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PEINES ECCLÉSIASTIQUES. LÉGITIMITÉ


dans la langue usuelle, un sens générique, et désigne un triple droit ou une triple action de l’autorité légitime : 1° d’abord le droit d’obliger, de contraindre, les sujets même récalcitrants à observer la loi : c’est, à proprement et strictement parler, la potestas coætiva ; 2° celui d’arrêter, d’empêcher, cohibendi, coercendi, les violateurs actuels de poursuivre leurs méfaits : » olestas eoercitiva ; 3° enfin, le pouvoir de punir, puniendi, panas infligendi, ceux qui, déjà effectivement, ont commis quelque crime ou délit : potestas punitiva.

Dans la pratique, ces trois expressions sont souvent employées comme synonymes ; ainsi le Code, au canon cité, se sert des deux mots coercendi pœnis pour désigner le pouvoir coercitif en général. Il est logique d’ailleurs que l’Église, qui s’attribue le droit de punir les délinquants, puisse au même litre employer la contrainte pour prévenir ou arrêter les infractions à ses lois. Les raisons apportées pour établir la légitimité des peines ecclésiastiques vaudront donc pour justifier l’existence de son pouvoir coercitif, entendu au sens large. Nous allons étudier successivement les preuves à priori de l’existence dans l’Église de ce pouvoir et retracer rapidement l’histoire de ce pouvoir.

1° Preuves à priori de l’existence du pouvoir coercitif. — 1. C’est un droit qui appartient nécessairement à toute société parfaite, vis-à-vis de ses sujets. En effet, la société parfaite, se suffisant à elle-même, doit être pourvue de tous les pouvoirs nécessaires à l’obtention de sa fin. Or, la fin d’une société est obtenue, lorsque les citoyens emploient librement et spontanément les moyens aptes à y conduire. Mais, quand la bonne volonté fait défaut chez les sujets, il n’y aura d’autre ressource que celle d’user à leur égard de la contrainte physique pour les amener à la poursuite du bien commun. A noter que contrainte « physique » n’est pas synonyme de contrainte « corporelle » ; elle s’oppose à la contraintemorale, qui réside dans une obligation clairement perçue, mais à laquelle la volonté peut résister. La contrainte physique, qui peut être matérielle ou spirituelle, consiste dans une force extérieure, sociale, à laquelle la volonté ne peut résister, capable par conséquent d’obtenir son effet malgré le sujet récalcitrant. Grâce à cette coaction extérieure, les moyens aptes à l’obtention de la fin sont mis en œuvre, les obstacles sont écartés et l’ordre social réparé ; cette puissance apporte, d’autre part, une aide efficace à la volonté parfois défaillante des sujets, tant par la crainte salutaire des peines dont elle les menace, que par la dure expérience qu’en ont faite les délinquants.

L’Église, société parfaite, ne peut pas être dépourvue d’un moyen si indispensable en même temps que si efficace pour l’obtention de sa fin. Et qu’on ne dise pas que ce pouvoir de coercition physique répugne à sa nature de société spirituelle, et que seuls les moyens de contrainte morale lui conviennent et lui suffisent.

— L’Église, bien qu’ayant une fin spirituelle, reste composée d’hommes et non de purs esprits ; elle doit donc pouvoir agir sur eux de façon efficace, par des moyens proportionnés à leur nature. Or, vu la fragilité aussi bien que la malice humaines, les remèdes spirituels restent souvent inopérants, s’ils ne sont aidés par quelque pénalité temporelle, plus apte à toucher les individus pervers devenus insensibles aux sanctions spirituelles.

2. On peut ajouter, à titre de confirmation, que le pouvoir coercitif est la conséquence logique et nécessaire des pouvoirs législatif et judiciaire. Sans le premier, les deux autres perdent toute efficacité pratique, caries sujets auront toujours la possibilité de mépriser les lois et les décisions de l’autorité, ce qui mettrait en péril le bien commun et l’obtention de

la fin MCiale. Or, l’Église, de par sa divine constitution, possède indubitablement la puissance législative, voir Êglisi :. col. 2200-2207, et judiciaire, voir Procès ECCLÉSIASTIQUES. La sagesse divine a donc, indubitablement, dû pourvoira ce que ces deux attributs ne restent pas illusoires et inefficaces ; c’est pourquoi l’Église doit nécessairement, et à priori, posséder le pouvoir coercitif. Ce qui va, en outre, être établi à posteriori.

2° Preuves à posteriori, ou histoire sommaire du pouvoir coercilif. — 1. Dans l’Évangile. — a) En conférant à ses apôtres le pouvoir des clefs, le Christ a dû y inclure, sans aucun doute, le droit de coaction ou de coercition envers les fidèles délinquants ou rebelles. La formule dont il se sert est, en effet, universelle, sans exception ni limite : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux. » Matth., xvi, 19. Si le pouvoir de délier ne s’exerce normalement qu’à l’égard des sujets qui y consentent, il semble bien que le pouvoir de lier puisse atteindre même ceux qui refusent et s’y opposent ; lier indique une certaine contrainte, une force qui resserre ; même les récalcitrants peuvent être liés, obligés. Or, contraindre les rebelles, forcer ceux qui refusent d’obéir, c’est proprement le pouvoir coactif.

b) Mais l’Église peut aller plus loin ; en vertu même des paroles du Maître, elle peut user de sanctions à l’égard des contumaces, de ceux qui persistent dans la faute ou la rébellion ; elle peut aller jusqu’à les retrancher de son sein, les excommunier : Si Ecclesiam non audieril, sit tibi sicut ethnicus et publicanus. Matth., xviii, 17. La peine est grave, elle atteint l’homme tout entier, corps et âme, ainsi que le note le pape Jean XXII, commentant ce passage de saint Matthieu : « Il est clair, dit-il, que, si quelqu’un a injustement causé un dommage au prochain, et que. repris par l’Église, il refuse de s’amender, celle-ci. en vertu des pouvoirs qu’elle a reçus du Christ, peut l’y contraindre par une sentence d’excommunication, ce qui est de son pouvoir coercitif. Et, à ce propos, il faut noter que l’excommunication majeure n’écarte pas seulement celui qu’elle frappe de la réception des sacrements, mais elle l’exclut même de la communion des fidèles, ce qui est une punition corporelle, permise par le Christ à l’Église. » Constit. Licet juxla doctrinam, 23 oct. 1327.

2. L’enseignement et la pratique des apôtres.

Dans ses écrits, saint Paul enseigne clairement qu’il faut reprendre, corriger, punir ceux des chrétiens qui s’obstinent dans la désobéissance ou l’erreur : Si quis non obedit verbo nostro per epistolam, hune nolate, et ne commisceamini cum illo. II Thés., ni, 14.

De ce pouvoir de coercition, il note les différents degrés : a) il recommande à son disciple Timothée de reprendre ouvertement les délinquants tant pour leur bien personnel que pour l’exemple donné aux autres : Peccantes coram omnibus argue, ut et cæleri timorem habeant, I Tim., v, 20 ; c’est le 1 er degré, la monition ou avertissement énergique de s’amender, mais sans plus. — b) Paul va plus loin, il menace les rebelles de ses sévérités, au nom du pouvoir qu’il a reçu de Dieu ; Hœc absens scribo, ut non præsens durius agam, secundum potestatem quam Dominus dédit mihi in eedificationem et non in destructionem. II Cor., xiii, 10. En face de l’exaltation orgueilleuse de certains Corinthiens, il se demande avec quel esprit il devra aller à eux. I Cor., x, 6. — Devant la contumace des délinquants, il inviteles préposés de cette même Église à tirer prompte vengeance de toute désobéissance : In promplu habentes ulcisci omnem inobedientiam. II Cor., x, 6. Lui-même n’y manquera pas lorsqu’il viendra. II Cor., xiii, 1-2.