Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/661

Cette page n’a pas encore été corrigée
1307
1308
PESSIMISME ET OPTIMISME


sible ; par opposition, on nommera « pessimisme > un système qui fait du monde présent le plus mauvais possible. Cependant, les deux mots ont pris, dans l’usage général, des acceptions bien moins rigoureuses, qui rendent nécessaire une critique plus approfondie des termes.

Éliminons d’abord ce que l’on pourrait appeler le pessimisme et l’optimisme de circonstance. Il est évident que tout homme passe par des états d’exaltation et d’abattement et qu’il donne souvent à ces états d’âme des expressions généralisées. On aurait grandement tort d’attribuer une valeur systématique à ces cris de l’âme, surtout s’ils émanent de poètes qui n’ont aucune intention de formuler des vues philosophiques sur l’univers. (Ce qui n’empêche pas qu’un poète puisse avoir subi l’influence d’une philosophie pessimiste : Richard Wagner fut disciple de Schopenhauer.) Cependant, des documents de ce genre encombrent la littérature du sujet : il est réellement abusif de tirer des conclusions relatives à la valeur des choses de tel ou tel vers d’Homère, de Théognis ou de Bacchylide, contredit par la joie et la riche vitalité de l’ensemble de leur œuvre. Il faut traiter de la même manière le prétendu pessimisme de Job et de l’Ecclésiaste ; il y a, dans ces livres, des expressions poignantes de tristesse, contrebalancées par d’autres textes ; mais leur ensemble ne ressemble, ni de près, ni de loin, à la littérature philosophique du pessimisme ; car leurs auteurs sont inspirés ; ils ont la foi, et ceux qui croient se contentent finalement du monde, quel qu’il soit, dans lequel Dieu les a placés.

Il est encore évident que « pessimisme » et « optimisme » ne prennent une portée philosophique que lorsqu’il s’agit d’une vue générale et abstraite, non d’un jugement porté sur des situations concrètes. On peut croire que l’actuel problème du désarmement et de la paix universelle est insoluble, que la question sociale, telle qu’elle se pose dans l’Europe contemporaine, est sans issue, même que notre civilisation occidentale est à son déclin (Oswald Spengler), sans être pour cela pessimiste au sens philosophique.

On peut encore croire qu’actuellement le mal prédomine et rester plein d’espoir pour l’avenir. Les philosophies modernes du progrès sont optimistes, même si leur jugement sur la situation momentanée de l’humanité est nettement défavorable. Le fidèle peut se croire dans une « vallée de larmes » et être plein d’espoir pour la vie de l’au-delà ; on ne le qualifiera pas de pessimiste. Les religions, qui promettent le salut, supposent, par définition, un état plus ou moins déficient du temps présent. Et ceci est vrai tout particulièrement du christianisme.

Il est abusif de vouloir trancher le problème selon la prédominance du plaisir ou de la douleur. L’individu en juge d’après sa propre expérience ; comment voudrait-il avoir une vue fondée sur la prédominance du plaisir ou de la douleur dans l’ensemble de l’humanité ? On peut encore admettre la prédominance du plaisir ou de la douleur dans sa propre vie ou dans la vie d’un autre sans être pessimiste : on peut, en efïet, attendre de rigoureuses compensations dans une autre existence. Quant aux théories psychologiques qui admettent que le plaisir n’est qu’une absence de douleur, ou que la douleur n’est qu’une absence de plaisir, nous ne les discuterons pas. Comme tant de thèses de psychologie « expérimentale », ces théories sont des conséquences de présupposés métaphysiques inavoués. Mieux vaut alors discuter le problème métaphysique, comme on l’a fait ici aux articles Bien et Mal.

Il est finalement évident qu’ « optimisme » et « pessimisme » sont des termes relatifs, parce que « bien » et « mal », le sont aussi. Ce qui est un bien

pour l’un, peut être un mal pour l’autre ; l’appréciation dépend, en grande partie, du point de vue que l’on choisit. Il n’y a pas de doute, et Byron l’a exprimé d’une manière très forte, que pour un démon ou un damné le monde n’est pas bon. Démon ou damné voudraient que beaucoup de choses, qui sont, ne fussent pas, et que plusieurs choses fussent, lesquelles ne sont pas, dit saint Thomas, I a, q. lxiv, a. 3. Pour eux, il aurait mieux valu ne pas être né. Matth., xxvi, 24. Pour un croyant in statu viatoris, tout monde sera bon qui lui permettra de faire son salut. Mais une conception chrétienne, c’est-à-dire théocentrique, se placera au point de vue de Dieu, même si ce point de vue reste plein de mystères. Le monde sera bon, lorsqu’il correspondra exactement aux intentions de son divin auteur : Dieu étant très sage et tout-puissant, tout monde créé par lui correspondra à son intention et sera bon, très bon, » pour employer les termes de la Genèse. Dieu étant libre de choisir ses intentions, une infinité de mondes pourra correspondre à ses intentions, tous très bons, et, dans une pareille perspective, on ne voit pas même quel sens aurait l’idée du meilleur monde possible.

Pour compléter notre développement, résumons la doctrine que saint Thomas expose dans la Somme théol., l a, q. xxv : Dieu n’était pas obligé de créer le monde actuel ; sa sagesse n’est pas restreinte à un seul ordre de choses. Quelque chose qu’il ait faite, il peut toujours l’améliorer et il peut aussi en faire une autre meilleure. Mais il ne peut pas mieux faire ce qu’il fait ; car il le fait avec son entière sagesse et bonté. L’univers ne peut pas être meilleur qu’il n’est, à le supposer constitué par les choses actuelles : si l’une des choses qui le constituent était rendue meilleure isolément, l’ordre de l’ensemble serait troublé. Mais Dieu pourrait faire d’autres choses, ou ajouter à celles qu’il a faites, et nous aurions un univers meilleur (tr. Sertillanges).

Appréciation des systèmes.

1. Nous avons montré

autre part, art. Panthéisme, col. 1856, que l’optimisme absolu est apparenté au panthéisme : il met entre Dieu et son œuvre, d’une manière avouée ou inavouée, un lien nécessaire ; il enchaîne Dieu et tend à diviniser le monde tel qu’il est. Il se heurtera toujours au témoignage du réel : la réalité contient des biens et des maux ; une fruste et peu philosophique application du principe de causalité en tirerait aisément l’idée de deux auteurs qui se combattent, d’un auteur du bien et d’un auteur du mal. Le dualisme revient perpétuellement, dans la pensée persane, dans la gnose, dans le manichéisme, dans certain protestantisme moderne qui ne croit plus à la toute-puissance divine. A plus forte raison, on ne conçoit pas l’existence du pessimisme dans le monde le meilleur. Remarquons encore que l’optimisme ruine la distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel : l’incarnation, la grâce, la vision béatifique sont exigées par le meilleur plan du monde.

2. Il est plus difficile de se rendre compte de la portée métaphysique du pessimisme. Il implique que l’on nie toute cohésion et tout sens dans le monde, ou que l’on fait de son auteur un être impuissant ou mauvais. Alexandre Martin (dans Y Encyclopœdia de Hastings, t. ix, col 811) remarque avec raison qu’on ne peut échafauder aucune vue cohérente du monde sur la base de son irrationalité. Déclarer qu’il vaudrait mieux que rien ne soit revient à souhaiter le nonêtre. Pour des esprits habitués à l’identilication de l’être et du bien, une pareille position est à peine concevable. Saint Thomas enseigne que le non-être en lui-même n’est pas désirable ; il le peut être accidentellement, lorsqu’il détruit un mal que nous abhorrons ; mais nous n’abhorrons ce mal que par amour