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PÉNITENCK. SOLUTIONS DÉFINITIVES, LA PRATIQ1 E


Sans vouloir tirer de cette constatation aucune conséquence prématurée, il y avait intérêt à la faire.

Les collections canoniques, qui craignent moins que les livres liturgiques de s’embarrasser de textes inutiles ou tombés en désuétude, fournissent, elles aussi, un témoignage de la persistance de l’antique discipline pénitentielle. Bien entendu, les textes tout voisins de l’âge carolingien, Libri synodales de Réginon, Capitulare d’Alton de Verceil, Synodica de Rathier de Vérone, nous laissent encore l’impression que l’action des proceres ecclésiastiques du ixe siècle a continué à porter quelque fruit. La préoccupation de la pénitence publique s’atténue très évidemment dans le Décret de Burchard, qui vise surtout la pénitence secrète ; mais nous avons dit comment les réformateurs de la période grégorienne, et tout particulièrement Anselme de Lucques, au contact des textes canoniques de l’antiquité, avaient été amenés à fixer leur attention sur la vieille institution pénitentielle, sa nature, ses effets. Héritier de tous ces prédécesseurs, Gratien ne pouvait manquer de recueillir leurs vues. A la vérité, sa distinction entre pénitence privée et pénitence publique n’intervient guère que comme un obiler dictum, c’est la discipline privée que vise, avant tout, le traité De pœnitentia intercalé dans la IIe partie du Décret. Le fait que toute l’attention du moine bolonais se concentre sur ce que nous pouvons appeler la confession auriculaire nous est, sans doute, un témoin de l’état de choses qui existait de son temps. La « confession » a envahi la plus grande partie du domaine de la pénitence. Mais il reste encore une place, de plus en plus restreinte, il est vrai, pour la vieille discipline.

C’est la même impression que donnent les premiers théologiens qui sont d’ailleurs à peu près contemporains de Gratien. La Summa sententiarum d’Hugues de Mortagne, en dépendance de Pierre Lombard, exprime là-dessus un jugement qu’il faut transcrire, parce qu’on le retrouvera désormais dans un grand nombre d’auteurs et qu’il finira par se fixer dans les classiques du xme siècle. Comme dans Gratien, comme dans les autres canonistes ou théologiens, la question vient à propos des textes patristiques proclamant qu’il n’existe qu’une seule pénitence, comme il n’existe qu’un seul baptême : Quod dicil Ambrosius, dictum est de solemni pœnitentia… Solemnis pœnitentia dicitur quæ fil in manifesto extra ecclesiam (allusion vraisemblable à la cérémonie de l’expulsion des pénitents), scilicel quæ de gravibus peccatis lantum injungitur et de iis qui manifeste Ecclesiam lœserunt. Et olim Ma pœnitentia non iterabatur et adhuc quidem in quibusdam ecclesiis hoc servatur pro reverentia sacramenti ; nec injungitur Ma solemnis pœnitentia iterum criminaliter peccanti, sed datur aliquod consilium. Tr. VI, c. xii, P. L., t. clxxvi, col. 150. Cf. Pierre Lombard, Sent., t. IV, dist. XIV, c. m. Mêmes idées et expressions presque identiques dans Pierre de Poitiers. Sent., t. III, c. xvi, P. L., t. ccxi, col. 1072.

On remarquera que Gratien, dist. L, c. 61, dict. Grat., tout comme Pierre Lombard, Hugues et Pierre de Poitiers, désigne la pénitence en question par l’épithète desolemnis. Cette pénitence solennelle correspond-elle exactement à ce que nous avons jusqu’à présent décrit sous le nom de pénitence publique ? A en juger par les précisions de nos auteurs, la chose apparaît infiniment vraisemblable. Mais il est remarquable que l’on voie apparaître, vers la fin du xiie siècle, une distinction non plus dichotomique, mais trichotomique, comme l’a très bien vu Morin, op. cit., t. V, c. xxv, p. 320. Alain de Lille l’exprime avec clarté, encore que son explication ne vaille pas grand’chose : remarquant les divergences entre la gravité des peines qui existent dans les pénitentiels (lointain vestige des collections tripartites), il ajoute : C.um ergo in pœnalibus reperiatur

pœnarum pro simili peccato diversitas, intelligimus illam diversitalem secundum quod uni solemnis, alii piuvata, alii PUBLICA injungitur pœnitentia. Et, au début du même développement, il donne une définition de la pœnitentia privata : c’est celle qui pro minoribus et occultis peccatis infligitur. Liber pœnit., P. L., t. ccx, col. 297. Alain ne définit malheureusement pas de manière explicite le ressort des deux autres pénitences qu’il reconnaît, la solennelle et la publique. S’il était permis de prolonger sa définition précédente, on aboutirait sans doute à quelque chose comme ceci : la pénitence publique s’applique à des fautes graves, plus ou moins publiques ; la solennelle, à des fautes très graves et publiques.

Morin, loc. cit., allègue, en effet, un passage du pénitentiel de Robert de Flamesbury (composé entre 1207 et 1215) cf. col. 903, qui distingue très expressément, sinon le ressort, du moins les rites de ces trois divisions : Pœnitentia alia solemnis, alia publica, alia privata. Solemnis est quæ fit in capite jejunii, quoniam cum solemnilale in cinere et cilicio ejiciuntur pœnitentes ab ecclesia. Hœc enim est publica quia publiée fit. Publica et non solemnis est quæ fil in facie ecclesiæ sine supradicta solemnitate, ut peregrinatio. Privata est Ma quæ quolidie fil privalim coram sacerdole. La pénitence solennelle, continue-t-il, ne peut être imposée que par l’évêque ou son délégué ; la publique et la privée sont du ressort du simple prêtre qui peut les administrer à n’importe quel moment. Les précisions que donne ensuite Robert sur la pénitence solennelle ne laissent aucun doute sur son identité : on ne l’impose pas aux clercs ; elle constitue une irrégularité pour la réception des ordres ; on ne peut la réitérer ; on ne peut contracter mariage après l’avoir reçue ; elle oblige à renoncer au service militaire et aux affaires séculières. Il est de toute évidence que nous avons affaire ici avec la vieille pénitence canonique, celle que nous avons toujours appelée jusqu’à présent la pénitence publique.

Mais qu’est-ce donc, en ces conditions, que la pénitence publique que nos auteurs, suivis plus tard par les grands scolastiques, distinguent de celle-ci ? Un autre passage du même pénitentiel va nous éclairer. Cité dans Jacques Petit, Theodori pœnitentiale, t. i, Paris, 1677, p. 346. Robert prévient le simple prêtre que, dans les indications relatives aux pénitences qu’il va lire en son manuel, quamplures subscriptæ sunt pœnitentiæ publicæ vel solemnes. Pour une faute occulte le confesseur ne devra j amais imposer une pénitence publique ou solennelle, ce qui serait, en somme, publier la faute du pécheur. Dès lors, si la faute ainsi avouée est de nature telle qu’elle mériterait, en cas de publicité, une satisfaction publique ou solennelle, le prêtre doit enlever à la peine qu’il inflige tout caractère de publicité. L’exemple pris tout à l’heure par Robert permettra de préciser son idée. Une pénitence courante à l’époque, c’est le pèlerinage. Une telle démarche, de sa nature, ne peut passer inaperçue, mais rien n’indique nécessairement qu’elle soit une pénitence : on faisait des pèlerinages pour beaucoup d’autres raisons. Pour que la peregrinatio puisse être considérée comme une satisfaction publique, il faut qu’elle soit environnée de circonstances qui révèlent son caractère de pénitence : cérémonie publique au départ, détails du costume, de l’équipement, etc. C’est cette publicité que le confesseur devra éviter, au cas où il imposerait le pèlerinage comme pénitence d’une faute secrète ; il ferait bien, en imposant des satisfactions moins voyantes, de ménager la renommée de son client. Nous ne croyons pas avoir trop défiguré, par ces gloses, la pensée de Robert, qui n’est pas absolument limpide. On trouverait presque les mêmes expressions dans la Summula fratris Conradi, qui est