Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/662

Cette page n’a pas encore été corrigée
1309
1310
PESSIMISME ET OPTIMISME


de l’être. Sum. Iheol., I a, q. v, a. 2, ad 3um. Souhaiter le non-être est donc paradoxal et ne peut s’expliquer que par une erreur, volontaire ou involontaire, du jugement. On n’est évidemment pas obligé de croire tout ce que l’on dit ou écrit ; il ne faut pas prendre trop au sérieux ceux qui trouvent leur plaisir à dire, de la meilleure manière possible, que le plaisir n’existe pas. Le pessimisme peut être un snobisme. -Mais il y a eu des pessimistes de bonne foi, dupes de leurs propres raisonnements, et il serait utile de rechercher les causes d’une pareille aberration.

Elle peut avoir des causes individuelles : hérédités morbides, tempérament mélancolique, neurasthénie, insuccès. Il doit y avoir des causes plus générales, géographiques ou ethnographiques, qui font que certains peuples sont fortement inclinés vers le pessimisme. Des époques de crises sociales engendrent facilement une philosophie désespérée. On a encore remarqué que le pessimisme est la suite de conceptions philosophiques qui réduisent à rien la personnalité humaine : à la rigide conception du samsara correspondrait le pessimisme bouddhiste ; au déterminisme de la science moderne correspondrait la crise pessimiste du xixe siècle. Enfin, il est étrange que le pessimisme soit souvent le dernier mot de poètes perdus par leur sensualité (Omar Khayyam, Hyron, Lenau) ; Fichte dit avec raison que nous embrassons la philosophie qui répond à notre propre valeur morale. On pourrait comparer le texte du livre de la Sagesse, i, 16 : « Les impies appellent la mort du geste et de la voix ; la regardant comme une amie, ils se passionnent pour elle, ils font alliance avec elle, et, en eiïet, ils sont dignes de lui appartenir. »

II. Renseignements iiistoiuques.

En négligeant certains faits isolés, nous étudierons quatre époques de l’histoire de la pensée humaine : le pessimisme hindou, l’optimisme grec, l’optimisme du siècle des lumières, le pessimisme spéculatif allemand du xixe siècle. Nous traiterons sommairement les penseurs auxquels le Dictionnaire a consacré, ou consacrera, des articles spéciaux.

Le pessimisme hindou.

La pensée védique ne

fut pas pessimiste. Dans un remarquable article de l’Encyclopsdia de Hastings, t. ix, col. 812, Griswold caractérise le passage du védisme au brahmanisme comme un passage au pessimisme. Il aurait été accompagné de l’introduction du dogme de la réincarnation cl des rites phalliques. La race hindoue sciait caractérisée par un dépérissement de la volonté allant de pair avec un développement exagère de la pensée métaphysique et du sentiment ; la vie sentimentale serait souvent lu idonistique et sexuelle. Griswold suppose finalement. comme causes du pessimisme hindou,

l’influence défavorable du climat et un tempérament mélancolique, résultant du mélange entre Aïs eus et Dravidiens. Laissons-lui la responsabilité de cette dernière explication.

Quoi qu’il en soit, nous avons I impression qu’en Europe on a beaucoup exagéré le pessimisme des doctrines hindoues. On a interprété trop longtemps la pensée hindoue en fond ion du pessimisme de la race, comme on a trop longtemps interprète le dogme du Coran en fonction du fatalisme populaire. Ce serait à peine un paradoxe que de prétendre que les croyances hindoues sont moins pessimistes que le christianisme ;

car l’homme, d’après elles, peut se sauver lui-même :

il esi certain d’obtenir son salut) ne serait -ce qu’après d’innombrables existences, et il b’j a pas d’enfer éternel

Dans la pensée des t’panishads, la nuance pessi miste nail de l’opposition entre l’immuable et éternel

Brahman Atman et la réalité changeante et illusoire.

Elle est formulée dans le fumeux lexfe de la BHhad

aranyaka-Lpanishad : < Ce qui diffère de Lui est plein de souffrance. » III, vii, 23.) En somme, c’est l’idée leibnizienne du mal métaphysique, la vision nette de l’imperfection de tout être créé ; il est uniquement question du mal métaphysique, non du mal moral. Du reste, cette vision est si peu pessimiste qu’on est sûr de pouvoir atteindre le salut par l’ascèse, la connaissance, le non-agir. Pour le docteur classique du védantisme, Çankara, Brahman est réalité, intelligence et béatitude ; le salut s’obtient par la prise de conscience de notre identité avec cette suprême béatitude. Le pessimisme est adouci davantage dans les philosophies et les sectes religieuses, avec leurs dieux pleins de grâce, prêts à secourir les hommes dans l’oeuvre de leur salut.

Il ne reste, en fin de compte, comme véritablement pessimiste, que l’hérésie par excellence de l’ancienne Inde : le matérialisme des carvakas. avec sa négation de toute survie et de toute transmigrât ion et les débauches collectives de ses étranges moines. Mais il était si éloigné de la mentalité hindoue qu’il a disparu : nous iule connaissons que par les critiques de ses adversaires.

La question du pessimisme bouddhiste est obscure : si les pessimistes européens ont emprunté aux bouddhistes, ils leur ont rendu largement. La manière d’après laquelle le bouddhisme était présenté en Europe, et l’est encore partiellement, correspond mieux à la mentalité du xixe siècle européen qu’à celle du ve siècle avant Jésus-Christ.

A première vue, le bouddhisme se donne comme une voie du salut ; il insiste beaucoup sur la souffrance actuelle, mais le moine est sûr de pouvoir lui échapper ; il est dans la voie ; et la note qui se dégage des chants des premiers moines et nonnes (Iherigalhas, Iheragathas) est bien plus la joie de la délivrance que la tristesse de souffrir. Mais en quoi consiste la délivrance’? Tout le problème du pessimisme bouddhiste est finalement lié à la question du nirvana. Il n’y a pas de question plus discutée. Le maître a peut-être refusé de se prononcer. On peut cependant croire que le nirvana, atteint sur terre par le moine parvenu à la suppression des désirs, est un état de béatitude. Quant à l’état du moine délivré après la mort, on peut dire que le point de départ du bouddhisme, le yoga, n’était sûrement pas nihiliste. Parmi les écoles anciennes, les sautrantikas seuls identifient franchement nirvana et néant, tandis que les autres sectes admet lent l’existence du nirvana comme " absolu eschatologique », pour employer l’expression de M. de la Vallée-Poussin. Parmi les écoles du mahayana, le madhyamika tient que le nirvana n’es ! ni être, ni non-être ; les ijnanavadins y voient une réalité de l’ordre de la pensée. Il est donc fort prudent de ne pas voir dans le nirvana une extinction pure et simple, et, du coup, le caractère pessimiste attribué au bouddhisme redevient bien problématique. Voir surtout, .1. de la Vallée-Poussin, Nirvana, Paris, 192 l

2° L’optimisme tirée. Dans la pensée grecque, le seul pessimiste dont on puisse parler est l’hédoniste Hégésias ; encore faufil préciser : llégesias ne croit pas qu’on puisse arriver à un plaisir positif : il faut se contenter d’une absence de douleur. On raconte que les conférences de I legésias provoquèrent une épi demie de suicides. C’est peut être chcI. les épicuriens

qu’on soupçonnerait le plus facilement la note pessimiste : on se souviendra de la poignante tristesse qui se dégage de la lecture du De mmu natura de Lucrèce. Mais nous axons déjà remarqué qu’il ne faudrait pas systématiser certains textes pessimistes

de penseurs ou poètes grecs ; il y a. dans leur nation, une trop grande joie de vivre, de connaître, d’agir. de jouir. Aussi l’optimisme est fréquent. Selon le