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PESSIMISME ET OPTIMISME


Limée de Platon, Dieu, la plus parfaite des causes, n’a pu produire que la plus belle des œuvres (29a). Est optimiste également la parfaite rationalité et la finalité intégrale du monde stoïcien : le sage comprend que les maux de la vie présente émanent d’une Providence parfaite et ne sont qu’apparents. Pour les néoplatoniciens, le monde est le meilleur possible : toute chose parfaite produit nécessairement ; le produit, moins parfait que le producteur, l’imite cependant dans la mesure du possible ; la matière n’existe que parce qu’elle rend possible l’harmonie du monde.

C’est à l’influence néoplatonicienne qu’il faut attribuer l’apparition sporadique de l’optimisme absolu chez des penseurs musulmans ou chrétiens du Moyen Age dont nous citerons, à titre d’exemple, Suhrawerdi ou Nicolas de Cuse.

L’optimisme de la philosophie moderne.

C’est à

des influences antiques qu’il faut également attribuer l’optimisme de la Renaissance. Pour Giordano Bruno, l’univers qui existe est absolument parfait, le seul qui fût possible ; le mal est une illusion. Pour Spinoza, le monde n’aurait pu être produit d’une autre manière ni dans un autre ordre ; de la cause la plus parfaite ne pouvaient découler que les effets les plus parfaits. Malebranehe croit que Dieu a choisi, parmi les différents mondes possibles, le plus parfait, celui qui manifestait le mieux ses divins attributs, qui donnait, avec les moyens les plus simples, le meilleur résultat. L’incarnation était nécessaire, afin que le monde fût digne de Dieu.

Leibniz passe à bon droit pour avoir donné l’expression la plus complète de l’optimisme. Il y fut provoqué par les attaques de Bayle contre la théologie chrétienne. Dieu, dit-il, aurait pu ne pas créer, mais il devait manifester sa divine puissance et sa bonté. D’autres inondes étaient possibles en ce sens qu’ils n’impliquaient pas de contradiction interne ; mais, à cause de la perfection divine, seul le monde actuel a pu être réalisé. Non seulement pour l’ensemble, mais aussi pour les individus tout y est arrangé pour le mieux. Il y a harmonie préétablie entre les différentes monades, et aussi « entre les règles de la nature et de la grâce… en sorte que la nature mène à la grâce, et que la grâce perfectionne la nature en s’en servant ». Principes de la nature et de la grâce, p. 15. Le mal n’a qu’un caractère privatif ; il est la suite nécessaire de l’imperfection des monades dont chacune ne reflète l’univers qu’à un point de vue particulier et partiel. Le péché est une suite de la limitation de la connaissance, et le mal physique une suite pénale du péché. Les imperfections du monde augmentent la perfection de l’ensemble, comme les ombres ou les notes discordantes augmentent la perfection de l’œuvre d’art.

Sans subir directement l’influence leibnizienne, le déisme anglais a professé vers la même époque des doctrines analogues. Une vaste harmonie pénètre l’univers. L’élimination de la doctrine du péché originel rehausse la bonté de la nature humaine. Tout péché est ignorance et disparaîtra avec une meilleure connaissance des choses. L’instinct naturel fera coïncider la vertu et le bonheur. Pour Shaftesbury, tout s’accorde avec le plan universel ; rien n’est réellement mauvais ; les contrastes augmentent la beauté de l’ensemble. Selon Pope, « le hasard est une direction que tu ne peux apercevoir, toute discorde une harmonie que tu ne comprends pas, tout mal partiel un bien universel ». Essai sur l’homme, cité par Sully. Le pessimisme, p. 54. Pour Hartley, tous les individus sont actuellement et infiniment heureux, ibid., p. 55 ; l’association rétablit toujours la prédominance du plaisir dans notre vie psychologique. « Que peut-on ajouter, demande Adam Smith, au bonheur de l’homme qui a la’santé, qui n’a pas de dettes et a une

conscience tranquille ? aussi y a-t-il ingt personnes heureuses pour une misérable. Ibid., p. 56. Il est inutile de rappeler l’optimisme naïf qui est à la base du libéralisme économique de Locke et de Smith.

L’optimisme anglais fut accepté par les penseurs du continent, mais il n’a pas résisté à la réalité. Après le désastre de Lisbonne, Voltaire abandonna les idées de Pope qui lui étaient chères. I hune croit qu’un équilibre entre les biens et les maux est l’hypothèse la plus probable. L’optimisme prend une forme dynamique : le monde n’est pas bon, mais il devient de jour en jour meilleur, avec le progrès des lumières, de la science et des inventions. C’est la conception de Lessing, Erziehung des Menschenyeschlechts. 1 780, de Condorcet, Progrès de l’esprit humain, 1795, des spéculatifs allemands ; elle atteint son plus haut point dans la divinisation du développement historique chez Hegel. On pourrait encore poursuivre son influence à travers les philosophics évolutionnistes (Darwin, Spencer) et socialistes de la seconde moitié du xix c siècle.

4° Le pessimisme allemand du XIXe siècle. — A l’époque de V Aufklarung, la note pessimiste ne se fit guère entendre ; les penseurs étaient grisés par les succès de la physique moderne. Cette note, on la trouverait cependant chez certains littérateurs qui s’attachent à l’analyse du cœur humain : La Rochefoucauld. Mandeville, Swift.

Elle trouva, à son tour, une expression classique et définitive dans l’œuvre d’Arthur Schopenhauer. Celui-ci prend son point de départ dans la critique kantienne : notre connaissance ne fournit, de la réalité, qu’une représentation illusoire, déterminée par les formes subjectives du temps, de l’espace, de la causalité, de la finalité. Mais l’intuition interne nous livre le noumène, le fond des choses qui est volonté. Ce n’est qu’en nous que la volonté se manifeste sous sa forme supérieure ; mais la même réalité, substantiellement identique, pénètre toutes choses. La volonté de Schopenhauer correspond, tant bien que mal, à Vappelitus des scolastiques, appétit naturel, sensible et volontaire. L’intelligibilité n’appartient qu’au monde phénoménal ; la volonté nouménale est arbitraire, sans raison, sans fin. Le monde est le plus mauvais possible. L’homme seul peut arriver à connaître l’illusion de toute existence. La volonté le pousse éternellement de la douleur à l’ennui ; son effort est essentiellement douloureux, et n’est jamais satisfait. La douleur seule est un état positif ; le plaisir n’est qu’une absence de douleur. L’homme a cependant le pouvoir de se sauver, en niant le vouloir-vivre : transitoirement, dans la jouissance esthétique, définitivement, par l’ascétisme.

L’influence de Schopenhauer grandit après la révolution de 1848, surtout dans les milieux littéraires, et, avec la sienne, l’influence de certains poètes pessimistes de l’époque romantique, du comte Léopardi par exemple. On a attribué cette crise à un affaissement général de la volonté et à une neurasthénie très répandue. Ueberweg, Grundriss der Gesch. der Philosophie, 12e édit., t. iv, p. 276. Il faudrait encore en rendre responsable la croyance scientifique au déterminisme universel, qui ravit aux hommes toute foi en leur valeur personnelle. Nous citerons, parmi les disciples de Schopenhauer, le poètemusicien Richard Wagner, l’historien de la pensée hindoue Paul Deussen (1845-1919), puis Julius Frauenstædt (1813-1879), qui fit beaucoup pour la vulgarisation des idées pessimistes, enfin Philipp Mainlænder (1841-1876), qui voyait dans le développement du monde le suicide de Dieu et proposait comme devoir moral la virginité et le suicide.

Edouard von Hartmann (L842-1906) est le plus personnel des disciples de Schopenhauer : l’importance