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PÉCHÉ ORIGINEL. CONSÉQUENCES


plus forte raison, aidée des secours extra-naturels qui jamais ne lui ont manqué, voit-elle ses facultés de développement et de progrès s’augmenter. Une vue réelle des forces complètes de l’humanité déchue ne permet pas de parler sans réserve de dégénérescence progressive et continue à son endroit. Elle nous invite, au contraire, à voir l’humanité toujours dirigée et protégée par Dieu, reprendre sa marche en avant. D’Adam jusqu’au Christ, deux ferments de progrès travaillent au sein de l’humanité déchue, d’une part, l’intervention constante de Dieu dans les choses d’icibas, une pédagogie divine multiforme qui prépare lentement les âmes à recevoir le don unique de l’incarnation ; d’autre part, l’élan ascensionnel vers le mieux qui travaille toujours l’humanité. De la collaboration de la Providence, d’une part, qui utilise les causes secondes, et les expériences de l’humanité, et qui, par son action prophétique, tourne les âmes vers un meilleur avenir religieux, en leur confiant les promesses d’avenir, et, d’autre part, des forces spirituelles qui restent en l’humanité déchue, résulte une évolution lente, qui n’est pas certes exempte d’immobilité et de recul, mais qui, somme toute, avance vers un idéal religieux plus parfait. C’est ainsi que l’on voit, à travers les âges, certains peuples primitifs se conserver à l’abri des dégénérescences occasionnées par les excès de la culture matérielle dans une supériorité religieuse relative, les peuples civilisés progresser, les uns, dans la conscience du péché (les Sémites), les autres, dans la conception des exigences de la justice divine en une vie d’outre-tornbe (les Perses, les Égyptiens), d’autres (les Grecs), dans l’éclaircissement des notions métaphysiques et morales les plus nécessaires à l’humanité. C’est ainsi que les Juifs apparaissent spécialement constitués par une Providence surnaturelle au milieu des ténèbres, des erreurs et des turpitudes de l’humanité déchue, pour l’aider à recevoir le Christ. Avec le don du Christ et de son Esprit vivant dans l’Église est déposé, au sein de l’humanité déchue, un principe de vie et de progrès qui doit entraîner les âmes de bonne volonté à la perfection spirituelle d’une vie de foi et de charité, en attendant la béatitude surnaturelle.

Augustin, le docteur de la déchéance humaine, avait reconnu ces restes de grandeur dans l’humanité après le péché ; il avait célébré cette race humaine dont la fécondité demeure telle qu’elle couvre la terre entière, cet homme déchu dont l’intelligence, assoupie chez l’enfant, s’éveille progressivement et se développe, au point d’engendrer ces arts où, dans la super flui té même, éclatent les splendeurs de l’intelligence et de la raison ; il admirait le bien qui reste en une telle nature, pour qu’elle ait inventé les techniques du vêtement, de l’agriculture, de l’industrie et de la navigation, pour qu’elle ait constitue l’art du langage, la poésie, la musique, et cet te science de la morale qui la remet sur la voie de ses destinées éternelles. Et. Gilsnn, op. cit., p. 127. Il magnifiait surtout les splendeurs que met dans cette âme déchue les illuminations et les forces de la grâce, et les richesses de l’espérance chrétienne.

Avec un sens plus grand encore de l’esprit évolutif de la nature humaine, avec une meilleure connaissance des étapes historiques, des immobilités, des tâtonnements, des reculs et des mouvement ! en avant de l’humanité décime, le théologien moderne s’efforce actuellement de prendre une conscience plus nuancée

des forces ascensionnelles, aussi bien que des capacités

de dégénérescence de l’humanité déchue. Voir lei

essais <ie. Sriimidt, Origine et évolution de la religion ; I. Paquier, L</ création ell évolution, p. 276 355. Cett< conscb iiie plus vive « le la complexité de l’étal de l’humanité décime emporte un langage plus nuancé pour, i. voir.1. V. Balnvel, op

p. 7.

Au fait, actuellement, entre chrétiens et non chrétiens, « il ne s’agit pas de savoir si la nature est bonne ou mauvaise, mais de savoir si elle se suffit et si elle suffit. Le témoignage et, l’on peut ajouter, l’expérience séculaire du christianisme, c’est que la nature elle-même ne réussit pas à se réaliser, ni à se maintenir comme telle lorsqu’elle prétend se passer de la grâce. » Et. Gilson, L’esprit de la philosophie méd., p. 181. Le mot qui caractérise le mieux l’état de l’humanité déchue est celui d’une insuffisance absolue à réaliser par elle-même la fin surnaturelle à laquelle elle est destinée, d’une insuffisance relative à réaliser son plein développement, même humain.

2. Fondement de cette doctrine.

Elle a son fondement scripturaire dans les récits de la Genèse et les thèses de l’épître aux Romains sur la misère physique et morale (mort et concupiscence) et sur la nécessité de la grâce pour devenir un « homme spirituel parfait ». Les Pères grecs ont insisté surtout sur la mortalité, les latins sur la concupiscence ; la scolastique a fait la synthèse de cette doctrine à la lumière de la distinction du naturel et du surnaturel.

3. Cohérence de celle doctrine, d’une part avec les enseignements de la foi sur la destinée humaine et les attributs divins, d’autre part, avec les données les plus sûres de l’expérience et de la raison.

La doctrine ici doit se défendre contre l’objection évolutionniste et contre l’objection tirée de la théodicée.

a) Réponse à l’objection de l’évolutionnisme rigide. — On oppose à la doctrine de la déchéance un évolutionnisme naturaliste qui prétend se passer de Dieu ; on y considère la marche des choses et le développement humain comme une lente ascension, nécessaire, fatale, naturelle, de la matière à l’intelligence, de la barbarie à la civilisation, de l’animalité à l’humanité ; au sein de l’humanité, de la pression morale et religieuse engendrée par la société à l’émancipation de l’individu et de la société par rapport à l’idée divine.

La meilleure réponse à opposer à cette doctrine à priori, c’est de dresser en face d’elle la thèse catholique du développement humain, doublement conditionné par la liberté divine et la liberté humaine. Dieu, en créant librement les natures, leur imprime à l’intime de leur être un élan constitutif vers la réalisation de leur propre perfection et, par le fait, de leur type divin. Au moment prévu par lui (l’organisme naturel étant préparé à recevoir une âme spirituelle), le Créateur y lit éclore cette âme qui, par ses facultés, est orientée vers lui. Par une libéralité toute gratuite, il communiqua à cette âme, en affinité avec lui, un élan nouveau qui la haussait jusqu’à une participation à la vie divine. Dieu posait ainsi les bases d’un développement humain qui ne devait s’achever que dans une assimilation de plus en plus grande avec lui. ici-bas. par la grâce et l’effort méritoire, dans l’autre vie, par la vision béalifique.

Mais l’homme, à la différence des autres natures, qui tendent a leur fin par nécessité, devait réaliser son développement, à la façon des êtres spirituels, par la liberté. L’homme a le terrible pouvoir de s’arrêter ou de reculer dans la voie du progrès, en refusant de se plier à la condition de son développement normal. a savoir l’union â la source divine de foule force et de tOUte lumière.

I.e premier homme, en péchant, s’est séparé, et a séparé la nature dont il élail le principe de ce qui rendait possible son ascension surnaturelle. I.e péché ori ginel, puis les péchés personnels, sont un obstacle, de

soi irrémédiable, dans la voie du salut. Dieu, cependant, a VOUlU poursuivre son œa re ; lentement, par sa présence perpétuelle dans l’intime de l’humanité, par ses Interventions surnaturelles, il a fait monter l’hu-