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PAULIN DE VENISE — PAVIE DE FOURQUEVAUX

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    1. PECHA M##


PECHA M. LUTTE CONTRE L’ARISTOTÉLISME

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en défenseur de la tradition et où, dans le cadre de ses élévations théologiques et de ses effusions mystiques, il heurte de front et l’averrolsme parisien de Siger de lirabant et l’aristotélisme mitigé de Thomas d’Aquin. Le 18 janvier 1277, Jean XXI, à qui on avait fait un rapport sur les erreurs averroïstes enseignées à Paris, chargea l’évêque de Paris, Etienne Tempier, de procéder à une enquête. Celui-ci convoqua une assemblée de maîtres en théologie et d’hommes prudents qui dressèrent une liste de 219 propositions que Tempier condamna comme erreurs, le 7 mars 1277.

Dirigé principalement contre l’averroïsme, cet acte frappait aussi certaines doctrines de Roger Bacon, de GillesdeRomeet de Thomas d’Aquin. Le 18 mars 1277, quelques jours à peine après le décret d’Etienne Tempier, l’archevêque de Cantorbéry, le dominicain Robert Kilwardby, fit prohiber à son tour, non comme hérétiques, mais comme dangereuses, une série de thèses grammaticales, logiques et physiques. Parmi ces dernières, les principales se rapportent aux théories thomistes de la génération, de la passivité de la matière, de l’unité de l’âme dans l’homme et de l’introduction de formes nouvelles dans le corps humain après la mort. De tout cela, il résulte abondamment que Jean Pecham ne fut point l’initiateur ni l’âme du débat qui se déroula à Paris de 1268 à 1277 entre l’augustinisme traditionnel et l’aristotélisme, mais bien saint Bonaventure, dont la doctrine augustinienne triompha des théories aristotéliciennes.

2. Pecham continue cette action.

Cela n’empêche toutefois point que Pecham, dans son enseignement à Paris et à Rome, ait combattu le mouvement aristotélicien et thomiste, comme cela résulte de ses nombreux ouvrages.

Les dominicains, défenseurs des théories de saint Thomas, ne s’étaient pas considérés comme battus, et continuaient la lutte pour la suprématie de la doctrine thomiste. Ils travaillèrent dans ce sens principalement à Oxford, où ils s’efforcèrent de supplanter l’augustinisme traditionnel au profit de l’aristotélisme mitigé de saint Thomas. C’est ici que Jean Pecham entre en scène pour maintenir la défense de l’augustinisme sur le terrain fixé par saint Bonaventure.

En sa qualité d’archevêque de Cantorbéry et de primat d’Angleterre depuis 1279, Pecham avait le pouvoir et le devoir de visiter l’université d’Oxford et de veiller à l’enseignement qui s’y donnait. Ses convictions philosophiques, son devoir pastoral et l’attitude du Saint-Siège, depuis Jean XXI jusqu’à Honorius IV, lui imposaient de suivre les traces de son prédécesseur sur le siège de Cantorbéry, Robert Kilwardby, O. P., comme le remarque justement le P. E. Longpré, art. cit., p. 41. Ce même auteur continue : « Ennemi des nouveautés, comme il l’écrivait aux franciscains de Cambridge, le 5 septembre 1279, mais nullement opposé aux recherches philosophiques utiles à la théologie, il comprit rapidement le danger qu’impliquait l’aristotélisation à outrance de la philosophie et de la théologie = les excès de Siger de Brabant en fournissaient la preuve décisive — et le délaissement de saint Augustin et des Pères. Ce qu’il avait combattu dans son enseignement à Paris, à Oxford et à Rome, il le poursuivit encore après son élévation à l’épiscopat avec une dignité qui l’honore. » C’est pourquoi, en vue d’apaiser le conflit qui déchirait à Oxford les dominicains, défenseurs des doctrines de saint Thomas, et les protagonistes de l’augustinisme traditionnel, il ne trouva rien de mieux que de renouveler et de confirmer, le 29 octobre 1284, les ordonnances portées par Robert Kilwardby en 1277 contre les théories aristotéliciennes. L’unique mobile qui engagea Pecham à prendre ces décisions importantes fut, comme le remarque le P. E. Long pré, art. cit., p. 12, la volonté ferme d’ « enrayer la crise montante des philosophies nouvelles et de maintenir l’intelligence chrétienne dans le respect de la tradition et des opinions jusqu’alors communément reçues, et loyale avant tout à l’école de saint Augustin. »

C’est d’ailleurs ce que confirme pleinement l’altitude prise par l’archevêque de Cantorbéry dans la suite de ce pénible débat. Le renouvellement des mesures de Kilwardby excita une vive émotion chez les dominicains, qui se répandirent en invectives et en calomnies contre Pecham, lequel semble avoir eu jusqu’alors les meilleures relations avec eux. Informé des bruits répandus sur son compte, Pecham écrivit, le 17 décembre 1284 une lettre au chancelier et aux maîtres d’Oxford, pour mettre les choses au point. Il y rappelle le but qu’il s’est proposé en renouvelant les ordonnances de Kilwardby, à savoir d’enrayer les troubles qui ont surgi à l’université. Il s’y défend de ( l’accusation d’avoir procédé avec trop d’animosité I contre l’ordre des prêcheurs, vu qu’il n’a fait que renouveler ce que l’un d’eux avait déjà décrété avant lui. Il n’a d’ailleurs point visé les doctrines officielles de l’ordre. Quant aux opinions propres à frère Thomas i d’Aquin, leur valeur est étudiée actuellement en cour de Rome. D’ailleurs, ajoute-t-il, frère Thomas les a | soumises au jugement des maîtres en théologie de Paris et lui, Pecham, le sait bien, puisqu’il était présent. .Mais là n’est pas la question, dit-il. A Rome, on n’envisage pas l’affaire comme à Oxford. Autre est le problème soumis par Paris à la cour romaine, autres les règlements déterminés par la sagesse de Kilwardby pour les discussions des tout jeunes étudiants à Oxford.

Loin de se calmer, le trouble dut aller en s’aggravant. Le 1 er janvier 1285, Pecham écrivit une longue lettre au cardinal protecteur, Mathieu Orsini, au cardinal Ordonius, évêque de Tuseulum, au général des frères mineurs et au pape. Le P. Jules d’Albi l’analyse ainsi, op. cit., p. 129-133 : « Parlant d’abord de l’unité de la forme substantielle, il note que c’est là une opinion défendue par le frère Thomas d’Aquin. de sainte mémoire. Mais, ajoute-t-il, ce docteur prouva pleinement sa bonne foi, tant dans la défense de cette opinion que dans celle de plusieurs autres, la soumettant humblement au jugement des maîtres parisiens. De cela il se porte garant par la certitude même de ce qu’il a personnellement entendu dans l’assemblée des maîtres à Paris. Les dominicains ont provoqué l’archevêque et se sont vantés de défendre ces opinions envers et contre tous ; ils ont eu même l’audace de répandre contre l’archevêque des bruits qui ont gravement porté atteinte à sa réputation. Cependant, l’archevêque a confiance dans la vérité. Mais afin de couper court aux calomnies, il s’adresse directement au pape afin de tout remettre au point. Il écrit à Rome parce qu’il a l’expérience du milieu pontifical et qu’il n’ignore pas ce qui s’est passé lors du changement de son prédécesseur.., Il se demande même s’il n’est pas un peu tard et si le pape n’est déjà prévenu par la partie adverse. » Il explique pleinement, dans cette lettre, son attitude et sa décision et observe avec un sens admirable l’écart total qui sépare les deux grands courants doctrinaux du XIIIe siècle, comme l’observe le P. E. Longpré. art. cit.. p. 42-43 : « Nous vous écrivons ces choses, dit-il, pour que, si par hasard votre sagesse en entend parler, vous connaissiez la situation de fait dans son absolue vérité. Que la sainte Église romaine daigne considérer que la doctrine des deux ordres est actuellement en opposition presque complète sur toutes les questions dont il est permis de disputer ; la doctrine de l’un de ces ordres, délaissant et, jusqu’à un certain point, méprisant les enseigne-