Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/731

Cette page n’a pas encore été corrigée

144 7

    1. PHILON LE JUIF##


PHILON LE JUIF. DOCTRINE

L448

et leurs révolutions n’étaient pas pour les hommes les causes premières de ce qui leur arrive, mais que cet univers est maintenu par des puissances invisibles, que le démiurge a tendues des extrémités de la terre jusqu’aux limites du ciel, afin que ce qu’il avait lié ne se déliât point ; car les puissances sont les liens infrangibles du monde. » De migrât. Abrah., 180-181.

Ailleurs encore, les puissances sont comme autant de degrés qui permettent à l’Ame d’atteindre le Dieu transcendant. Ayant à expliquer le texte de la Genèse sur les trois hôtes d’Abraham, Philon déclare : " Lorsque l’âme est, comme dans son midi, illuminée par Dieu et que, remplie tout entière de lumière intellectuelle par la splendeur répandue autour d’elle, elle est sans aucune ombre, elle reçoit alors une triple impression d’un seul objet, l’un apparaissant comme l’être et les deux autres comme deux ombres projetées par lui. Il arrive quelque chose de semblable sous l’influence de la lumière sensible, car les objets, soit en restant immobiles, soit en se déplaçant, projettent souvent une ombre double. » Ces ombres ne sont pas l’être suprême, mais ses puissances les plus anciennes : à droite, la puissance créatrice que l’on appelle Dieu ; à gauche, la puissance royale, que l’on appelle Seigneur. « Dieu donc, au milieu des deux puissances qui l’assistent, présente à l’esprit qui le contemple tantôt un seul objet, tantôt trois : un seul, quand l’esprit purifié et ayant dépassé non seulement la multiplicité des nombres, mais même la dyade voisine de la monade, s’élance vers l’idée pure, simple et parfaite en elle-même ; trois, lorsque, n’ayant pas été initié aux grands mystères, il célèbre encore les petits mystères, et que, ne pouvant saisir l’être par lui-même et sans un secours étranger, il l’atteint dans ses œuvres, comme créant ou comme gouvernant. » De Abrah., 119, 122. Cf. Quæst. in Gènes., iv, 2, 8. Remarquons ici la comparaison empruntée aux mystères : les initiés peuvent voir Dieu, le connaître tel qu’il est par une expérience incommunicable ; les autres ne l’atteignent que par l’intermédiaire des puissances : ce qui veut dire, semble-t-il, quMs ne le contemplent pas dans son unité, mais qu’ils doivent l’envisager sous des aspects successifs et par rapport à la création, tantôt comme Créateur, tantôt comme Providence. Ici, les puissances ne sont plus, évidemment, que des attributs de Dieu.

Et il semble, en définitive, que l’on ne puisse guère ramener à l’unité tous les textes dans lesquels Philon fait intervenir les puissances. S’il semble parfois leur donner une personnalité assez accentuée, comme il le fait dans les Questions sur l’Exode, où nous pressentons en quelque sorte les généalogies des éons gnostiques, le plus souvent il en parle comme d’attributs de Dieu ; et il fait appel à leur intervention pour avoir le droit de conserver la doctrine essentielle de la transcendance : c’est ainsi qu’il déclare, dans le De confusione linguarum, 136, que Dieu n’est nulle part, ce qui est la formule de la transcendance, mais qu’il remplit tout par ses puissances, ce qui sauvegarde le dogme de son omniprésence.

Le Logos.

Le texte des Questions sur l’Exode,

que nous avons cité au début de notre étude sur les puissances, mentionne immédiatement, au-dessous de Dieu, le Logos. Le Logos joue, dans l’ensemble de la théologie de Philon, un rôle considérable ; mais nous devons, dès maintenant, reconnaître que le philosophe juif juxtapose, sans se soucier de les amalgamer, plusieurs théories différentes du Logos, de sorte que l’impression d’ensemble qui demeure, après l’examen des textes, est, somme toute, assez fuyante.

On sait que, à l’époque de Philon, le terme de Logos figurait dans le vocabulaire technique du stoïcisme, tout aussi bien que dans celui du platonisme. Les juifs alexandrins avaient accueilli ce terme, comme on peut

s’en rendre compte par l’emploi qu’en fait le livre de ki Sagesse, 9t bien plus encore par les allusions de Philon lui-même a ses devanciers, De sumn., i, 118. Philon n’avait donc pas a créer une doctrine ; il lui suffisait de s’inspirer, pour parler du Logos, des idées familières a ses contemporains ou à ses prédécesseurs.

Avant tout, le Logos est, pour Philon, l’intermédiaire entre Dieu et le monde, et cela, à un double point de vue. Il est, d’une part, l’agent de la création : « Pour la production d’un être quelconque, bien des principes doivent concourir : la cause proprement dite, la matière, l’instrument, la fin. Si quelqu’un demandait ce qu’il faut pour la construction d’une maison ou d’une cité, on dirait : un ouvrier, des pierres, du bois, des instruments… VA si l’on passe de ces constructions particulières à la grande maison, à la grande cité qui est le monde, on trouvera que la cause est Dieu, qui l’a fait ; la matière, ce sont les quatre éléments dont il a été composé ; l’instrument est le Logos divin par qui il a été construit ; le but de la construction est la bonté du démiurge. » De cherub., 125-127 ; cf. Leg. allegor.. ni, ii(5 ; Quod Deus immutab.. 57 ; De sacriI. Ab. et Caini, 8. Il est, d’autre part, celui par qui nous connaissons Dieu et qui intercède pour nous. Quelques âmes pures, tout au moins en des circonstances particulières, atteignent Dieu lui-même par la contemplation. Le plus souvent, l’intelligence ne s’élève à la connaissance de Dieu que progressivement, par le moyen du monde qu’il a créé, et n’atteint que son Logos, ou même l’une ou l’autre des puissances inférieures au Logos. De fuga, 97. C’est d’ailleurs un grand bienfait, pour ceux qui ne peuvent voir Dieu, de contempler le Logos, De somn., i, 117 ; et, tout autant de savoir que leurs prières sont portées à Dieu par le Logos suppliant. Quis rer. divin, hères, 205-206.

Cette double conception du Logos, Philon la retrouve à la fois dans le judaïsme et dans l’hellénisme, ou, du moins, il la pare tout à tour de couleurs juives et grecques.

Juif, Philon l’est, nous l’avons déjà dit, par toutes les fi jres de son âme. Il fait de la Bible sa lecture favorite ; il ne cesse pas de commenter le livre divin et il y trouve, à plusieurs reprises, des récits qu’il interprète en y introduisant l’idée du Logos. L’Ancien Testament parle souvent de l’ange de Jahvé, qui se manifeste aux patriarches, qui leur parle, qui leur donne des ordres. Qui est donc cet ange ? Le Logos, répond Philon : « Pourquoi donc nous étonner encore, si Dieu apparaît semblable aux anges et parfois, même aux hommes, pour secourir ceux qui en ont besoin’? Ainsi, quand l’Écriture dit : Je suis le Dieu qui t’a apparu dans le lieu de Dieu (Gen., xxxi, 13), pense qu’il a pris en apparence la place d’un ange, sans changer toutefois, pour aider celui qui ne pouvait pas voir autrement le vrai Dieu. De même donc que ceux qui ne peuvent pas voir le soleil lui-même voient son reflet, et que ceux qui voient le halo de la lune croient la voir elle-même, de même on perçoit l’imaæ de Dieu, son ange. le Logos, comme Dieu lui-même. » De somn., i, 232239. Aussi est-ce le Logos qui a apparu à Agar chassée par Abraham, De cherub., 3, et à Jacob quittant Laban. De somn., i, 227 ; qui a lutté avec Jacob, De mutât, nom., 87 ; qui a parlé à Moïse dans le buisson ardent. De vita Mosis, i, 66 ; qui était dans la nuée lumineuse. Quis rer. div. hères, 203-205 ; De vita Mosis, i. 166. etc.

L’Ancien Testament présente le grand prêtre comme l’intercesseur suprême du peuple auprès de Dieu. Puisque le Logos a pour mission de multiplier Dieu, les passages de la Bible, où il est question du grand prêtre, peuvent être entendus allégoriquement du Logos : « Son père et sa mère doivent être purs. Son père est Dieu, le père de l’univers : sa mère est la sagesse, par laquelle tous les êtres sont venus à l’existence… Le