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    1. PÉNITENCE##


PÉNITENCE, SOLUTIONS DÉFINITIVES, LA THÉOLOGIE

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nécessité, pour être pardonné, de soumettre ses fautes, par la confession, au pouvoir de l’Église. Donc, tout ce que l’on peut tirer des règles pratiques en faveur du caractère indispensable de l’aveu, et, comme diront les théologiens ultérieurs, de sa nécessité de droit divin (dans les conditions normales), tout cela est encore implicite et demandera quelques discussions pour se clarifier. Ces discussions ont rempli tout le xii c siècle, et c’est le traité de la pénitence inséré par Gratien dans le Décret, ci-dessus, col. 902, qui nous montre au mieux, avec quelle vivacité elles ont été conduites. On a dit avec quelle netteté Gratien pose la question. Ulrum sala cordis cunlritione, absque oris con/essione, quisqiie possit Deu salis/acere ? Ce serait, à notre avis, énerver le sens de toute cette question m de la cause XXXIII, que de la présenter simplement comme un débat théorique sur l’action respective, dans la rémission du péché, du repentir, d’une part, de l’intervention ecclésiastique, d’autre part. (Sur ce problème littéraire, voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, p. 307, note 4, où l’on trouvera la liste des auteurs qui en ont traité en des sens divers.) Il nous paraît bien que le maître bolonais entend résumer un débat plus profond ; ce n’est pas seulement la question de théologie susénoncée qu’il discute ; à côté de celle-ci, qui est certainement visée, une question de dogme se pose : l’aveu des fautes est-il de droit divin ordonné à la rémission des péchés ? Le fait qu’il conclut par un non liquet, en déclarant que, des deux opinions en présence, l’une et l’autre a pour elle des auteurs de valeur, De pœnit., dist. I, c. 89, Dict. Grat., ne doit pas nous émouvoir. Saint Thomas ne s’en scandalisait pas ; il déclarait seulement que l’opinion qui ne fait pas de l’aveu des fautes un moyen indispensable de pardon serait, à son époque, une hérésie, mais qu’antérieurement aux définitions de l’Église (il compte pour telle la décrétale Omnis utriusque sexus) elle a pu être soutenue de bonne foi. Pour apprécier d’ailleurs la nature de la question débattue par Gratien, il n’est que de se reporter au canon 90 qui termine la discussion. Le texte est donné par notre auteur comme de Théodore de Cantorbéry ; en réalité, il est emprunté par des intermédiaires au can. 33 du concile de Chalon (813) ; voir ci-dessus, col. 865. En voici le texte intégral (nous mettons entre crochets les mots qui ne sont pas dans le texte conciliaire ; ils étaient déjà dans Burchard, t. XIX, n. 145, où Gratien a pris sa citation) :

Quidam Deo solummodo eonfiteri debere peccata dicunt [ut Gra ; ci ]. Quidam vero sacerdotibus confitenda esse percensent [ut fere tola sancta Ecclesia]. Quod utrumque non sine rrtagno fructu intra sanctam fit F.cclesiam, ita dumtaxat ut Deo qui remissor est peccatorum peccata nostra confiteamur [et hoc perfectorum est], et cum David dicamus : « Delictum meum cognitum tibi feci et injustitiam meam non abscondi. Dixi : confitebor adversum me injustitiam meam Domino et tu remisisti impietatem peccati mei. » Sed tamen Apostoli institutio nobis sequenda est, ut confiteamur alterutrum peccata nostra et oremus pro invicem ut salvemur. (.Se rappeler que, dès l’époque carolingienne, ce texte était invoqué pour appuyer la nécessité de précepte de la confession ecclésiastique.) Confessio itaque qua ; [soli ] Deo fit [quod justorum est] purgat peccata. Ea vero quae sacerdoti fit docet qualiter ipsa purgentur peccata. Deus namque, salutis et sanctitatis auctor et largitor plerumque (traduire : tantôt) præbet hanc suai preiiitentiæ medicinam invisibili administratione, plerumque (tantôt) medicorum operatione.

Il faudrait bien des pages pour gloser ce texte et pour faire valoir la portée des additions faites au libellé du concile ; disons simplement que l’on y mettrait un peu de clarté en y introduisant la distinction plus récente de nécessité de moyen et de nécessité de précepte. De soi, semble dire le texte (et Gratien se rallie pensons-nous à cette idée), de soi la contrition intérieure qui

| avoue les fautes à Dieu suflit pour obtenir le pardon Mais, puisqu’il existe un précepte apostolique imposant l’aveu extérieur (il s’agit certainement de l’aveu au prêtre), il faut s’y conformer. Cette démarche est d’ailleurs extrêmement profitable. — Il s’agit donc bien ici du problème dogmatique, et non pas seule ment du problème théologique. Les correctores romani en ont eu d’ailleurs l’intuition. Voir leur note au can. 89.

Aussi bien, au moment où Gratien y touchait, le double problème n’était plus nouveau, encore que les distinctions indispensables n’aient encore été qu’imparfaitement faites. Il est très facile de distinguer dans la première moitié du xiie siècle un double courant.

Le premier dérive en droite ligne de Bède et d’AIcuin : il est pour la nécessité de l’aveu extérieur. Il s’est affirmé avec une force non pareille dans le De vera et falsa pœnitenlia, et, dans ce dernier ouvrage, il a même esquissé une précision de la plus haute importance : en affirmant qu’en cas d’urgence le pécheur doit confesser ses fautes graves, même à un laïque, pseudo-Augustin enseigne, d’une manière encore confuse, reconnaissable néanmoins, l’absolue nécessité de l’aveu oral. A lire ses développements, il semblerait que, si la confession ne rencontre pas une oreille humaine pour la recevoir. Les chances du pardon divin sont infiniment diminuées. Des précisions ultérieures seront données sur la façon dont opère cette confession à des laïques ; elles seront, les unes plus, les autres moins, dans la ligne des idées de pseudo-Augustin. Mais on ne se tromperait guère, pensons-nous, en disant que celui-ci mettait un lien quasi nécessaire entre rémission et aveu. C’est une idée très analogue qui se retrouve dans Godefroy de Vendôme, col. 911, dans Hugues de Saint-Victor, col. 915, et les traités qui sont apparentés, de près ou de loin. à la Summa de sacramentis. — En s’en faisant l’écho. Pierre Lombard lui assurera un succès éclatant. Bien que son idée de fond ne soit pas absolument claire, il tranche le débat sur la nécessité de la confession avec une netteté qui contraste avec les hésitations de Gratien. Voir IV Sent., dist. XVII, c. i, ii, iii, iv. Cette décision, que le Lombard n’a pas toujours, est d’autant plus significative qu’il a certainement lu Gratien avant de rédiger lui-même son exposé ; du moine bolonais, il reproduit les textes les plus caractéristiques, mais il conclut par ce prononcé très ferme que l’on opposera a celui de Gratien donné à la col. 902 : « De tous ces textes, et d’autres encore, il ressort avec évidence que la confession doit être faite à Dieu d’abord et ensuite au prêtre, et qu’il n’y a pas possibilité d’entrer sans cela en paradis, si on a la possibilité de recourir au prêtre. » Dist. XVII, c. iii, conclusion. Quant à la confession aux laïques des péchés graves en l’absence de prêtre, le Lombard semble la considérer comme nécessaire : Sed et graviora cowqualibus pandenda surit, cum deest sacerdos et urgel periculum. Ibid., c. iv, concl. — De cette nécessité d’un aveu extérieur pour la rémission du péché, les remarques que nous avons faites ci-dessus sur les textes liturgiques et spécialement sur la confession générale, voir col. 924 sq., constituent un abondant témoignage.

Mais, en face de ce groupe, qui est incontestable ment le plus nombreux, il y avait certainement des opposants, au moins théoriques ; l’argumentation d’Anselme de Laon, Sent., p. 124, l’insistance de pseudo-Augustin ne se comprendraient pas, s’il n’y avait pas eu, dans cette affaire, une résistance à vaincre. El c’est pourquoi il est regrettable que nous soyons si mal renseignés sur ce maître Guillaume à qui en a Godefroy de Vendôme, col. 911. Abélard est fréquemment cité comme un de ces opposants. Que dans le Sic et non, c. cli, il oppose les unes aux autres les « autorités » sur cette question : « Le péché peut-il être remis sans con-