohérence, Philon est soucieux d’universalisme. Il tient à donner a ses commentaires allégoriques de l’Écriture un ton, une forme, une allure, tels que tous puissent les accueillir et se proclamer disciples de Moïse. Ne lui demandons donc pas ce qu’il n’a pas voulu nous donner, un système achevé. Contentons-nous de relever, dans sa pensée, des orientations.

IV. Influence de Philon sur la théologie chrétienne. — Précisément, l’une de ces orientations ne conduit-elle pas au christianisme ? Philon n’est-il pas, dans une certaine mesure, le père de la théologie chrétienne ?


Les anciens historiens ecclésiastiques ont fait grand accueil à Philon. Kusèbe parle de lui, à plusieurs reprises, dans son Histoire ecclésiastique, et saint Jérôme ne craint pas de lui donner place dans son catalogue des écrivains ecclésiastiques, sous le prétexte qu’il a loué, dans un de ses ouvrages, la vie et les mœurs des premiers chrétiens d’Alexandrie. Devir. M., 11.

Écrits du Nouveau Testament.

Mais il y a plus :

on sait que l’Évangile de saint Jean commence par un prologue où le Logos joue le principal rôle ; l’Apôtre, après avoir affirmé l’existence éternelle du Logos et son caractère divin, enseigne que le Logos est devenu chair et que nous avons vu sa gloire, semblable à celle d’un Monogène. Où donc a-t-il découvert cette doctrine du Verbe, qui est étrangère non seulement aux évangiles synoptiques, mais encore à l’ensemble du Nouveau Testament, en dehors de quelques rares passages ?


Naguère, on n’apportait à cette question qu’une seule réponse. Le Logos de saint Jean n’est pas autre chose que le Logos philonien, à peine démarqué pour s’adapter aux exigences irréductibles du christianisme. Encore en 1903, dans la première édition de son commentaire sur le quatrième évangile, M. Loisy écrivait que l’influence des idées philoniennes sur Jean n’est pas contestable (p. 154) ; deux ans plus tôt, en 1901, M. Jean Réville ne voyait que de l’alexandrinisme dans le quatrième évangile : « Tant que nous ne parvenons pas, disait-il, Ji nous replacer dans les conditions mentales de l’éducation alexandrine, nous ne pouvons pas comprendre le quatrième évangile. Quand on est familiarisé avec les œuvres de Philon, on n’éprouve plus aucune peine à s’expliquer le disciple bien-aimé du quatrième évangile. » Le quatrième évangile, p. 319.

Aujourd’hui, je ne crois pas que personne accepterait encore de souscrire à de pareilles formules. Trop manifestes, trop profondes aussi apparaissent les différences entre le Verbe de saint Jean et le Verbe de Philon, pour que nous puissions expliquer celui-là par celui-ci. Au Logos philonien, inconsistant, falot, dont on ne peut affirmer même l’existence personnelle, s’oppose le Verbe de saint Jean, vie et lumière des hommes, Fils unique de Dieu, subsistant éternellement en Dieu et, finalement, incarné parmi nous, afin de nous rendre participants à la plénitude qui est en lui. D’un côté, un produit de la spéculation philosophique : de l’autre, une personne vivante, qui a été vue et touchée lors de son incarnation et sur laquelle un témoin porte des affirmations véridiques. Le Logos de Philon