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PAULIN DE VENISE — PAVIE DE FOURQUEVAUX

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    1. PECHAM##


PECHAM. POSITION DOCTRINALE

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au corps qu’elle anime et qui n’exagèrent pas l’efficacité accordée aux causes secondes dans leurs opérations : d’où leur intérêt pour la doctrine de la pluralité des formes dans le composé humain. Tout ce système de la connaissance, de la nature et de l’homme, est enveloppé dans une intuition générale qui voit de préférence en Dieu une bonté sans cesse jaillissante, source inépuisable d’amour qui nous demande avant tout notre amour. Le temps et les luttes doctrinales pourront finir par user toutes les autres thèses de i’augustinisme franciscain ; seule, comme s’il s’agissait du cœur même de la pensée et de la vie franciscaine, se transmettra sans aucune interruption, d’un docteur à l’autre, la doctrine qui subordonne en nous la connaissance à l’amour et l’intelligence à la volonté. Le P. E. Longpré, op. cit., a fourni une synthèse magistrale des thèses défendues par les maîtres franciscains au xme siècle.

Toutes ces théories et doctrines, propres à la direction augustinienne dominée par saint Bonaventure, se retrouvent dans les œuvres de Jean Pecham, comme l’ont prouvé les études récentes publiées par le P. J. Spettmann, O. F. M., Die Psychologie des Johannes Pecham, dans Beitràge zur Gesch. der Phil. des M. A., t. xx, fasc. 6, 1919, par J. Rohmer, La théorie de l’abstraction dans l’école franciscaine d’Alexandre de Ilalès à Jean Pecham, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, p. 178-184, Paris, 1928, par D. E. Sharp, Franciscan philosophy at Oxford in the thirteenth century, dans British Society of franciscan Studies, t. xvi, Oxford, 1930, p. 175-210.

1. La connaissance.

Selon Pecham, toute connaissance s’élabore sous l’action spéciale de la lumière divine et le contact immédiat des raisons éternelles. Pour lui, la présence de l’absolu, sous la forme des vérités éternelles, est, en effet, ce qui caractérise le règne de la connaissance intellectuelle. En face de la véritable nature de l’intelligence, la doctrine d’Aristote apparaît comme une tentative d’explication de l’absolu par le contingent, alors que, dans notre connaissance, c’est le contraire qui a lieu : La distinction de l’apport formel et de l’apport matériel dans la connaissance est ce qui donne aux sens leur véritable fonction.

C’est au rôle formel des vérités éternelles que nous devons de savoir ce que sont les choses et c’est également lui seul qui explique l’universalité et l’objectivité de la pensée. En se plaçant ainsi au point de vue de l’unité formelle de la pensée, Jean Pecham aboutit, avec sa thèse sur l’unité numérique de la lumière, à une véritable restauration du monde intelligible et du règne néoplatonicien de l’Un. Nous sommes aux antipodes de la doctrine de l’abstraction : elle perd ici avec l’apport des formes dans la connaissance ce qui, chez Aristote et saint Thomas, fait sa raison d’être. Avec Jean Pecham, l’illumination augustinienne a repris tous ses droits. Cf. J. Rohiner, op. cit. ; D. E. Sharp, op. cit., p. 195-202.

2. La création et les créatures.

Jean Pecham, comme les autres tenants de l’école franciscaine du xme siècle, explique le devenir en fonction de la théorie augustinienne des raisons séminales.

Il emprunte également à saint Augustin son concept de matière première dont l’existence, selon Pecham, n’est pas une simple existence en puissance mais qui constitue déjà quelque chose d’actuel. Cela seul explique que la matière, au lieu d’être nécessaire et éternelle, a été créée par Dieu. La matière a une essence et une existence distinctes de celles de la forme, de sorte que Dieu pourrait faire exister la matière sans la forme. Item certum est quod materia sit alla essentia quam forma, cum materia et forma sint duo principia essentialiter differentia. Deus autem omnia essentialia

diuersa pole.il separare, …posiel ergo si vellet facere maleriam esse sine omni forma. La matière reste cependant en puissance à l’égard de la forme : Quamvis [materia ] sit in potentia ad formam, est lamen essentia quædam diminuta in aclu, sicut est etiam principium et illum actum essendi non habet a forma, sed a creatore, sic autem habet esscnliam, scilicel a creatore vel dalore. La forme donne à la matière l’esse specificum et complelum, non vero esse esseniise complétée. Pecham admet aussi la matière dans les êtres spirituels : l’âme et les anges.

Par rapport au composé humain, Pecham soutient qu’il est constitué de deux substances indépendantes, quant à l’être, l’une de l’autre : le corps et l’âme, ayant chacune sa matière et sa forme propres, et constituant en même temps, l’une vis-à-vis de l’autre, matière et forme. La matière du corps, constituée par les quatre éléments et d’autres composés, est informée et réduite à l’unité par la forma corporeitatis, qui subsiste même après l’infusion de l’âme spirituelle. Il apporte en faveur de cette thèse des arguments d’ordre traditionnel et théologique. Le corps, à son tour, est informé successivement par l’âme végétative, l’âme sensitive et enfin par l’âme spirituelle ou rationnelle qui complet omnes formes naturales et perficit eas, ut esse et operari possint operationes consonantes speciei, et de la sorte elle constitue la forma substantialis quantum ad esse l>rimum. Toutes ces formes restent dans le composé humain, même après l’infusion de l’âme spirituelle. L’âme rationnelle est de soi et ne dépend pas intrinsèquement du corps dont elle est la forme dernière. Composée de matière et de forme, elle est un être réel qui trouve en soi de quoi développer sa vie intérieure. L’âme spirituelle est créée et infusée dans le corps par Dieu et se trouve dans chaque partie du corps.

Ces multiples formes ne détruisent-elles pas l’unité du composé humain ? Non, répond Pecham, car ces formes ne sont point juxtaposées l’une à côté de l’autre, mais subordonnées l’une à l’autre et toutes les formes inférieures à la forme supérieure, à l’âme spirituelle : Sunt in homine formée plures gradatim ordinatse ad unam ultimam perfectionem et ideo formatum est unum. Toutes ces formes, d’ailleurs, ne constituent que des dispositions nécessaires les unes aux autres, de sorte que l’âme végétative et l’âme sensitive ne sont point des parties virtuelles de l’âme spirituelle, mais des formes qui constituent des dispositions nécessaires à la réception de l’âme rationnelle : Est autem dispositio propria ad intellectivam vitam anima vegctaliva et sensiliva… Anima autem rationalis adveniens non habet oppositionem cum sensitiva, quæ fuit dispositio necessaria ad ipsam.

L’âme possède des facultés : l’intelligence, la volonté et la mémoire, qui ne peuvent point s’identifier d’une façon absolue avec l’essence de l’âme ni en être absolument distinctes. Selon Pecham, les facultés constituent des parties virtuelles de l’âme : Quamvis anima sit simplex per carenliam partium integralium, habet tamen parles virtuales, vires scilicel et potentias. Pecham soutient aussi la suprématie de la volonté sur l’intelligence. Enfin, il ne voit pas le principe d’individuation dans la matière alïectée de quantité, mais dans les deux principes formels de l’être réalisés en même temps. Cf. J. Spettmann, op. cit. ; D. E. Sharp, op. cit., p. 178-203.

3. Dieu. La Sainte-Trinité. — La trace profonde des vues de saint Augustin et de saint Bonaventure sur Dieu se retrouve aussi chez Je ; m Pecham. A la suite du Docteur séraphique, il a le sentiment du divin en toute chose et particulièrement dans l’âme. Cf. M. Schmaus, Der Liber Propugnatorius des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zwischen Thomas von Aquin und Duns Scotus. II Teil, Pie trinitarischen