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PÉNITENCE. LE Ilie SIÈCLE, LA PRATIQUE


dispersion du novatianisme, les Pseudo-Clémentines, d’une part, la Didascalie syriaque, de l’autre, représentent assez bien deux tendances qui se combattent dans l’Église vers le milieu du n i c siècle. Voir ci-dessus, col. 771 qs.

Telles sont les conditions générales qu’il ne faut jamais perdre de vue quand on cherche à se représenter ce qu’élait la pratique pénitentielle au cours du iiie siècle.

2° La pratique de la pénitence à Carthage vers le milieu du IIIe siècle. — 1. Existence d’une institution pénitentielle. — Les textes émanés de saint Cyprien nous font assez clairement apercevoir le fonctionnement d’une institution pénitentielle, destinée à réconcilier à l’Église (et par là même à Dieu) le pénitent qu’une faute (même secrète) a fait bannir provisoirement de la participation intégrale à la vie de la communauté et exclure spécialement de la liturgie eucharistique. Cette institution est régie, à Carthage, par un droit coutumier, qui, pour n’être pas absolument identique à celui des Églises voisines, ne laisse pas d’avoir quelque ressemblance avec le leur : quand il s’agira d’y toucher, on ne jugera pas inutile de s’entendre avec celles-ci. Par exemple, Carthage entre en relation à ce sujet avec l’Église de Rome ; dans un synode local, Cyprien s’efforce d’arriver à l’uniformité au moins en Afrique, et l’idéal serait, à son avis, que, dans les diverses régions, les évêques agissent de même.

Il est malaisé de dire quand a débuté cet embryon de codification et ce qu’il fut à l’origine. Cinquante ans plus tôt, Tertullien en connaissait déjà les grandes lignes ; si Hippolyte s’insurge, vers 235, contre certaines pratiques du pape Calliste, c’est qu’elles lui apparaissent aller à rencontre du droit traditionnel ; autant en dira-t-on d’Origène à Alexandrie, puis à Césarée.

En définitive, si, au cours du iie siècle, nous n’avons pu trouver d’indications certaines sur la réconciliation des baptisés coupables de fautes graves, si, à l’époque d’Hermas, les « docteurs » peuvent encore discuter sur l’existence d’une « rémission des péchés » postérieure au baptême, au moment où nous sommes arrivés la question ne se pose plus. Il y a une institution pénitentielle, dont le fonctionnement rappelle un peu celui d’un tribunal, dont les effets, dès lors, sont d’abord extérieurs, quoi qu’il en soit des répercussions intérieures que ceux-ci peuvent avoir. — De ce tribunal, considérons successivement les justiciables et la procédure, après quoi se posera la question des péchés irrémissibles.

2. Les justiciables.

Ce sont exclusivement les

chrétiens baptisés : les catéchumènes ressortissent à une autre juridiction. Ce sont les baptisés coupables de fautes graves : les fautes légères n’entrent pas en ligne de compte, elles sont affaire exclusive entre le pécheur et Dieu ; elles s’expient par la prière, le jeûne, l’aumône. A cette dernière surtout, on attribue une valeur toute spéciale.

La difficulté commence quand il s’agit de dresser le catalogue de ce qui est réputé péché grave et de ce qui est considéré comme faute légère. Il n’y a pas d’hésitation sur certains péchés : idolâtrie caractérisée, attentat à la vie du prochain (y compris l’avortement), fautes de la chair, voici un premier groupe. Viennent ensuite les attentats à la propriété d’autrui, qu’il s’agisse de vol proprement dit ou simplement de fraude, d’usure ou d’injustice, les haines permanentes, surtout quand elles s’accompagnent de colère ou de malédictions, les serments téméraires, à plus forte raison les faux serments. Voir le De lapsis, c. vi. Et puis des fautes qui sont plus ou moins sur la limite des premières : sur les frontières de l’idolâtrie, Tertullien signalait toutes ces compromissions que rendaient

parfois inévitables la vie commune avec les païens et la participation aux divertissements publics, cf. De spectaculis ; sur les frontières de l’adultère, ces désirs de plaire, de se faire aimer qui amènent hommes ou femmes à des manèges de coquetterie ; Cyprien n’est pas tendre non plus pour tout cela, ibid. ; sur les frontières du vol et de l’injustice, l’âpre désir du gain se traduisant, même chez des évêques, par l’empressement aux marchés et aux foires. Nous n’entendons pas dire que chacune de ces dernières fautes fût considérée comme justiciable de la pénitence canonique. Du moins, avons-nous ici des indications qui ne sauraient être méprisées. Qui commet ces diverses fautes, surtout de façon habituelle, ne peut plus être considéré comme un bon chrétien.

Or, de deux choses l’une : ces fautes sont publiques ou elles sont secrètes. De leur nature, la plupart de celles que nous avons signalées ne peuvent guère échapper à l’attention, surtout dans des communautés assez restreintes, où tout le monde se connaît et où l’on vit un peu les uns sur les autres. (Que l’on songe à un couvent d’aujourd’hui et à la pratique de la coulpe. A la vérité, cette dernière se restreint maintenant aux manquements extérieurs à la règle religieuse, mais il n’en a pas toujours été ainsi.) En dénonçant à l’autorité ecclésiastique ceux des frères qu’ils savaient coupables des fautes ci-dessus énoncées, les membres de la communauté ne faisaient, somme toute, que mettre en pratique le Die Ecclesiæ de l’Évangile. (Ces manières de procéder se rencontraient encore dans des communautés quelque peu restreintes de dissenlers anglais au début du siècle dernier. Que l’on se rappelle Silas Marner de George Elliott.) N’en jugeons point d’après nos habitudes d’aujourd’hui ; en esquissant un peu plus loin les théories sous-jacentes à la pratique que nous décrivons, nous ferons remarquer l’importance de l’idée que la participation d’un pécheur aux mystères souille la communauté. Tout membre de l’Église est intéressé à ce que « son sacrifice soit pur », comme disait déjà la Didachè.

Mais il importe peu aux yeux de Dieu que la faute de l’indigne communiant soit secrète ou publique. Les fidèles entendaient assez fréquemment rappeler le probel seipsum homo de l’Apôtre, pour se rendre compte du crime commis par eux quand ils participaient, souillés d’une faute grave, même secrète, à la synaxe eucharistique. Voir l’épisode de Rufine, dans les Actes de Pierre, ci-dessus, col. 771. De là l’idée qu’ils devaient se ségréger d’eux-mêmes. Cette ségrégation pouvait attirer l’attention ; le plus court et le plus rassurant aussi, c’était encore, pour les coupables, d’aller se dénoncer eux-mêmes à l’autorité ecclésiastique. Sur cet aveu de fautes secrètes, nous avons le témoi gnage très explicite de saint Cyprien. Aux lapsi orgueilleux et impatients, il oppose l’attitude d’autres chrétiens qui, pour avoir simplement entretenu la pensée de l’apostasie, sont venus s’accuser : Quanlo et fide majores et timoré meliores sunt qui, quamvis nullo sacrificii aul libelli facinore constricti, quoniam (amen de hoc vel cogiiaverun(, hoc ipsum apud sacerdoies Dei dolenler et simpliciter confitentes, exomologesim conscientiee faciunt, animi sui pondus exponunl, salutarem medelam parvis licet et modicis vulneribus exquirunt, scientes scriptum esse : Deus non irridetur. De lapsis, c. xxviii. Dans le même traité, Cyprien raconte avec complaisance un certain nombre d’accidents arrivés à des chrétiens qui, croyant leur faute ignorée des hommes, s’étaient approchés en mauvais état de conscience de la table eucharistique. Ibid., c. xxvi. Illustration des mots de saint Paul sur le danger même corporel à quoi s’expose l’indigne communiant, les récits de Cyprien sont en même temps un avertissement, aux coupables demeurés cachés, de mettre en règle leur conscience :