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PHILARÈTE DROZDOV. DOCTHINh


et suffisante de la foi (I’hil., iii, 16), accepter une parole de Dieu non écrite comme l’égale de celle qui est écrite, c’est s’exposer au péril de transgresser le commandement de Dieu pour une tradition humaine (Matth., xv, l(i).

Sur l’état de déchéance de l’homme.

Dans l’état

de nature déchue, dit I’hilarète, l’homme conserve la liberté de choisir le bien naturel, social, moral ; mais, pour les actes spirituels et salutaires, il n’a ni force, ni désir libre. Gen., viii, 21 ; Joa., viii, 31.

La concupiscence mauvaise, c’est-à-dire le premier mouvement de la volonté vers le péché, est un péché digne de la colère de Dieu. Au c. vu de l’épître aux Romains, où il est question de ce point, la concupiscence mauvaise est appelée « péché » à plusieurs reprises, et il y est dit, entre autres choses, qu’elle est défendue par la loi : Tu ne convoiteras pas.

Sur le médiateur et la grâce.

La passion et la

mort de Jésus-Christ constituent une satisfaction surabondante pour tous les péchés du monde. Nous devons, sans doute, nous rendre conformes à Jésus-Christ dans l’amour, l’humilité, la bienfaisance, la patience ; mais nous ne pouvons pas l’imiter dans les actes rédempteurs qui lui sont propres, comme est la satisfaction pour les péchés. Admettre la nécessité de notre satisfaction, c’est diminuer le prix de ces mérites. « La grâce justifie par la vertu des mérites de Jésus-Christ, que l’homme s’approprie par la foi vivante. Les bonnes œuvres sont les fruits de la foi et de la grâce et ne constituent pas par elles-mêmes, dans l’homme, un mérite spécial. » Après cette proposition, notre théologien fait une longue remarque pour indiquer en quoi consiste la divergence entre l’Église orientale et l’Église occidentale sur la question des bonnes œuvres. De part et d’autre, dit-il, on admet la nécessité de celles-ci. « Mais ceux qui trouvent des mérites dans leurs propres œuvres se tiennent sur le chemin du pharisaïsme. »

Sur les sacrements.

Chose curieuse, sur les

sacrements, Philarète ne marque que deux différences entre les deux Églises : celle qui a trait à la communion sous les deux espèces et le célibat des clercs. Nous verrons tout à l’heure qu’il a oublié d’en signaler plusieurs autres, qu’il admettait sûrement, au moment où il rédigeait son opuscule.

Sur l’Église.

A l’affirmation catholique : que

Jésus-Christ est le chef invisible, et le pape, le chef visible de l’Église, le théologien russe oppose cette proposition : L’unique tête de l’Église est Jésus-Christ. Il explique ensuite que la pierre sur laquelle est bâtie l’Église n’est pas l’apôtre Pierre lui-même, mais la confession de foi prononcée par lui d’une voix ferme : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Car personne ne peut poser un autre fondement de l’Église, que celui qui a été posé, c’est-à-dire Jésus-Christ. I Cor., iii, 11.

A cette autre thèse catholique : Le pape, comme vicaire de Jésus-Christ, a le pouvoir suprême dans les affaires ecclésiastiques et civiles, fait pendant la suivante : « La puissance spirituelle a dans son ressort les affaires qui regardent la foi. Elle appartient à la loi immuable de la parole de Dieu et au jugement universel de l’Église. La puissance ecclésiastique a, en effet, en main les clefs du royaume des cieux et le droit de lier et de délier sur la terre ce qui doit être lié et délié dans le ciel (Matth., xvi, 19). » Puis cette remarque à l’adresse de la papauté : « A la fin du vie siècle, le pape Grégoire le Grand écrivait à l’empereur Maurice : Celui qui se nomme et permet qu’on le nomme évêque œcuménique, celui-là se fait, dans son orgueil, le précurseur de l’Antéchrist. Mais voilà qu’au ixe siècle, le pape Nicolas le Grand écrivait à l’empereur Michel que le pouvoir civil ne peut ni justifier, ni condamner le pape, parce que celui-ci a reçu

du pieux empereur Constantin le Grand l’appellation de Dieu. Or, personne ne peut juger Dieu. Cette contradiction montre suffisamment quel jugement il convient de porter sur ce juge suprême. Les temps qui suivirent montrèrent que l’Église romaine perdit, en fait de puissance spirituelle, autant qu’elle gagna en fait de pouvoir temporel. »

Nous l’avons déjà dit plus haut, Philarète a toujours manifesté une hostilité foncière à l’égard de la papauté. Durant toute sa vie, son esprit a toujours été imbu du principe de l’autocéphalisme local et national. Dans le pouvoir suprême du pape, successeur de Pierre, il n’a voulu voir qu’une usurpation, un despotisme d’origine humaine. Le dur césaropapisme sous lequel il a été obligé de se courber ne lui a pas ouvert les yeux, pas plus que les éclatantes manifestations de la primauté romaine en Orient durant les neuf premiers siècles. Malgré cette attitude, il n’a pas eu de l’Église universelle la conception intransigeante et plus logique qu’admettent le plus grand nombre des théologiens de l’Église gréco-russe, à savoir que celle-ci constitue, à elle seule, l’Église universelle, l’unique Église fondée par Jésus-Christ. Il a, en fait, adhéré à la conception de la théologie libérale et n’a vii, dans son Église, qu’une partie, la meilleure et la plus saine, de l’Église universelle. En cette attitude même, on peut découvrir une influence de l’esprit protestant.

C’est dans les Dialogues entre un chercheur et un convaincu, composés en 1815, peu après YExposé des différences entre les deux Églises, qu’il développe ce concept, vraiment surprenant de l’Église universelle, que plusieurs théologiens russes contemporains ont repris à leur compte. Il commence par reconnaître que l’Église occidentale vient de Dieu, suivant le critère donné par l’apôtre saint Jean : Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair est de Dieu. I Joa., iv, 2-3. Il ajoute que chacune des deux Églises, l’orientale et l’occidentale, a son esprit propre, sa relation spéciale avec l’Esprit de Dieu. Il explique ces paroles énigmatiques en disant que l’Église orientale est une Église particulière purement vraie, sans aucun mélange d’erreur ou de mensonge, parce qu’elle garde fidèlement l’antique tradition de l’Église universelle. Quant à l’Église occidentale, elle n’est pas purement vraie, parce qu’au salutaire enseignement.de la foi chrétienne elle a mêlé des opinions humaines fausses et nuisibles. De ce mélange d’humain et de divin qu’il découvre dans l’Église catholique, notre théologien a parlé en termes poétiques dans un de ses discours : « C’est à bon droit, dit-il, qu’on les appelle Occidentaux [les catholiques ] ; ils méritent ce nom non seulement à cause de la situation géographique de leur domination dans le monde des éléments, mais aussi à cause de leur position dans le domaine de l’Esprit. Ils sont dans le crépuscule de l’Église ; et la vérité de la foi, qui s’est levée et a resplendi en Orient dans les chastes désirs du royaume céleste, est à son couchant et s’obscurcit chez eux dans le désir impur de l’empire terrestre comme dans un nuage et un brouillard. > Sermons, éd. de Moscou, t. ii, 1874, p. 407-408.

Quoique placée dans le crépuscule de l’Église universelle, l’Église catholique est vraiment une partie intégrante de cette Église, et le grand reproche que Philarète lui fait est justement de considérer comme exclue de la véritable Église, fondée par Jésus-Christ, sa sœur, l’Église orientale, cette autre moitié du christianisme : to Kepiippovçîv ty)v’AvaxoXottjv, Yjaiæiav tou ôXou u.Epî8 : x, obç àaT)tj.avTOv, Sèv C7)p.aîvet x.pîveiv ttjv xpîaiv toù Osoù : Version grecque citée des Dialogues, p. 47. La séparation des deux Églises peut se comparer à la division du royaume des Juifs, après la mort de Salomon, en royaume de Juda et royaume