Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/477

Cette page n’a pas encore été corrigée
939
940
PÉNITENCE, SOLUTIONS DÉFINITIVES, LA THÉOLOGIE


totale du péché ne saurait être obtenue sans le reeours aux clefs de l’Église. La difficulté est seulement d’expliquer comment jouent ces clefs ; de quelle manière, pour prendre un langage moins métaphorique, l’absolution contribue à l’effet total de la pénitence.

a) Les données du problème. — Pour résoudre la question posée, les auteurs du xiie siècle auraient pu demander des lumières aux données de la pratique, telles que les exprimaient, d’une part, les textes liturgiques, d’autre part, les canons relatifs à la pénitence.

En fait, ils ne paraissent pas avoir tablé beaucoup sur la première catégorie d’arguments. Pourtant, les formules qui se lisaient soit dans le pontifical, soit dans les divers ordines peenitenliie, étaient bien de nature à mettre en pleine lumière les effets de l’absolution sacramentelle. Ce que l’Église avait entendu faire dans le passé en réconciliant les pénitents publics, ce qu’elle prétendait accomplir dans le présent en accordant aux coupables, après aveu, l’absolution de leurs fautes, tout cela était clairement dit, en des formules bien frappées ; il n’y avait guère qu’à mettre en ligne les expressions liturgiques pour obtenir un enseignement très cohérent sur les effets propres de l’absolution. Voir ci-dessus, col. 905, les diverses idées que nous avons cherché à mettre en évidence. Sauf erreur, il ne nous semble pas que les théologiens scolastiques aient beaucoup exploité cette veine ; parmi les auctoritates qu’ils citent il en est peu qui soient empruntées aux documents liturgiques.

De leur côté, les textes canoniques, tout spécialement les décrétâtes des papes qui se sont multipliées, en matière pénitentielle, dans tout le cours du xiie siècle, étaient susceptibles d’éclairer la recherche. Tout particulièrement, on voyait s’y élaborer la doctrine de la juridiction, indispensable pour que la pénitence atteignît son effet ; que l’on songe seulement à la question de la réserve des péchés ; il y avait bien de quoi, en l’occurrence, susciter des réflexions sur la nature du pouvoir qui joue dans l’administration du sacrement. Or, malgré la pénétration très intime qui existe, jusqu’à la fin du siècle, entre théologie et droit canonique, on ne voit pas non plus que des considérations de ce genre aient beaucoup influé sur les théories. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que les compilations de décrétâtes ne commencent à paraître que tout à fait à la fin de cette période.

Par contre, les vieilles collections canoniques mises à la disposition de la théologie et dont le contenu s’était, en fin de compte, déversé dans le Décret de Gratien, faisaient une part considérable aux auctoritates tirées des Pères de l’Église. Or, ceux-ci, nous l’avons vii, s’ils avaient été très fermes dans leurs dires sur la nécessaire intervention de l’Église dans la remise du péché, avaient été moins clairs dans les explications qui justifiaient cette procédure. Depuis des siècles, les collections convoyaient les exégèses subtiles, un peu décevantes, des passages évangéliques sur la guérison des lépreux et la résurrection de Lazare ; cela n’était pas de nature à favoriser la clarté, et les théologiens du xiie siècle en seront plus gênés qu’aidés.

Or, eux-mêmes sont arrivés au stade où la dialectique a introduit l’amour des idées claires, des déductions logiques, des raisonnements équilibrés. La théologie ne saurait plus se contenter des idées quelque peu confuses que fournissaient les textes liturgiques ; d’autre part, pleine de respect pour les auctoritates, elle n’ose leur rompre en visière. On comprend dès lors les embarras où elle va se trouver engagée, et comment le xiie siècle n’aboutira sur le pointprécis qui nous occupe (et qui est, en fait, le point essentiel de la doctrine de la pénitence) qu’à des solutions contradictoires et insuffisantes.

b) Divers essais de solution. - Le péché ne peut être remis que par Dieu ; c’est la contrition (toujours considérée comme contrition parfaite) qui obtient de Dieu cette remise. Tous nos théologiens sont d’accord sur ces deux prémisses. Que reste-t-il pour l’absolution ? C’est ici qu’ils se séparent. En schématisant quelque peu, on les répartira en deux groupes, suivant qu’ils accordent au rite ecclésiastique une valeur plus OU moins grande. Pour les uns, chez qui la conception sacramentelle prend de plus en plus d’importance, l’absolution produit un effet très réel, distinct de celui que produit la contrition. Pour les autres, moins ancrés sur un concept précis des sacrements, la formule ecclésiastique n’est qu’une manifestation extérieure de l’effet intérieur produit antérieurement dans l’âme.

a. L’absolution produit un effet réel. — Nous commençons par cette opinion, bien qu’elle ne soit pas la première à se manifester. C’est Hugues de Saint-Victor qui l’a surtout mise en forme et, .par réaction, semblet-il, contre les théories minimisantes dont nous parlerons en second lieu. A SaintVictor, plus qu’ailleurs, on est persuadé que les sacrements (dont le concept reste encore un peu imprécis) opèrent une action intérieure. A rencontre de la tendance abélardienne, qui insiste avant tout sur le rôle des dispositions, on veut que le rite soit producteur des effets qu’il signifie. S’appliquant à la rémission des péchés, ce rite, qui signifie absoudre, délier, de quels liens entend-il débarrasser l’âme ?

Ces liens, créés par le péché, sont de deux sortes, dit Hugues : Vobduratio mentis d’une part (ou encore l’excœcatio, Y excommunicatio mentis), état que l’on peut considérer comme la mort de l’âme, d’autre part le debitum futuræ damnationis. Rien de plus simple que d’attribuer à chacun des deux facteurs qui interviennent dans le sacrement (l’action divine intérieure, le geste sacerdotal extérieur) un rôle dans la résolution de ce double lien. L’action divine délivre l’âme pécheresse de Vobduratio mentis, le geste sacerdotal de la peine éternelle. Ces deux actions sont successives et séparables. Seulement, on arrive à ce résultat surprenant que, si la contrition parfaite intervient avant réception de la pénitence, le pécheur, tout en étant revenu à la vie, ne laisse pas d’être toujours sous le coup de la damnation éternelle. Cette anomalie, qui nous paraît tout à fait déconcertante, ne devait pas choquer Hugues lequel n’opérait pas avec nos concepts de justification et de grâce sanctifiante, mais avec des concepts de gratia adveniens et de gratta coopérons qui ne recouvrent nullement nos idées actuelles. Le texte capital est De sacramentis, I. II, part. XIV, c. viii, P. L., t. clxxvi, col. 564-570 ; voir surtout col. 565 C.

La simplicité apparente de la théorie d’Hugues explique le succès qui lui a été fait au premier moment. Voir dans P. Schmoll, p. 53 sq., l’indication d’un certain nombre d’auteurs secondaires qui s’y rallient ou qui, du moins, la signalent. Même après que Pierre Lombard l’aura soumise à une critique serrée, elle sera reprise par l’héritier d’Hugues, Richard de Saint-Victor, quia consacré à la question un traité spécial : De potestate ligandi et solvendi. P. L., t. exevi, col. 1159 sq. Richard complique d’ailleurs la doctrine de son maître. Le premier lien, Vobligalio ad culpam, se dédouble en deux : le vinculum captivitatis et le vinculum servilulis, la captivité étant l’impossibilité de rien faire de bon, la servitude désignant l’inclination au mal ; Vobligatio ad pœnam se dédouble à son tour en un vinculum damnationis et un vinculum expiationis. Pour ce qui est de la première obligatio, elle ne peut être résolue que par Dieu seul ; c’est seulement au sens impropre que d’autres peuvent y avoir part, en intercédant pour le