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PHILON LE JUIF. DOCTRINE


livre, dont l’idée générale est difficile à déterminer ; il semble qu’il constituait une apologie du judaïsme. 13. De judœis, mentionné par Eusèbe, Hist. réel., II, xviii, (i, et cité dans la Priepar. evang., viii, 11. On peut se demander s’il n’était pas identique au numéro précédent.

Après avoir, comme nous venons de le faire, cité les titres des ouvrages de Philon, il y aurait lieu d’en esquisser le classement logique. Il est, en effet, de la plus haute importance, pour l’étude du philonisme, de savoir comment l’auteur lui-même entendait interpréter ses écrits. Plusieurs d’entre eux se rangent sans aucune peine à la suite l’un de l’autre ; ils reprennent le commentaire des Livres saints de manière à former une série continue ; mais d’autres sont en marge, ou, plus exactement, se rattachent à des séries nouvelles. On voit sans peine, par exemple que, le De opificio mundi ne peut pas être regardé comme le premier ouvrage de la série qui comprend les Allégories des saintes lois. De même, les Quæstiones et responsiones appartiennent, par leur nature, à un genre nouveau. Mais, dès qu’on arrive au détail, on se heurte à des difficultés parfois insurmontables. Il est vrai que plusieurs critiques, en particulier Massebieau, dont les travaux sur la question restent classiques, ont peut-être exagéré ici l’esprit de géométrie et demandé à Philon une rigueur logique dont il a pu se départir, au cours des longues années qu’il a employées à la composition de ses ouvrages. Il ne faut pas s’étonner si tel ou tel livre se refuse à entrer dans des cadres tracés après coup, et s’il répond à des questions qui n’avaient pas été posées de prime abord devant l’esprit de l’écrivain.

On peut admettre, en gros, que les écrits de Philon se groupent en trois classes :

1. Écrits purement philosophiques : De incorruptibilitate mundi, Quod omnis probus liber, De providentia, De animalibus.

2. Écrits d’explication du Pentateuque : ce second groupe est de beaucoup le plus important, on y distingue :

a) Le commentaire allégorique qui commence aujourd’hui par les Allégories des saintes lois, mais qui était probablement précédé d’un livre perdu, YHexaméron, qui portait sur la création des six jours ; ce commentaire suit, avec quelques interruptions qui proviennent sans doute de la perte des textes, l’ordre de la Genèse.

b) L’exposition de la Loi, qui commence par le De opificio mundi, se poursuit par les traités sur Abraham et sur Joseph (les vies intermédiaires d’Isaac et de Jacob sont perdues) ; puis comporte l’explication du Décalogue, envisagé en général dans le De decalogo et, pour ce qui est des préceptes particuliers, dans le De specialibus legibus, avec ses annexes.

c) Les questions sur la Genèse et sur l’Exode.

3. Écrits missionnaires et apologétiques : vie de Moïse, apologie des juifs, Hypotheticc.

III. Doctrine de Philon.

Philon n’a jamais exposé sa doctrine d’une manière didactique ; et c’est très habituellement, à l’occasion de son exégèse de la Bible qu’il formule ses idées. De là une difficulté très grande à synthétiser sa pensée. Cette difficulté est encore accrue par l’esprit volontiers éclectique du philosophe ; non seulement Philon n’expose jamais, dans leur ensemble, ses opinions philosophiques et religieuses, mais il peut arriver qu’il ait recours à des théories complètement opposées et inconciliables entre elles ; il se contente alors de les juxtaposer sans les fondre, et il laisse à son lecteur le soin de choisir ou d’unir les éléments qu’il met à sa disposition.

Ici, d’ailleurs, nous n’avons pas à entrer dans le détail. Philon ne nous appartient que dans la mesure où il a pu exercer une influence sur la pensée chrétienne.

1° Méthode allégorique. Pour expliquer la Bible. Philon met à profit les ressources que lui offre la méthode allégorique. Il n’est pas l’inventeur de cette méthode, mais il l’a appliquée à l’Ancien Testament avec une rigueur et une continuité dont on ne connaît guère d’exemples.

Les Grecs de son temps usaient volontiers de l’allégorie pour interpréter les légendes mythologiques ; les stoïciens surtout y trouvaient le moyen de concilier les fables et les récits relatifs aux dieux avec les exigences de leurs doctrines. Dans le monde juif de la dispersion, l’allégorie n’était pas moins en faveur, mais nous n’avons que peu de témoins utilisables de son application à la Bible. Philon est, pour nous, le représentant à peu près unique de toute une école de pensée ; et c’est précisément parce que ses œuvres à lui seul ont survécu au naufrage de la littérature juive d’Alexandrie qu’elles offrent pour nous un si grand intérêt.

Philon nous explique lui-même, De ebrietate, 33-93, les différentes attitudes qu’il est possible de prendre à l’égard de la Loi : on peut d’abord la considérer comme une simple coutume traditionnelle ; on peut, en second lieu, mépriser la loi positive comme telle et rendre à Dieu un culte purement spirituel ; on peut enfin combiner le respect des lois positives et le culte divin, en observant les lois, mais en leur cherchant, par la méthode allégorique, un sens intérieur et profond. Cette troisième attitude est celle qu’il prend lui-même : il reste fermement attaché à l’observance de la Loi ; mais il essaie, en même temps, d’expliquer et de justifier sa conduite ; il ne lui suffit pas de prier de corps, il veut encore prier de cœur et d’esprit, et il s’efforce de montrer que l’âme entière est intéressée à la pratique spirituelle de la Loi.

C’est ainsi que le commentaire allégorique de la Genèse contient une histoire morale de l’âme humaine, depuis son origine céleste jusqu’à sa purification morale définitive ; dans l’intervalle, prennent place les chutes multiples de l’âme, ses repentirs, ses retours au mal. Les Allégories des saintes lois sont le premier fragment conservé de cette histoire : « D’abord la création de l’âme terrestre avec l’intelligence, la sensation et les passions, puis sa séduction par le plaisir, l’entraînement de l’intelligence vers le monde sensible et les conséquences qui s’ensuivent. » É. Bréhier, Philon, Commentaire allégorique des saintes lois. Paris. 1909, p. ix.

Nous n’avons pas à insister ici sur les dangers ou sur les avantages d’une telle méthode. Remarquons seulement qu’elle permet à Philon de retrouver, dans les textes de l’Ancien Testament, toute la philosophie hellénique ; à ses yeux, les sages de la Grèce n’ont rien dit ni rien enseigné que les écrivains inspirés n’aient déjà dit ou enseigné mieux qu’eux. De la sorte, Philon se sent le citoyen du monde ; au lieu d’être enfermé dans les limites étroites de sa race et de sa religion, il vit en communion avec tous les sages de tous les temps : le judaïsme, tel qu’il le décrit, est bien autre chose que l’ensemble des croyances et des rites propres à une nation honnie et méprisée ; il est la véritable religion spirituelle de l’humanité.

Dieu.

Ce cosmopolitisme de Philon éclate avant

tout dans son enseignement sur Dieu.

Il va sans dire que, pour notre philosophe, Dieu est unique. Le monothéisme est l’enseignement fondamental de la Bible ; il est aussi le terme de la philosophie hellénique : c’est à peine s’il a besoin de démonstration. Mais il faut relever que pour lui ce Dieu unique est le père de tout, le chef, le maître, le créateur, le roi, le sauveur de l’univers. La Bible insistait sur les rapports étroits qui unissaient Dieu à son peuple : elle ne cessait pas de rappeler l’alliance que le Seigneur avait faite avec les ancêtres de la race élue et qu’il avait renou-